Sommaire
IL'île, un lieu closIILa Révolution en marcheIIIL'utopieAAmour et exotismeBUn nouvel ordre socialL'Île des esclaves
Marivaux
1725
Deux aristocrates athéniens, Iphicrate et Euphrosine, survivent à un naufrage avec leurs serviteurs Arlequin et Cléanthis. Ils échouent sur une île qui est gouvernée par d'anciens esclaves. Ils forcent maîtres et domestiques à échanger leurs places. Arlequin et Cléanthis en profitent pour se venger de leurs humiliations passées. Toutefois, ils découvrent également la générosité et se mettent à plaindre Iphicrate et Euphrosine.
Au final, ils insistent pour que chacun retrouve sa place. Trivelin, le meneur des anciens esclaves, est satisfait par la façon dont les personnages ont évolué. Il laisse repartir vers Athènes les quatre hommes, en espérant que les maîtres se souviendront de l'île et de la façon dont leurs serviteurs les ont traités.
L'île, un lieu clos
Le cadre de l'action est une île, un endroit clos d'où on ne peut s'échapper. Marivaux utilise cette convention et mélange d'ailleurs des noms italiens issus de la commedia dell'arte avec des noms grecs de l'Antiquité. Ce mélange paraît incongru et fait de l'île un lieu étrange.
L'endroit devient le lieu de l'expérimentation sociale. Les personnages sont forcés de se soumettre à de nouvelles lois pour survivre et sont coupés de leurs vies passées, sans aucun contact avec l'extérieur. C'est véritablement un nouveau monde, un nouveau cosmos, avec ses propres règles. Trivelin leur explique comment ils doivent se comporter. Une situation nouvelle est ainsi créée, et permet à Marivaux d'établir son histoire. L'île est un monde clos, comme l'est la scène de théâtre. Les personnages vont changer de rôle. C'est un double plan théâtre et social, Marivaux joue avec la structure dramatique pour défendre une idéologie.
La Révolution en marche
Marivaux écrit sa pièce au siècle où de grands changements politiques vont avoir lieu en France, notamment la Révolution française en 1789. L'Île des esclaves baigne dans cette idée. C'est sans doute une des pièces les plus importantes de Marivaux quand on traite de son engagement social. Le dramaturge n'utilise pas simplement la situation pour inverser le rapport maître/valet, il en profite aussi pour dénoncer un ordre établi simplement sur la naissance. Sur l'île ou en dehors, la société est injuste, arbitraire. En utilisant l'île, Marivaux évite aussi la censure. Il crée un nouvel endroit, un lieu où il peut expérimenter en échappant aux critiques.
La réflexion politique et morale est très subversive, mais la façon de la mener est plissée. Marivaux écrit une sorte de conte, il ne peut inscrire son propos dans une réalité trop familière au public. La pièce est "révolutionnaire", mais Marivaux n'oublie pas d'amuser, de divertir. La bouffonnerie est présente pendant toute la pièce.
L'Île des esclaves permet aussi de souligner l'ambiguïté du lien maître/serviteur. En effet, Marivaux montre bien que le pouvoir des puissants ne peut exister que si les plus faibles l'approuvent, le légitiment. Lorsque le valet cesse de soutenir le maître, il perd son pouvoir et il finit par vouloir reprendre sa place.
L'utopie
Amour et exotisme
Marivaux traite aussi d'amour et d'exotisme, deux thèmes qui lui sont chers, dans cette courte pièce. L'amour permet le marivaudage. Le dramaturge s'amuse à établir des dialogues galants et fins entre un homme et une femme. Il crée des situations amusantes en s'inspirant du jeu de la séduction.
L'exotisme est bien présent aussi. Certains personnages ont des noms grecs, ce qui rappelle l'Antiquité. Le décor même est exotique, c'est une île merveilleuse, avec une société nouvelle. Il y a la mer, les rochers. Cet endroit semble sorti de la mythologie. L'île est le lieu idéal pour traiter d'une utopie. Au XVIIIe siècle, l'exotisme est à la mode, et on le retrouve dans les oeuvres de Voltaire et Montesquieu.
Un nouvel ordre social
Marivaux montre dans L'Île des esclaves est une utopie sociale. Celle-ci rappelle fortement le roman Utopie de Thomas More. L'écrivain y décrit un endroit où les hommes vivent en harmonie. Il n'y a pas de conflits, il n'y a plus d'injustices. C'est un mythe, une histoire irréelle. "Utopie" signifie d'ailleurs "endroit qui n'existe nulle part".
L'île est une utopie puisqu'elle propose une inversion des rôles aux maîtres et aux esclaves. C'est un monde où les faibles seraient puissants et inversement. Toutefois, le dramaturge ne crée pas un monde où tous les hommes sont égaux. La servitude existe encore. Ce n'est pas un monde idéal. Ce nouvel ordre social est plutôt une façon de placer les maîtres en esclaves pour leur apprendre à respecter leurs valets, à les voir comme des humains. Il y a presque une volonté pédagogique de la part de l'auteur.