Sommaire
ILa fatalitéIILa politique et la moraleAUn duel entre deux idéauxBUne réflexion sur le pouvoirIIILa solitudeIVLe thème de la résistanceVLe thème de l'enfanceVIL'absurdeVIILa modernité de la pièceAL'écriture d'AnouilhBUne réflexion sur la tragédieAntigone
Jean Anouilh
1944
Antigone est une tragédie écrite en prose, qui ne comporte qu'un acte. La pièce commence avec le personnage nommé le Prologue. Il raconte toute l'histoire de la famille d'Antigone, son père Œdipe, le duel de ses frères Étéocle et Polynice qui se sont entretués pour le trône de Thèbes, et la future mort d'Antigone, d'Hémon et de sa mère. Créon a interdit à la population de Thèbes d'enterrer le corps de Polynice, frère jugé traître (car il a attaqué Étéocle, qui était l'héritier légitime du trône).
La scène suivante montre Antigone qui revient d'une escapade nocturne. Sa nourrice la rejoint et lui donne de nombreux conseils. Mais Antigone est déjà allée enterrer son frère, même si elle ne lui dit pas. Sa sœur, Ismène, vient la voir pour la convaincre de ne pas enterrer Polynice. Antigone feint de ne pas l'avoir fait. Elle se montre également enjouée avec son fiancé Hémon, mais certains propos laissent entendre qu'elle va bientôt mourir. Ismène revient sur scène pour parler de nouveau à Antigone. Celle-ci avoue alors, avec fierté, qu'elle a déjà enterré Polynice. Jonas, un garde, apprend au roi Créon (oncle d'Antigone) que le corps de Polynice a été recouvert de terre. Le roi demande à ce que la surveillance autour du corps soit renforcée. Le chœur s'adresse au public pour lui apprendre que c'est la fin de la première partie de la pièce.
Antigone est amenée devant Créon par les gardes. Elle a de nouveau tenté d'enterrer Polynice. Créon n'en revient pas. Il renvoie les gardes et propose à sa nièce de les faire disparaître si elle promet de ne pas recommencer. Antigone refuse, elle dit qu'elle recommencera. Les deux personnages se lancent alors dans un duel verbal. Créon tente de convaincre Antigone, et elle s'oppose sans cesse à lui. Créon se justifie en rappelant qu'il est le roi, mais Antigone refuse de comprendre. Créon rappelle à Antigone que ses deux frères étaient des hommes mauvais. Antigone flanche, mais finalement elle refuse de se soumettre. Elle ne s'oppose plus au pouvoir de Créon, mais au bonheur simple et ordinaire qu'il lui propose de vivre avec Hémon (fils de Créon). Elle préfère la mort. Ismène entre en scène et déclare qu'elle est prête à faire comme Antigone. Celle-ci jubile et dit à Créon qu'elle va déclencher une révolte. Créon la condamne alors à mort.
Le chœur entre en scène et tente de convaincre le roi de pardonner Antigone. Mais Créon assure qu'elle a choisi son destin, qu'il ne peut pas la forcer à vivre.
Hémon vient demander à son père de pardonner sa fiancée. Créon refuse et Hémon s'enfuit. Antigone, seule avec un garde, parle de sa peur de mourir. Elle se demande si elle a fait le bon choix. Elle veut écrire une lettre à Hémon, mais se reprend. Un messager apprend à Créon la mort d'Antigone et de son fils Hémon (il s'est suicidé dans le tombeau où Antigone était enterrée vivante). Le chœur arrive ensuite et apprend à Créon le suicide de sa femme Eurydice. Créon est tout seul.
Le choeur s'adresse au public et parle de la mort qui a triomphé de tous.
La fatalité
Le thème de la fatalité est présent dès le début de la pièce, avec le prologue. La fatalité est vue comme une mécanique tragique qu'on ne peut pas arrêter. Toute l'histoire est dévoilée au spectateur, qui sait déjà comment va finir la pièce. Tout est déjà joué.
Antigone semble consciente de sa mort prochaine dans toute la pièce. Il semble même qu'elle appelle la mort, qu'elle désire la mort. Elle se sent obligée de remplir son devoir familial, d'enterrer son frère Polynice. Elle sait pourtant que Créon a promis la mort à ceux qui tenteront d'enterrer le prince. Elle dit d'ailleurs à son oncle qu'elle savait qu'il la condamnerait à mort : "J'étais certaine que vous me feriez mourir au contraire".
La politique et la morale
Un duel entre deux idéaux
Le thème principal de la pièce est l'opposition entre Antigone et Créon, entre le devoir familial et la loi du roi.
Créon a interdit l'enterrement de Polynice pour des raisons politiques. Les deux frères ont provoqué le chaos en se battant pour "un règlement de comptes". Créon rappelle d'ailleurs qu'aucun des frères n'est meilleur que l'autre. Simplement il fallait en punir un des deux, il fallait faire comprendre qu'on ne peut pas se battre ainsi. Créon peut être vu comme un tyran, mais c'est aussi un roi qui tente de ramener l'ordre à Thèbes.
Antigone s'oppose à cette politique qu'elle juge mauvaise. Elle affirme sa liberté. Elle est prête à mourir pour ses idées : "Je suis là pour vous dire non et pour mourir."
Une réflexion sur le pouvoir
La pièce propose une réflexion sur le pouvoir. Anouilh le définit comme un métier. Créon trouve d'ailleurs que c'est un travail difficile, laborieux : "Ce n'est même pas une aventure, c'est un métier pour tous les jours et pas toujours drôle, comme tous les métiers. Mais puisque je suis là pour le faire, je vais le faire". Créon n'a pas vraiment soif de pouvoir, sa position de roi lui a été imposée.
Créon rappelle qu'il faut un certain courage pour être roi : "Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s'en mettre jusqu'au coude".
La solitude
Antigone est seule contre le monde : elle va "se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon". Ismène ne l'aide pas (en tout cas pas au début), elle a trop peur de mourir. Sa nourrice ne la comprend pas. Créon s'oppose à elle. Son fiancé Hémon essaie de la comprendre, mais elle le repousse.
Antigone veut être seule : "Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour dire non et mourir". La pièce peut se lire comme le retranchement d'Antigone dans la solitude.
Créon parle aussi de cette solitude : "On est tout seul, Hémon. Le monde est nu". Il finit d'ailleurs tout seul, ce qui est annoncé dès le début de la pièce : "Créon est seul. Seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut rien pour lui non plus."
Le thème de la résistance
Antigone est une figure de la révolte et de la résistance. Antigone refuse de se soumettre. Elle représente la jeunesse et l'absolu. Elle refuse un monde "sale", "laid". Elle veut "tout, tout de suite".
Jean Anouilh écrit la pièce alors que la France est sous l'occupation nazie. Antigone représente la Résistance. C'est le refus de la tyrannie, la soif de liberté. Créon représente l'Occupation, plus particulièrement le régime de Vichy qui collabore avec les nazis. Il fait des choses qu'il n'a pas vraiment envie de faire.
Le thème de l'enfance
Antigone est encore une adolescente. Elle est nostalgique de son enfance. La pièce peut se lire comme un conflit des générations. Antigone refuse d'être adulte, refuse la compromission qui vient avec l'âge. La vision que Créon a du bonheur fait frémir Antigone, car c'est un "petit bonheur" : "Tu vas me mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c'est la consolation dérisoire de vieillir, la vie, ce n'est peut-être pas tout de même que le bonheur".
Absolue, Antigone refuse le compromis : "moi, je veux tout, tout de suite et que ce soit entier ou alors je refuse !" Elle se remémore plusieurs fois des souvenirs de l'enfance : "Une fois, je t'ai attaché à un arbre et je t'ai coupé tes cheveux, beaux cheveux", "Voilà, je n'ai plus peur. Ni du méchant ogre, ni du Taoutaou qui passe et emmène les enfants…"
Le bonheur est donc lié à l'enfance dans la pièce, à une époque bénie d'insouciance et de paix. Antigone est en quête de cette innocence.
L'absurde
La pièce est un bon exemple du théâtre de l'absurde. En effet, la jeune fille réalise ce que sa démarche a d'absurde, de ridicule. Elle réalise qu'elle ne se révolte pas vraiment contre la loi de Créon. Elle réalise ensuite, avant de mourir, qu'elle a peur de la mort. Elle avoue qu'elle ne "sait plus pourquoi" elle meurt. Mais elle va tout de même jusqu'au bout.
Tout se fait comme si Antigone n'avait pas le choix. Elle se demande si la vie vaut la peine d'être vécue, elle refuse de travailler au bonheur, d'accepter les petites meurtrissures et blessures de la vie. Elle trouve un sens à vivre dans la mort, ce qui est parfaitement absurde. La vie ne semble pas avoir de sens.
La modernité de la pièce
L'écriture d'Anouilh
Anouilh apporte de la modernité au mythe d'Antigone. Il écrit en prose et non en vers, contrairement à Sophocle. Il utilise un langage familier parfois, très simple. La nourrice et les gardes sont des personnages comiques qui usent d'une langue amusante et parfois grossière.
On trouve aussi des images poétiques : "Ies mille insectes du silence qui rongent quelque chose, quelque part dans la nuit", "le jardin qui ne pense pas encore aux hommes".
Anouilh mélange donc les tons, comme il mélange les genres (tragédie et comédie).
Une réflexion sur la tragédie
La pièce est une réflexion sur ce qu'est la tragédie. Dès le prologue, le chœur livre une définition de la tragédie. La fatalité règne, les personnages ne peuvent pas se soustraire à leur destin.
Le prologue rappelle que cette tragédie est passée (l'histoire d'Œdipe) mais aussi future (la mort prochaine d'Hémon, d'Antigone, de la femme de Créon). La famille d'Œdipe ne peut pas échapper à la fatalité. Plusieurs expressions dans le prologue soulignent cette idée de fatalité : "il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout", "nous qui n'avons pas à mourir ce soir", "il ne devait jamais exister de mari d'Antigone".