Sommaire
ILa structure de l'œuvreALe styleBUn roman épistolaireIIL'amour malheureuxALes sentimentsBUne construction tragiqueIIIUne héroïne moderneLettres portugaises
Gabriel-Joseph Guilleragues
1669
Lettres portugaises a provoqué un débat quant à son authenticité. C'est en réalité Guilleragues qui a inventé ce roman épistolaire. C'est un courtisan célèbre pour son esprit, mais révéler son nom aurait été dramatique pour lui. L'histoire du roman est celle d'une femme religieuse portugaise qui écrit cinq lettres à son amant. Ce dernier l'a délaissée pour la France. Ce jeune officier, à la fin du dix-septième siècle, est en campagne au Portugal. Il entre dans un couvent et découvre Mariane, une belle religieuse. Il la séduit et elle se met à l'adorer.
Mais l'officier est un libertin. Il repart bientôt. Pendant un an, il reçoit cinq lettres passionnées. La religieuse tantôt blâme, tantôt pardonne. Un jour, l'officier répond, se dérobe. C'est la fin de la correspondance.
La structure de l'œuvre
Le style
L'auteur utilise la prose, ce qui est moderne pour l'époque. La structure est moderne aussi, il n'y a pas de paragraphe, pas de période, beaucoup de répétitions. Guilleragues veut avant tout mettre en avant l'émotion. La religieuse n'est pas une grande littéraire, c'est une femme blessée, trompée.
L'auteur rejette donc l’élégance du style et lui préfère l’expressivité et le naturel. L'ouvrage est marqué d'une réelle spontanéité et loin de l’académisme de l'époque. C'est bien cette modernité qui donne de la crédibilité aux lettres. C'est pour cela d'ailleurs qu'elles passeront pour des lettres authentiques pendant des années.
Un roman épistolaire
Le roman est épistolaire. Il est fait de lettres. La femme s'adresse à son amant qui ne répond pas. On dirait presque un long monologue de désespoir et d'amour. Elle écrit plusieurs fois "mon amour", mais en réalité il semble qu'elle communique avec elle-même : "J’écris plus pour moi que pour vous, je ne cherche qu’à me soulager".
Il n'y a aucune lettre de l'amant dans l'ouvrage, mais on sait qu'il répond. Seulement ses réponses sont jugées froides et pleines de redites par la femme. C'est donc un roman épistolaire étrange dans la mesure où un seul personnage s'exprime, et où l'autre semble absent. Cela permet de souligner la détresse de la religieuse.
L'amour malheureux
Les sentiments
L'amour est partout. Ce sont des lettres qui permettent à la jeune femme d'épancher des sentiments. Mariane évoque son passé, revit l'intimité et la sensualité des premiers moments. Puis, au fur et à mesure, Mariane va quitter la passion et passer à la lucidité.
Au début, elle tutoie l'homme à qui elle écrit, elle parle avec fougue de leurs moments ensemble. Puis, elle s'éloigne, elle le vouvoie, elle réalise qu'il s'est jouée d'elle. Elle use même d'ironie dans la dernière lettre. Elle comprend la réalité de leur relation, ses illusions sont tuées. Cette évolution n'est pas toujours claire, parfois Mariane redevient passionnée, mais dans l'ensemble les lettres se lisent comme la mort de l'amour et la naissance de la désillusion.
Une construction tragique
La structure de l'œuvre est adaptée à l'évolution sentimentale. Les cinq lettres peuvent en effet se lire comme les cinq actes d'une tragédie. Elles respectent d'ailleurs les unités classiques de temps, de lieu, d'action. L'ensemble consisterait ainsi en un long monologue intérieur.
Le prologue serait alors l'exposition de Guilleragues, qui écrit sur le passé de la relation et plonge le lecteur en pleine crise. Chaque lettre est un acte. Dans la première lettre, Mariane espère encore. Dans la seconde, la lucidité pointe. Mariane semble comprendre que son amant ne reviendra pas, mais elle espère qu'il se souviendra d'elle. La troisième lettre, Mariane expose un drame presque cornélien, dans la quatrième elle est désespérée, et dans la cinquième Mariane a compris, elle est résolue. Elle se détache de son amant. De brûlante passion, elle est passée à un froid détachement.
Une héroïne moderne
La conception de l'héroïne est très moderne. Elle n'est pas vertueuse. C'est une religieuse qui a succombé à un libertin. Elle n'évoque pas la morale, elle ne cherche pas à se repentir. Mariane parle uniquement de passion. Elle ne parle pas des conventions, elle n'évoque pas son devoir, elle ne revendique rien d'autre que son amour.
D'ailleurs, la religion tient une place minime dans les lettres. Mariane ne parle de son statut que pour souligner qu'il est plus agréable pour un amant d'avoir pour maîtresse une religieuse qu'une femme mariée. L'œuvre est assez pessimiste. L'héroïne est moderne dans le sens où elle ne correspond pas à l'idée vertueuse de la femme qui circule au XVIIe siècle. Elle n'est pourtant pas condamnée ou jugée dans le roman pour ce qu'elle a fait. C'est la passion et la façon dont la femme s'en détache qui en fait une héroïne.