Sommaire
IUn célèbre incipitALa présentationBLe rejet du roman traditionnelIIL'originalité de l'œuvreALes différents genresBLa narrationCLe fatalisme de JacquesIIILa relation maître-valetAUne remise en cause de l'ordre établiBLa traditionJacques le Fataliste et son maître
Denis Diderot
1796
Deux cavaliers, Jacques et son maître, voyagent vers une destination inconnue, pendant neuf jours. Jacques est surnommé le Fataliste, et son maître ne comprend pas sa philosophie. Jacques lui raconte ses amours pour lui expliquer. Le récit de Jacques est entrecoupé par les péripéties des deux héros. Par exemple, un soir d'orage, les deux compagnons trouvent refuge dans le Gîte du Grand-Cerf. Ils y entendent l'histoire du Comte d'Arcis et de Mme de Pommeraye, et comment la femme s'est vengée de son amant en le faisant épouser une prostituée à son insu. Après cet épisode, Jacques raconte son dépucelage à 18 ans à son maître. Il était alors amoureux de Justine, et son meilleur ami aussi. La jeune femme avait préféré son ami, mais un jour elle est forcée de se cacher chez Jacques qui la force à céder à ses avances
Le Maître raconte aussi sa vie. Il a été forcé de reconnaître l'enfant d'Agathe, une femme qui en réalité avait pour amant le Chevalier de Saint Ouin. Ce dernier a trompé le Maître qui a été obligé de donner son nom à l'enfant qu'il cherche à rejoindre aujourd'hui.
Devant la demeure de la nourrice de l'enfant, le Maître rencontre le chevalier qui l'a trahi et le tue. Jacques est fait prisonnier à sa place. Il ne peut pas finir de raconter ses amours. L'auteur-narrateur propose alors trois fins possibles. Première fin : un jour de fête, au château, Denise et Jacques s'avouent leurs sentiments. Deuxième fin : Jacques est un jour soigné par Denise et lui avoue ses sentiments. Troisième fin : après le meurtre de Saint Ouin, Jacques est délivré par douze brigands, retrouve son maître et épouse Denise.
Un célèbre incipit
La présentation
Le mot "incipit" est issu du latin "incipere" qui signifie "commencer". En général, l'incipit pose donc les jalons de ce qui va suivre. Il répond aux questions où, quand, qui, quoi, comment et pourquoi.
L'incipit de Jacques le Fataliste, rompt avec cette tradition. Les personnages principaux du roman ne sont présentés qu'à travers leur dialogue. Diderot remet donc en cause les principes du genre romanesque. Il présente une nouvelle version du rapport maître/valet. Dès le début, Diderot pose ainsi la question de la liberté humaine qui est au centre du roman.
Le rejet du roman traditionnel
Le lecteur est malmené. Le texte commence par un dialogue fictif entre narrateur et lecteur. Diderot utilise le pronom "vous". Le lecteur est impliqué, on s'adresse à lui avec familiarité ("que vous importe ?"). Le ton est désinvolte.
Diderot rompt avec le pacte de lecture. Le texte commence par une série de questions sur le lieu, le temps de l'action, mais le narrateur refuse d'y répondre. La situation d'énonciation reste ainsi vague.
Le lecteur est séduit et étonné par cet incipit. Le dialogue donne un côté plus dynamique au roman. C'est l'oralité qui compte. On rejette ainsi tout ce qui fait la tradition.
L'originalité de l'œuvre
Les différents genres
Le roman est parfois comparé à un anti-roman, car il remet en cause les lois du roman. Le narrateur s'adresse au lecteur, puis l'ignore, puis s'adresse de nouveau à lui. Diderot emploie de nombreux procédés modernes. Le pacte de lecture est redéfini, et on ne sait s'il s'agit d'un conte, d'un dialogue, d'un essai.
Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.
LE MAÎTRE : C'est un grand mot que cela.
JACQUES : Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d'un fusil avait son billet.
LE MAÎTRE : Et il avait raison... Après une courte pause, Jacques s'écria : Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret !
LE MAÎTRE : Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n'est pas chrétien.
JACQUES : C'est que, tandis que je m'enivre de son mauvais vin, j'oublie de mener nos chevaux à l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m'en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m'enrôle. Nous arrivons; la bataille se donne.
LE MAÎTRE : Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES : Vous l'avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
LE MAÎTRE : Tu as donc été amoureux ?
JACQUES : Si je l'ai été !
Diderot
Jacques le Fataliste
1796
La narration
Le point de vue du roman est interne. Ce point de vue consiste à représenter les événements à travers la sensibilité et le regard d'un personnage. Pour cela il faut donc adopter un récit à la première personne. Dans un récit à la troisième personne, le narrateur, extérieur à l'histoire, révèle les pensées et sentiments d'un personnage. Il utilise le discours indirect libre. Le personnage est proche du lecteur.
Diderot utilise ces deux procédés. Il y a un narrateur extérieur à l'histoire, mais Jacques et le maître deviennent aussi des narrateurs quand ils se racontent leurs aventures.
Le fatalisme de Jacques
Jacques est un valet qui a une philosophie fataliste, comme l'indique le titre. Il croit que tout ce qui est bon ou mauvais sur terre a été décidé par le ciel. On ne peut donc rien faire contre ce qui nous arrive. Ce fatalisme est lié au déterminisme qui retire à l'Homme toute responsabilité et toute liberté.
Jacques pense qu'un événement est à la fois l'effet de quelque chose qui l'a précédé, et la cause de ce qui va suivre. "Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette."
La relation maître-valet
Une remise en cause de l'ordre établi
Diderot remet en cause l'ordre établi. Le serviteur, comme dans les comédies de Molière, est plus malin et rusé que son maître. Il maîtrise mieux que lui l'art de la narration, de l'oralité. C'est Jacques qui parle le plus, lui qui donne son nom au roman. Le maître ne fait que relancer son valet, le questionne.
Jacques sait susciter l'intérêt car il maîtrise l'art du suspense. C'est un homme intelligent. On suit son aventure, bien plus que celle de son maître. D'ailleurs, le maître passe plutôt pour un idiot incapable de voir qu'on le berne, alors qu'on suit l'histoire d'amour de Jacques avec plaisir.
La tradition
Diderot joue avec la tradition littéraire. Si le couple du maître et du valet rappelle ceux qu'on a au théâtre, il se rapproche aussi du roman picaresque. Comme au théâtre, le valet est rusé, le dialogue a beaucoup d'importance, les répliques sont amusantes.
Mais ce duo fait aussi penser aux personnages de Don Quichotte. Le picaro est un personnage issu d'un milieu populaire qui va vers l'aventure. Il est joyeux, rusé et courageux. Jacques correspond bien à cette description.