Sommaire
ILa rhétorique de TartuffeIIL'éloge du princeIIIUn dénouement vraisemblable ?IVLe triomphe de la justiceTARTUFFE :
Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite :
Vous n'irez pas fort loin pour trouver votre gîte,
Et de la part du Prince on vous fait prisonnier.
ORGON :
Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier ;
C'est le coup, scélérat, par où tu m'expédies,
Et voilà couronner toutes tes perfidies.
TARTUFFE :
Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir,
Et je suis pour le Ciel appris à tout souffrir.
CLÉANTE :
La modération est grande, je l'avoue.
DORINE :
Comme du Ciel l'infâme impudemment se joue !
TARTUFFE :
Tous vos emportements ne sauraient m'émouvoir,
Et je ne songe à rien qu'à faire mon devoir.
MARIANNE :
Vous avez de ceci grande gloire à prétendre,
Et cet emploi pour vous est fort honnête à prendre.
TARTUFFE :
Un emploi ne saurait être que glorieux,
Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux.
ORGON :
Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable,
Ingrat, t'a retiré d'un état misérable ?
TARTUFFE :
Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir ;
Mais l'intérêt du Prince est mon premier devoir ;
De ce devoir sacré la juste violence
Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance,
Et je sacrifierais à de si puissants nœuds
Ami, femme, parents, et moi-même avec eux.
ELMIRE :
L'imposteur !
DORINE :
Comme il sait, de traîtresse manière,
Se faire un beau manteau de tout ce qu'on révère !
CLÉANTE :
Mais s'il est si parfait que vous le déclarez,
Ce zèle qui vous pousse et dont vous vous parez,
D'où vient que pour paraître il s'avise d'attendre
Qu'à poursuivre sa femme il ait su vous surprendre,
Et que vous ne songez à l'aller dénoncer
Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser ?
Je ne vous parle point, pour devoir en distraire,
Du don de tout son bien qu'il venait de vous faire ;
Mais le voulant traiter en coupable aujourd'hui,
Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui ?
TARTUFFE (à l'Exempt) :
Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie,
Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie.
L'EXEMPT :
Oui, c'est trop demeurer sans doute à l'accomplir :
Votre bouche à propos m'invite à le remplir,
Et pour l'exécuter, suivez-moi tout à l'heure
Dans la prison qu'on doit vous donner pour demeure.
TARTUFFE :
Qui ? moi, Monsieur ?
L'EXEMPT :
Oui, vous.
TARTUFFE :
Pourquoi donc la prison ?
L'EXEMPT :
Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison.
Remettez-vous, Monsieur, d'une alarme si chaude.
Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude,
Un Prince dont les yeux se font jour dans les cours,
Et que ne peut tromper tout l'art des imposteurs.
D'un fin discernement sa grande âme pourvue
Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle ;
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,
Et l'amour pour les vrais ne ferme point son cœur
À tout ce que les faux doivent donner d'horreur.
Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D'abord il a percé, par ses vives clartés,
Des replis de son cœur toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même,
Et par un juste trait de l'équité suprême,
S'est découvert au Prince un fourbe renommé,
Dont sous un autre nom il était informé ;
Et c'est un long détail d'actions toutes noires
Dont on pourrait former des volumes d'histoires.
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté
Sa lâche ingratitude et sa déloyauté ;
À ses autres horreurs il a joint cette suite,
Et ne m'a jusqu'ici soumis à sa conduite
Que pour voir l'impudence aller jusques au bout,
Et vous faire par lui faire raison de tout.
Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,
Il veut qu'entre vos mains je dépouille le traître.
D'un souverain pouvoir, il brise les liens
Du contrat qui lui fait un don de tous vos biens,
Et vous pardonne enfin cette offense secrète
Où vous a d'un ami fait tomber la retraite ;
Et c'est le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois
On vous vit témoigner en appuyant ses droits,
Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense,
D'une bonne action verser la récompense,
Que jamais le mérite avec lui ne perd rien,
Et que mieux que du mal il se souvient du bien.
DORINE :
Que le Ciel soit loué !
MADAME PERNELLE :
Maintenant je respire.
ELMIRE :
Favorable succès !
MARIANE :
Qui l'aurait osé dire ?
ORGON (à Tartuffe) :
Hé bien ! te voilà, traître.
CLÉANTE :
Ah! mon frère, arrêtez,
Et ne descendez point à des indignités ;
À son mauvais destin laissez un misérable,
Et ne vous joignez point au remords qui l'accable :
Souhaitez bien plutôt que son cœur en ce jour
Au sein de la vertu fasse un heureux retour,
Qu'il corrige sa vie en détestant son vice
Et puisse du grand Prince adoucir la justice,
Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux
Rendre ce que demande un traitement si doux.
Orgon.
Oui, c'est bien dit : allons à ses pieds avec joie
Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.
Puis, acquittés un peu de ce premier devoir,
Aux justes soins d'un autre il nous faudra pourvoir,
Et par un doux hymen couronner en Valère
La flamme d'un amant généreux et sincère.
Molière
Tartuffe
1674
La rhétorique de Tartuffe
- C'est la première fois que Tartuffe est confronté à tous les personnages en même temps, dont Orgon et Mme Pernelle.
- Il se montre, une fois de plus, maître de la rhétorique.
- Il se montre autoritaire en créant une distance entre lui et Orgon.
- Il utilise de nombreuses négations.
- Il avance un nouvel argument, il prend un nouveau masque, celui de défenseur du prince : "de la part du prince", "le Ciel", "mon devoir", "intérêt du prince", "devoir sacré".
- Il a pris la place d'Orgon, il répète sans cesse "je".
- Les arguments des autres personnages sont inefficaces, ce sont des insultes qui ne font pas avancer le problème : '' traître", "scélérat", "perfide", "infâme'', "imposteur".
- Tartuffe devient donc défenseur du pouvoir royal et semble intouchable.
L'éloge du prince
- Le prince n'apparaît pas directement. Il est présent par l'Exempt.
- Un vocabulaire mélioratif lui est associé : "ce zèle", "droite vue", "sa ferme raison.
- Le prince est donc défini comme un homme honnête qui rejette l'injustice.
- Le prince est caractérisé par l'expression "ennemi de la fraude".
- Le prince rend possible le dénouement heureux de la pièce.
- Molière fait ici un éloge du prince, mais à travers lui c'est un éloge de Louis XIV qui est fait. Le roi français ne peut qu'être flatté par le beau rôle que joue ici le prince juste et bon.
Un dénouement vraisemblable ?
- Une des règles est celle de la vraisemblance. Le dénouement de l'intrigue ne doit être résolu que par des éléments déjà présents dans la pièce.
- Des allusions sont faites à l'intrigue passée, notamment à la fidélité d'Orgon au roi au moment de la Fronde au début de la pièce. Mais cela ne rend pas très vraisemblable l'intervention du roi.
- Cette fin rappelle la fin "deus ex machina", c'est-à-dire l'intervention divine. Le roi étant un représentant de Dieu sur terre, c'est un peu ce qu'on peut voir dans ce final.
- Le dénouement est brutal et rapide. Cette fin surprenante est justifiée dans la longue tirade de l'Exempt. Si cette fin est acceptable, c'est parce qu'elle glorifie le roi.
- Le dénouement est autrement celui traditionnel du mariage des jeunes gens et du rétablissement de la paix.
Le triomphe de la justice
- C'est donc la justice qui triomphe finalement à la fin de la pièce.
- Cléante, honnête homme, parvient à déstabiliser Tartuffe.
- Ensuite, l'Exempt achève de faire chuter Tartuffe. Le rapport de force se transforme. L'Exempt ramène l'ordre et la justice. Une mention à la "raison" est faite plusieurs fois dans sa tirade.
- Il y a une opposition entre vue et aveuglement : "yeux se font jour", "fin discernement", "jette une droite vue", "aveuglement", "vives clartés".
- On retrouve la présence divine et la présence du roi : "Le Ciel soit loué !"
- Arrive la punition du méchant Tartuffe. Celui-ci semble tout de même étonné : "Pourquoi la prison ?"
En quoi cette fin est-elle morale ?
I. La punition de Tartuffe
II. Un roi au service de la justice
Quel est le dernier rebondissement de la pièce ?
I. Tartuffe, défenseur du roi
II. L'intervention du roi : "deus ex machina"
III. Une fin classique
En quoi cette scène remplit-elle son rôle de dénouement ?
I. Un dernier retournement de situation
II. La punition de Tartuffe
III. Une fin heureuse
En quoi cette fin est-elle surprenante ?
I. L'intervention du roi
II. Le non-respect de la vraisemblance