Sommaire
IUne scène très attendueIILe portrait d'un hypocriteIIITartuffe, un mauvais acteurIVDorine, un personnage ironiqueTARTUFFE (apercevant Dorine) :
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine.
Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j'ai partager les deniers.
DORINE :
Que d'affectation et de forfanterie !
TARTUFFE :
Que voulez-vous ?
DORINE :
Vous dire.
TARTUFFE (Il tire un mouchoir de sa poche.) :
Ah! mon Dieu, je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.
DORINE :
Comment ?
TARTUFFE :
Couvrez ce sein que je ne saurais voir :
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE :
Vous êtes donc bien tendre à la tentation,
Et la chair sur vos sens fait grande impression !
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis pas si prompte,
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas.
TARTUFFE :
Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie.
DORINE :
Non, non, c'est moi qui vais vous laisser en repos,
Et je n'ai seulement qu'à vous dire deux mots.
Madame va venir dans cette salle basse,
Et d'un mot d'entretien vous demande la grâce.
TARTUFFE :
Hélas ! très volontiers.
DORINE (en soi-même) :
Comme il se radoucit !
Ma foi, je suis toujours pour ce que j'en ai dit.
TARTUFFE :
Viendra-t-elle bientôt ?
DORINE :
Je l'entends, ce me semble.
Oui, c'est elle en personne, et je vous laisse ensemble.
Molière
Tartuffe
1664
Une scène très attendue
- Depuis le début de la pièce, le spectateur attend Tartuffe, qui apparaît enfin. La scène était très attendue.
- Depuis deux actes, on parle de Tartuffe, mais le spectateur ne l'a pas vu. Différents portraits ont été faits de lui par divers personnages, des portraits contradictoires. Tout cela a éveillé son intérêt, il a envie de découvrir qui est vraiment Tartuffe.
- Tartuffe est encore plus ridicule que ce que le spectateur attendait. Il est très drôle, car il est terriblement hypocrite. Il n'a aucune subtilité.
- Molière ne surprend pas le lecteur, Tartuffe au contraire répond à ses attentes, ce qui est très satisfaisant pour lui. Il peut rire.
- Les premières didascalies marquent le décalage entre l'attitude de Tartuffe et la réalité. Tartuffe ne s'adresse à son valet que pour être entendu par Dorine. C'est l'attitude d'un hypocrite.
- Le spectateur sait quelque chose que Tartuffe ne sait pas. Dorine n'est pas dupe, elle sait très bien quel genre de personnage est Tartuffe.
- Les apartés de Tartuffe soulignent sa vantardise, son hypocrisie.
Le portrait d'un hypocrite
- Molière peint un personnage ridicule, hypocrite et manipulateur. C'est un imposteur.
- Le champ lexical de la dévotion est utilisé : "haire", "discipline", "Ciel", "illumine", "aumônes", "partager", "âmes", "coupables pensées", "modestie".
- Tartuffe est un faux dévot. La didascalie "en apercevant Dorine" souligne qu'en voyant la servante il feint une attitude. Cet effet est comique.
- Tartuffe appuie dans ses paroles sur sa dévotion, ce qui est ridicule. Il insiste sur sa charité envers les pauvres. Il exagère. Il parle très fort pour être entendu par Dorine et qu'elle sache qu'il est dévot.
- Tartuffe ne fait que parler, il n'agit pas.
- Il y a un comique de situation : Tartuffe "tire un mouchoir de sa poche". Il veut couvrir la poitrine de Dorine, Dorine est un objet de tentation pour lui. On remarque un décalage entre paroles et actions.
- Le comique de jeu est présent : Tartuffe feint d'être offusqué. Il est ridicule dans sa fausse pudibonderie.
- Discours hyperbolique : "âmes sont blessées".
- Il change d'attitude rapidement, il est inconstant. D'abord, il s'offusque, puis il change de ton, il devient l'amoureux. Il est impatient de voir Elmire : "viendra-t-elle bientôt ?"
- La fin de la scène souligne bien que Tartuffe joue un rôle. En vérité, il veut séduire Elmire.
Tartuffe, un mauvais acteur
- On est en présence de la figure de l'imposteur : Tartuffe cherche à passer pour un dévot. Le vocabulaire religieux est omniprésent dans son discours.
- Il se pose en exemple de bon chrétien, pur et chaste, qui ne peut être tenté par rien.
- Il se fait moralisateur, redresseur de tort. Il veut mettre Dorine dans le droit chemin.
- Pourtant, Tartuffe n'est jamais crédible. Molière a mis en place des procédés dramatiques pour le décrédibiliser. L'outrance caractérise ainsi Tartuffe.
- Tartuffe se montre emprunté. Ses gestes et ses paroles ne vont pas avec son discours. Il n'est pas naturel.
- La confrontation avec Dorine permet d'opposer la personnalité naturelle de Dorine à celle complètement fausse de Tartuffe. C'est une façon de dénoncer Tartuffe.
- Tartuffe est un mauvais acteur. Le spectateur rit, car il joue très mal la comédie. Cela saute aux yeux qu'il est faux, que tout ce qu'il dit est ridicule, que c'est quelqu'un qui s'invente une personnalité. S'il jouait bien, il ne serait pas drôle. Le spectateur joue donc aussi de cela, de l'incapacité de Tartuffe à véritablement jouer le rôle d'un faux dévot. Il n'est pas du tout impressionnant, il n'est pas un bon imposteur, il est simplement grotesque. Il n'est pas terrifiant car bon manipulateur, il est simplement pathétique.
Dorine, un personnage ironique
- La scène est surtout drôle, car il y a confrontation entre le franc-parler de Dorine et l'hypocrisie de Tartuffe.
- Dorine se montre très ironique, ironie que Tartuffe ne perçoit pas, ce qui le rend d'autant plus ridicule.
- Dorine feint la naïveté pour ridiculiser Tartuffe. Ainsi, elle pose de nombreuses questions rhétoriques.
- Dorine fait semblant de ne pas comprendre ce que Tartuffe lui reproche pour mieux le forcer à verbaliser ce qui le choque (la gorge nue de Dorine). Elle le pousse à se montrer sous son vrai jour, c'est-à-dire un homme pervers qui ne peut s'empêcher d'avoir du désir pour une femme dont il voit un peu de peau.
- Dorine maîtrise ainsi l'art du sous-entendu. Elle dit ainsi "laisser en repos" ce qui signifie à la fois "laisser tranquille" et "apaiser le désir".
- L'exclamation marque l'ironie : "comme il se radoucit !"
- Il y a une double énonciation. En effet, Dorine est le double du spectateur. Ce dernier sait ce que Dorine pense de Tartuffe, et il pense pareil. Ce qu'elle dit, c'est donc ce que pense le spectateur.
En quoi cette scène est-elle comique ?
I. Comique de caractère : l'hypocrisie de Tartuffe
II. Tartuffe : un mauvais acteur
III. L'ironie de Dorine
En quoi cette scène remplit-elle son rôle d'introduction de Tartuffe ?
I. L'attente du spectateur récompensée
II. Tartuffe, un personnage ridicule et mauvais acteur
III. La double énonciation : Dorine et le spectateur, des alliés
Comment Tartuffe apparaît-il au spectateur ?
I. Un hypocrite
II. Un mauvais acteur
III. Un faux dévot