Sommaire
IUne scène vivanteIIUn réquisitoire contre les hommesIIIUn plaidoyer pour les femmesIVUn texte argumentatifBARTHOLO :
Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable.
MARCELINE (s'échauffant par degrés) :
Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je n'entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu'il est dur de les expier après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !
FIGARO :
Les plus coupables sont les moins généreux ; c'est la règle.
MARCELINE (vivement) :
Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe.
FIGARO (en colère) :
Ils font broder jusqu'aux soldats !
MARCELINE (exaltée) :
Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !
FIGARO :
Elle a raison !
LE COMTE (à part) :
Que trop raison !
BRID'OISON :
Elle a, mon-on Dieu, raison !
MARCELINE :
Mais que nous font, mon fils, les refus d'un homme injuste ? Ne regarde pas d'où tu viens, vois où tu vas : Cela seul importe à chacun. Dans quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-même ; elle t'acceptera, j'en réponds. vis entre une épouse, une mère tendre qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde ; il ne manquera rien à ta mère.
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Le Mariage de Figaro
1784
Une scène vivante
- C'est une scène qui crée la surprise chez le spectateur. C'est la résolution d'un nœud de la pièce. Figaro se croyait obligé d'épouser Marceline, mais finalement elle se révèle être sa mère. C'est un coup de théâtre.
- Cette scène, centrée sur le personnage de Marceline, est vivante et animée comme en témoignent les didascalies : "s'échauffant par degrés" , "vivement", "en colère", "exaltée". Cette dernière occupe le premier rôle dans cette scène car elle monopolise la parole, les autres personnages se contentant de lui donner la réplique ou d'abonder en son sens, comme Figaro.
- Marceline devient dans ce passage le porte-parole des femmes, elle prend son rôle à cœur et s'implique dans texte, prenant appui sur des exemples personnels : "Je n'entends pas nier mes fautes", "J'étais née, moi, pour être sage".
Un réquisitoire contre les hommes
- Bartholo lance les hostilités en s'en prenant à "une jeunesse déplorable" ce à quoi Marceline répond immédiatement : "Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit". Elle reprend les termes de Bartholo pour mieux attaquer les responsables : les hommes.
- Elle insiste sur leur comportement hypocrite : "Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !" Elle attaque les hommes "plus qu'ingrats" qui ne sont pas capables de reconnaître leurs fautes ou le rôle que peuvent jouer les femmes, s'attribuant tout le mérite de leurs actes.
- Elle inverse les rôles et passe de femme coupable à victime en attaquant de manière virulente l'ensemble de la gent masculine : "C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse", "sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !". Elle tente de faire réagir les hommes de manière polémique en les provoquant, en essayant de créer chez eux une prise de conscience.
Un plaidoyer pour les femmes
- À l'aide de nombreuses questions rhétoriques, Marceline entend montrer l'impuissance des femmes face à cette société faite par les hommes pour les hommes : "Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés ?", "Est-il un seul état pour les malheureuses filles ?".
- Elles apparaissent comme des victimes de cette société, pourtant Marceline n'insiste par sur leur faiblesse ou leur fragilité. Si ce sont des victimes, c'est parce que la société est faite ainsi au niveau des lois : "traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes !". D'ailleurs, Marceline ne renie pas son passé : "Je n'entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées !".
- Elle se fait le porte-parole des femmes abusées par les hommes car trop fragiles socialement pour se protéger mais aussi de celles qui semblent être privilégiées : "Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire".
Un texte argumentatif
- Ce passage, comme celui plus loin dans la pièce prononcé par Figaro, est emblématique des pensées des philosophes des Lumières qui entendent lutter pour une plus grande égalité et une justice plus équitable. L'une et l'autre de ces valeurs sont présentes dans ce texte, notamment dans un large champ lexical de la justice : "expier", "fautes", "juge", "magistrats", "coupable", "négligence", "honnête", "droit naturel", "servitude", "homme injuste". Marceline estime qu'à cause de leur comportement, les hommes ont perdu le droit de les juger : "C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse", "si vains du droit de nous juger".
- Enfin, Marceline se bat pour le bonheur individuel. Chacun a droit au bonheur, quel que soit son statut social, c'est ce qu'elle affirme à son fils, Figaro, à la fin de l'extrait : " Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde". Selon elle, l'amour ne devrait pas être lié à une condition sociale. L'amour véritable et sincère est celui qui doit primer : "elle t'acceptera, j'en réponds". Il réaffirme la liberté de la femme : "Dans quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-même". Enfin, seuls comptent les actes, comme le fera plus tard Figaro, elle rejette la hiérarchisation de la société basée sur la naissance : "Ne regarde pas d'où tu viens, vois où tu vas : Cela seul importe à chacun."
Quels sont les procédés comiques dans cette scène ?
I. Un coup de théâtre
II. Comique de situation et de caractère
III. Une parodie de la justice
Que dénonce Beaumarchais dans cette scène ?
I. La condition des femmes
II. L'injustice du système judiciaire
En quoi ce texte est-il emblématique du siècle des Lumières ?
I. La défense des droits des femmes
II. La remise en question de l'ordre actuel
III. Les valeurs des philosophes
Que défend Marceline et quels sont ses arguments ?
I. Une dénonciation de la condition féminine
II. L'opposition homme/femme
III. L'innocence des jeunes femmes