Sommaire
IUn tendre rendez-vousIIL'évocation du passéIIIL'aveu aveuglé de RoxaneIVLe pathétiqueVLe comique(Cyrano, Roxane, La Duègne un instant)
CYRANO :
Que l'instant entre tous les instants soit béni,
Où, cessant d'oublier qu'humblement je respire
Vous venez jusqu'ici pour me dire... me dire ?
ROXANE (qui s'est démasquée) :
Mais tout d'abord merci, car ce drôle, ce fat
Qu'au brave jeu d'épée, hier, vous avez fait mat,
C'est lui qu'un grand seigneur... épris de moi...
CYRANO :
De Guiche ?
ROXANE (baissant les yeux) :
Cherchait à m'imposer... comme mari...
CYRANO :
Postiche ?
(Saluant)
Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
ROXANE :
Puis... je voulais... Mais pour l'aveu que je viens faire,
Il faut que je revoie en vous le... presque frère,
Avec qui je jouais, dans le parc - près du lac !...
CYRANO :
Oui... Vous veniez tous les étés à Bergerac !...
ROXANE :
Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées...
CYRANO :
Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées !
ROXANE :
C'était le temps des jeux...
CYRANO :
Des mûrons aigrelets...
ROXANE :
Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais !...
CYRANO :
Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine...
ROXANE :
J'étais jolie, alors ?
CYRANO :
Vous n'étiez pas vilaine.
ROXANE :
Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
Vous accourriez ! - Alors, jouant à la maman,
Je disais d'une voix qui tâchait d'être dure :
(Elle lui prend la main.)
"Qu'est-ce que c'est encor que cette égratignure ?"
(Elle s'arrête stupéfaite.)
Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci !
(Cyrano veut retirer sa main.)
Non ! Montrez-la !
Hein ? à votre âge, encor ! - Où t'es-tu fait cela ?
CYRANO :
En jouant, du côté de la porte de Nesle.
ROXANE (s'asseyant à une table, et trempant son mouchoir dans un verre d'eau) :
Donnez !
CYRANO (s'asseyant aussi) :
Si gentiment ! Si gaiement maternelle !
ROXANE :
Et, dites-moi, - pendant que j'ôte un peu le sang -
Ils étaient contre vous ?
CYRANO :
Oh ! pas tout à fait cent.
ROXANE :
Racontez !
CYRANO :
Non. Laissez. Mais vous, dites la chose
Que vous n'osiez tantôt me dire...
ROXANE (sans quitter sa main) :
À présent j'ose,
Car le passé m'encouragea de son parfum !
Oui, j'ose maintenant. Voilà. J'aime quelqu'un.
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Qui ne le sait pas d'ailleurs.
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Pas encore.
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Mais qui va bientôt le savoir, s'il l'ignore.
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Un pauvre garçon qui jusqu'ici m'aima
Timidement, de loin, sans oser le dire...
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre. -
Mais moi j'ai vu trembler les aveux sur sa lèvre.
CYRANO :
Ah !...
ROXANE (achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir) :
Et figurez-vous, tenez, que, justement
Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment !
CYRANO :
Ah !...
ROXANE (riant) :
Puisqu'il est cadet dans votre compagnie !
CYRANO :
Ah !...
ROXANE :
Il a sur son front de l'esprit, du génie,
Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau...
CYRANO (se levant tout pâle) :
Beau !
ROXANE :
Quoi ? Qu'avez-vous ?
CYRANO :
Moi, rien... c'est... c'est...
(Il montre sa main, avec un sourire.)
C'est ce bobo.
ROXANE :
Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous dise
Que je ne l'ai jamais vu qu'à la Comédie...
CYRANO :
Vous ne vous êtes donc pas parlé ?
ROXANE :
Nos yeux seuls.
CYRANO :
Mais comment savez-vous, alors ?
ROXANE :
Sous les tilleuls
De la place Royale, on cause... Des bavardes
M'ont renseignée...
CYRANO :
Il est cadet ?
ROXANE :
Cadet aux gardes.
CYRANO :
Son nom ?
ROXANE :
Baron Christian de Neuvillette.
CYRANO :
Hein ?...
Il n'est pas aux cadets.
ROXANE :
Si, depuis ce matin
Capitaine Carbon de Castel-Jaloux.
CYRANO :
Vite,
Vite, on lance son cœur !... Mais ma pauvre petite...
LA DUÈGNE (ouvrant la porte du fond) :
J'ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac !
CYRANO :
Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac !
(La Duègne disparaît.)
...Ma pauvre enfant, vous qui n'aimez que beau langage,
Bel esprit, - si c'était un profane, un sauvage.
ROXANE :
Non, il a les cheveux d'un héros de d'Urfé !
CYRANO :
S'il était aussi maldisant que bien coiffé !
ROXANE :
Non, tous les mots qu'il dit sont fins, je le devine !
CYRANO :
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
- Mais si c'était un sot !...
ROXANE (frappant du pied) :
Eh bien ! j'en mourrais, là !
CYRANO (après un temps) :.
Vous m'avez fait venir pour me dire cela ?
Je n'en sens pas très bien l'utilité, madame.
ROXANE :
Ah, c'est que quelqu'un hier m'a mis la mort dans l'âme,
Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons
Dans votre compagnie...
CYRANO :
Et que nous provoquons
Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre
Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l'être ?
C'est ce qu'on vous a dit ?
ROXANE :
Et vous pensez si j'ai
Tremblé pour lui !
CYRANO (entre ses dents) :
Non sans raison !
ROXANE :
Mais j'ai songé
Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes,
Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes, -
J'ai songé : s'il voulait, lui que tous ils craindront...
CYRANO :
C'est bien, je défendrai votre petit baron.
ROXANE :
Oh, n'est-ce pas que vous allez me le défendre ?
J'ai toujours eu pour vous une amitié si tendre.
CYRANO :
Oui, oui.
ROXANE :
Vous serez son ami ?
CYRANO :
Je le serai.
ROXANE :
Et jamais il n'aura de duel ?
CYRANO :
C'est juré.
ROXANE :
Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m'en aille.
(Elle remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et, distraitement.)
Mais vous ne m'avez pas raconté la bataille
De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï !...
- Dites-lui qu'il m'écrive.
(Elle lui envoie un petit baiser de la main.)
Oh ! je vous aime !
CYRANO :
Oui, oui.
ROXANE :
Cent hommes contre vous ? Allons adieu. - Nous sommes
De grands amis !
CYRANO :
Oui, oui.
ROXANE :
Qu'il m'écrive ! - Cent hommes ! -
Vous me direz plus tard. Maintenant je ne puis.
Cent hommes ! Quel courage !
CYRANO (la saluant) :
Oh ! j'ai fait mieux depuis.
(Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux à terre. Un silence. La porte de droite s'ouvre. Ragueneau passe la tête.)
Edmond Rostand
Cyrano de Bergerac
1897
Un tendre rendez-vous
- Cette scène se rapproche d'un rendez-vous galant. C'est en tout cas ce que Cyrano espère.
- L'énonciation rappelle que les deux personnages sont seuls ensemble : "pour me dire", "Vous venez".
- Il s'agit d'un moment privilégié pour Cyrano qui fait des références religieuses : "béni".
- On retrouve le thème du dévouement à la bien-aimée
Roxane est sensible au courage de Cyrano : "brave jeu d'épée ". Il dit lui-même : "Je me suis donc battu".
- On retrouve le thème du dévouement à la bien-aimée
- Cyrano fait plusieurs compliments sur la beauté de Roxane.
L'évocation du passé
- Les deux personnages ont une vraie complicité. Ils sont proches depuis l'enfance.
- On relève une évocation du passé avec Cyrano qui est pour Roxane un "presque frère".
- Cette nostalgie se ressent avec les "épées" de Cyrano, les "poupées" de Roxane.
- Roxane représente pour Cyrano une "Dame", mais aussi une "sœur", "une cousine des vacances", une "amie d'enfance".
- Il n'y a qu'un seul passage avec le tutoiement. Malgré leur complicité, une certaine distance entre les personnages.
L'aveu aveuglé de Roxane
- L'évocation du passé crée une tendresse qui laisse Cyrano espérer que l'aveu d'amour est pour lui : 'j'ose", et exclamation de Cyrano "ah !".
- L'aveu tant espéré par Cyrano se retourne brutalement contre lui quand il apprend que l'homme que Roxane aime est "beau".
- Roxane ne pense qu'à son amour pour Christian et ne se rend pas compte que son cousin l'aime et se moque de Christian.
- Son amour pour Christian est un coup de foudre.
- D'abord Roxane est gênée comme le soulignent les nombreux points de suspension.
- Cyrano la presse : "vite, vite, on lance son cœur".
Il se montre protecteur : "mais, ma pauvre petite", "ma pauvre enfant".
Il est jaloux, mais Roxane ne s'en rend pas compte. - Cyrano se moque de Christian : "Ma pau/vr(e) enfant/ vous qui/ n'aimez/ que beau/ langag(e)", "profane, sauvage". Roxane ne relève pas l'ironie et continue : "tous les mots qu'il dit sont fins".
- Roxane est aveuglée par son amour. Elle réagit de façon excessive. Elle "frapp[e] du pied", elle déclare : "eh bien ! j'en mourrais, là".
Elle apparaît comme une petite fille. - Roxane demande à Cyrano de protéger Christian sans réaliser la peine qu'elle lui fait. Elle le flatte : "invincible, grand" et l'oppose aux "coquin" et "brutes".
- Roxane assure son amitié, ce qui blesse encore plus Cyrano, mais une fois encore elle ne le réalise pas : "ami", "aime bien", "je vous aime".
- Elle demande même à Cyrano d'arranger un rendez-vous avec Christian : "dites-lui qu'il m'écrive".
Le pathétique
- La ponctuation est très expressive dans la scène, l'abondance d'exclamations et d'interrogations trahissent l'émotion des personnages.
- La situation est assez pathétique, avec Cyrano qui attend de pouvoir donner sa lettre, mais aussi parce que les personnages ne se comprennent pas.
- Cyrano se sacrifie avec répétition inaudible de "oui, oui". Le lecteur ressent la souffrance du personnage qui aime Roxane et ne peut lui dire.
- C'est une situation pathétique car Roxane fait parfaitement confiance à Cyrano, qui sent qu'il ne peut pas la trahir et lui avouer son amour.
Le comique
- Roxane remercie Cyrano. Cela est assez amusant. Grâce à lui elle se débarrasse de quelqu'un qui l'importunait. Elle l'appelle d'ailleurs un "drôle".
- Elle le qualifie également de "fait" car il est imbu de lui-même. Les insultes de Roxane sont d'autant plus amusantes qu'elle-même n'est pas complètement noble et qu'elle se montre assez fière d'elle-même.
- On souligne aussi le comique de la scène avec la sortie de la Duègne car Cyrano lui a donné des gâteaux.
- Les didascalies montrent que chacun des personnages à son propre but.
- Cyrano se montre assez spirituel.
Comment l'atmosphère du rendez-vous galant change-t-elle ?
I. Les apparences d'un rendez-vous galant
II. L'aveu de regard
III. Le pathétique de la scène
En quoi cette scène est-elle tragi-comique ?
I. Le comique de la scène
II. Le pathétique
III. Un quiproquo malheureux
Quelle relation se dessine entre les deux personnages ?
I. Une tendresse venue de l'enfance
II. L'aveuglement de Roxane
III. Cyrano, amoureux de sa cousine
En quoi cette scène est-elle basée sur un quiproquo ?
I. Un rendez-vous apparemment galant
II. L'aveu aveuglé de Roxane
III. Cyrano, le silence sur son amour