Sommaire
ILa lettre au centre de la scèneIILes enjeux de la scèneIIILa tension entre les personnagesIVLa prise de pouvoir de RosineVLa mise en abyme : théâtre dans le théâtreBARTHOLO :
De quelle offense parlez-vous ?
ROSINE :
C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un.
BARTHOLO :
De sa femme ?
ROSINE :
Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne ?
BARTHOLO :
Vous voulez me faire prendre le change1, et détourner mon attention du billet qui, sans doute, est une missive de quelque amant2. Mais je le verrai, je vous assure.
ROSINE :
Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu.
BARTHOLO :
Qui ne vous recevra point.
ROSINE :
C'est ce qu'il faudra voir.
BARTHOLO :
Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes ; mais, pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte.
ROSINE (pendant qu'il y va) :
Ah, Ciel ! que faire ? Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu3 de la prendre.
(Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette4, de façon qu'elle sorte un peu.)
BARTHOLO (revenant) :
Ah ! j'espère maintenant la voir.
ROSINE :
De quel droit, s'il vous plaît ?
BARTHOLO :
Du droit le plus universellement reconnu, celui du plus fort.
ROSINE :
On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi.
BARTHOLO (frappant du pied) :
Madame ! Madame !
ROSINE (tombe sur un fauteuil, et feint de se trouver mal.)
Ah ! quelle indignité !
BARTHOLO :
Donnez cette lettre, ou craignez ma colère.
ROSINE (renversée) :
Malheureuse Rosine !
BARTHOLO :
Qu'avez-vous donc ?
ROSINE :
Quel avenir affreux !
BARTHOLO :
Rosine !
ROSINE :
J'étouffe de fureur.
BARTHOLO :
Elle se trouve mal.
ROSINE :
Je m'affaiblis, je meurs.
BARTHOLO (à part) :
Dieux ! la lettre ! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite.
(Il lui tâte le pouls et prend la lettre qu'il tâche de lire en se tournant un peu.)
ROSINE (toujours renversée) :
Infortunée ! ah !
BARTHOLO (lui quitte le bras et dit à part) :
Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir !
ROSINE :
Ah ! pauvre Rosine !
BARTHOLO :
L'usage des odeurs5… produit ces affections spasmodiques6.
(Il lit par-derrière le fauteuil, en lui tâtant le pouls. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler.)
BARTHOLO (à part) :
Ô Ciel ! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude ! Comment l'apaiser maintenant ? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue !
(Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette.)
1 changer d'attitude (par distraction).
2 amoureux (aucune notion d'adultère à l'époque).
3 jouons-lui un bon tour.
4 petite poche de son tablier.
5 parfums.
6 crises nerveuses.
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Le Barbier de Séville
1775
La lettre au centre de la scène
- La scène tourne autour de la lettre.
- D'abord, Rosine refuse que Bartholo la lise.
- Puis elle échange les lettres.
- Rosine force ensuite Bartholo à lire la lettre qu'elle a changé, mais elle sait qu'il l'a déjà lue.
- C'est une scène de quiproquo.
Les enjeux de la scène
- La lettre a de l'importance, avec la répétition du champ lexical de la lettre : "lettre", "missive", "billet".
- L'enjeu est de savoir ce qu'est cette lettre, et quel en est le contenu.
- La lettre est aussi un symbole d'intimité. Bartholo va-t-il comprendre que Rosine aime un autre homme ?
- La lettre a un autre enjeu. Elle prouve que Bartholo ne fait pas confiance à Rosine et qu'il ne respecte pas son intimité.
La tension entre les personnages
- Il y a un rapport de force dans la scène entre Rosine et Bartholo. Rosine refuse de montrer la lettre, Bartholo veut la forcer à le faire.
- Ils se font du chantage mutuellement. Rosine menace de s'enfuir et Bartholo menace de murer les fenêtres.
- Bartholo semble avoir le dessus au début. Mais Rosine substitue une autre lettre à celle qu'il veut lire. Elle reprend alors le dessus. Elle présente la lettre de son cousin.
- Rosine prend alors définitivement l'ascendant sur Bartholo.
La prise de pouvoir de Rosine
- Rosine se révèle être une héroïne dans cette scène. C'est la première fois qu'elle tient tête à Bartholo.
- L'amour rend la jeune femme héroïque. C'est pour protéger Lindor qu'elle cache la lettre.
- Dans cette scène, Rosine se montre rusée, courageuse mais aussi inventive.
- On peut parler de révolte de Rosine. Elle refuse que Bartholo la traite comme si elle lui appartenait. Elle lui rappelle sa place, il ne sera pas son mari, il est son tuteur. Elle le prend à son propre jeu.
La mise en abyme : théâtre dans le théâtre
- Les didascalies ont une grande importance dans la scène.
- Il y a des informations sur la gestuelle : "soupire", "baissant les yeux".
- On est en présence du registre pathétique avec le champ lexical de la mort. Rosine parle d'elle à la troisième personne, insiste sur sa position tragique.
- Rosine se montre bonne comédienne, elle joue à la tragédienne. C'est une mise en abyme dans ce sens, Rosine joue un rôle, elle met en scène.
- Elle fait semblant de s'évanouir et Bartholo ne pense qu'à la lettre (comique de situation).
- Le changement de situation provoque aussi le rire : avant l'évanouissement, Rosine refuse que Bartholo lise la lettre. Ensuite, elle insiste.
Quel est le rapport de force entre les personnages ?
I. Le quiproquo de la lettre
II. Le premier affrontement entre Bartholo et Rosine
III. La prise de pouvoir par Rosine
Quel portrait est fait de Rosine dans cette scène ?
I. Une femme amoureuse : la protection de la lettre
II. Une femme rusée : l'art de mettre en scène
III. Une femme de pouvoir
En quoi cette scène est-elle comique ?
I. Le quiproquo
II. La mise en abyme
III. Bartholo et Rosine, le rapport de force