Sommaire
IUn éloge de soi-même : Matamore se pense héroïqueIIMatamore, un personnage ridiculeIIIUn faux galantIVLe double jeu de ClindorVUne scène baroqueCLINDOR :
Quoi ! monsieur, vous rêvez ! et cette âme hautaine,
Après tant de beaux faits, semble être encore en peine !
N'êtes-vous point lassé d'abattre des guerriers,
Et vous faut-il encor quelques nouveaux lauriers ?
MATAMORE :
Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre
Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre,
Du grand sophi de Perse, ou bien du grand mogor.
CLINDOR :
Eh ! de grâce, monsieur, laissez-les vivre encor :
Qu'ajouterait leur perte à votre renommée ?
D'ailleurs quand auriez-vous rassemblé votre armée ?
MATAMORE :
Mon armée ? Ah, poltron ! Ah, traître ! Pour leur mort
Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ?
Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
Défait les escadrons, et gagne les batailles.
Mon courage invaincu contre les empereurs
N'arme que la moitié de ses moindres fureurs ;
D'un seul commandement que je fais aux trois parques,
Je dépeuple l'état des plus heureux monarques ;
Le foudre est mon canon, les destins mes soldats :
Je couche d'un revers mille ennemis à bas.
D'un souffle je réduis leurs projets en fumée ;
Et tu m'oses parler cependant d'une armée !
Tu n'auras plus l'honneur de voir un second Mars :
Je vais t'assassiner d'un seul de mes regards,
Veillaque. Toutefois je songe à ma maîtresse :
Ce penser m'adoucit : va, ma colère cesse,
Et ce petit archer qui dompte tous les dieux
Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux.
Regarde, j'ai quitté cette effroyable mine
Qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine ;
Et, pensant au bel œil qui tient ma liberté,
Je ne suis plus qu'amour, que grâce, que beauté.
Corneille
L'Illusion comique
1639
Un éloge de soi-même : Matamore se pense héroïque
- Dans la tirade, on relève de nombreux pronoms à la première personne du singulier : "mon armée"; "mon courage", "je dépeuple", "je vais". Cela donne l'impression que le personnage est vraiment concentré sur lui-même et ne pense qu'à lui.
- Il y a une utilisation du champ lexical du pouvoir et de la destruction : "armer", "muraille", "empereurs", "arme", "commandement", "canon", "assassiner", "dompter", "détruit", "massacre", "brûle".
- L'opposition singulier/pluriel permet de montrer que Matamore se compare à tous les autres, et se croit plus fort que tout le monde.
- Il y a de nombreux termes issus du vocabulaire héroïque. Il parle notamment de "sa réputation", "son courage", il se dit "invaincu". Il parle de "sa maîtresse", ce qui rappelle les chevaliers qui avaient une femme aimée.
- Matamore se peint aussi en dieu de la guerre.
- Il y a un emploi du vocabulaire antique : "trois parques", "Jupiter".
Matamore, un personnage ridicule
- On trouve toujours des termes élogieux à la rime.
- Il y a de nombreuses hyperboles qui sont ridicules et invraisemblables.
- Le personnage est superficiel. Ses répliques sont trop longues. Il semble vivre à travers elles. C'est un véritable personnage de théâtre, qui vit grâce à la parole.
- Les accumulations finissent par souligner l'invraisemblance du récit. Chaque vers est une façon de renchérir sur ce qui a été dit avant, comme si Matamore essayait de battre son propre discours.
- Les armes de Matamore sont d'abord la foudre, puissante arme, puis le revers de la main, et enfin son souffle.
Il va vers l'abstraction, ce qui prête à rire : "Je dépeuple l'état des plus heureux monarques / Le foudre est mon canon, les destins mes soldats / Je couche d'un revers mille ennemis à bas./ D'un souffle je réduis leurs projets en fumée".
Un faux galant
- Il y a une reprise comique de l'idée que le regard tue. Cette idée est souvent utilisée dans la littérature romantique. Ici, Matamore en fait une arme guerrière et menace de tuer Clindor d'un seul regard.
- Le changement d'attitude chez Matamore passe d'une rhétorique guerrière à une rhétorique amoureuse. Il se met à parler de son amour pour Isabelle. Ce revirement soudain est marqué par l'utilisation de l'adverbe "toutefois".
- Ce passage vers un discours amoureux dissimule la peur d'agir de Matamore qui se trouve des excuses.
- Le discours hyperbolique amoureux est de nouveau ridicule. Il réutilise des images connues, mais de façon étrange. Ainsi, le "petit archer", Cupidon, vient tuer la mort dans ses yeux.
- Tout comme dans le discours guerrier, dans le discours amoureux, Matamore finit par devenir abstraction. Il n'est plus que "grâce", "amour" et "beauté".
Le double jeu de Clindor
- Clindor est spectateur et metteur en scène dans cet extrait.
- À deux reprises, il relance son maître. Il lui pose des questions pour mieux l'entendre exagérer sa bravoure et son amour.
- Les répliques sont courtes, exclamatives et interrogatives. Ce sont des questions ironiques lancées à Matamore, qui ne s'en rend pas compte.
- Clindor est spectateur, puisqu'il regarde son maître parler. Il est aussi metteur en scène, dans le sens où il pousse son maître à parler.
- On remarque la supériorité du valet sur son maître.
- Clindor est complice du spectateur. Son ironie souligne qu'il se moque de Matamore, comme le spectateur.
Une scène baroque
- Cette scène est typique du courant baroque.
- Souvent, on trouve des oppositions à l'hémistiche. Les vers ne sont donc pas parfaitement réguliers, comme il est courant qu'ils le soient à l'époque classique. Corneille prend une certaine liberté.
- Il y a de très nombreuses exagérations et des hyperboles dans le discours de Matamore. On trouve également des images invraisemblables. Tout cela est baroque.
- Matamore est un fanfaron qui change d'humeur facilement. Ce n'est pas un personnage qu'on trouve traditionnellement dans le théâtre classique.
- La scène est fondée sur l'illusion. Matamore se met en scène.
Quel portrait est fait de Matamore dans cette scène ?
I. Un héros guerrier
II. Un amant galant
III. Un personnage ridicule
Comment Corneille peint-il un personnage ridicule ?
I. Un discours hyperbolique
II. L'opposition à un Clindor ironique
III. Matamore, un fanfaron
En quoi cette scène est-elle baroque ?
I. Un discours hyperbolique
II. L'importance de l'illusion
III. Matamore, un fanfaron