Sommaire
ICélimène, au centre de la scèneIILa maîtrise du discoursIIILa caricature des courtisansIVUne critique de la sociétéÉLIANTE :
Voici les deux marquis qui montent avec nous :
Vous l'est-on venu dire ?
CÉLIMÈNE :
Oui. Des sièges pour tous.
(à Alceste.)
Vous n'êtes pas sorti ?
ALCESTE :
Non ; mais je veux, Madame,
Ou pour eux, ou pour moi, faire expliquer votre âme.
CÉLIMÈNE :
Taisez-vous.
ALCESTE :
Aujourd'hui vous vous expliquerez.
CÉLIMÈNE :
Vous perdez le sens.
ALCESTE :
Point. Vous vous déclarerez.
CÉLIMÈNE :
Ah !
ALCESTE :
Vous prendrez parti.
CÉLIMÈNE :
Vous vous moquez, je pense.
ALCESTE :
Non ; mais vous choisirez : c'est trop de patience.
CLITANDRE :
Parbleu ! je viens du Louvre, où Cléonte, au levé,
Madame, a bien paru ridicule achevé.
N'a-t-il point quelque ami qui pût, sur ses manières,
D'un charitable avis lui prêter les lumières ?
CÉLIMÈNE :
Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort ;
Partout il porte un air qui saute aux yeux d'abord ;
Et lorsqu'on le revoit après un peu d'absence,
On le retrouve encor plus plein d'extravagance.
ACASTE :
Parbleu ! s'il faut parler des gens extravagants,
Je viens d'en essuyer un des plus fatigants :
Damon, le raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise,
Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise.
CÉLIMÈNE :
C'est un parleur étrange, et qui trouve toujours
L'art de ne vous rien dire avec de grands discours ;
Dans les propos qu'il tient, on ne voit jamais goutte,
Et ce n'est que du bruit que tout ce qu'on écoute.
ÉLIANTE (à Philinte) :
Ce début n'est pas mal ; et contre le prochain
La conversation prend un assez bon train.
CLITANDRE :
Timante encor, Madame, est un bon caractère.
CÉLIMÈNE :
C'est de la tête aux pieds un homme tout mystère,
Qui vous jette en passant un coup d'œil égaré,
Et, sans aucune affaire, est toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite en grimaces abonde ;
À force de façons, il assomme le monde ;
Sans cesse il a, tout bas, pour rompre l'entretien,
Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien ;
De la moindre vétille il fait une merveille,
Et jusques au bonjour, il dit tout à l'oreille.
ACASTE :
Et Géralde, Madame ?
CÉLIMÈNE :
Ô l'ennuyeux conteur !
Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur ;
Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse,
Et ne cite jamais que duc, prince ou princesse :
La qualité l'entête ; et tous ses entretiens
Ne sont que de chevaux, d'équipage et de chiens ;
Il tutaye en parlant ceux du plus haut étage,
Et le nom de Monsieur est chez lui hors d'usage.
CLITANDRE :
On dit qu'avec Bélise il est du dernier bien.
CÉLIMÈNE :
Le pauvre esprit de femme ! et le sec entretien !
Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le martyre,
Il faut suer, sans cesse, à chercher que lui dire ;
Et la stérilité de son expression,
Fait mourir, à tous coups, la conversation.
En vain, pour attaquer son stupide silence,
De tous les lieux communs, vous prenez l'assistance ;
Le beau temps, et la pluie, et le froid, et le chaud,
Sont des fonds, qu'avec elle, on épuise bientôt.
Cependant, sa visite, assez insupportable,
Traîne en une longueur, encore, épouvantable ;
Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois,
Qu'elle grouille autant qu'une pièce de bois.
ACASTE :
Que vous semble d'Adraste ?
CÉLIMÈNE :
Ah ! quel orgueil extrême !
C'est un homme gonflé de l'amour de soi-même ;
Son mérite, jamais, n'est content de la cour,
Contre elle, il fait métier de pester chaque jour ;
Et l'on ne donne emploi, charge, ni bénéfice,
Qu'à tout ce qu'il se croit, on ne fasse injustice.
CLITANDRE :
Mais le jeune Cléon, chez qui vont, aujourd'hui,
Nos plus honnêtes gens, que dites-vous de lui ?
CÉLIMÈNE :
Que de son cuisinier, il s'est fait un mérite,
Et que c'est à sa table, à qui l'on rend visite.
ÉLIANTE :
Il prend soin d'y servir des mets fort délicats.
CÉLIMÈNE :
Oui, mais je voudrais bien qu'il ne s'y servît pas,
C'est un fort méchant plat, que sa sotte personne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu'il donne.
PHILINTE :
On fait assez de cas de son oncle Damis ;
Qu'en dites-vous, Madame ?
CÉLIMÈNE :
Il est de mes amis.
PHILINTE :
Je le trouve honnête homme, et d'un air assez sage.
CÉLIMÈNE :
Oui, mais il veut avoir trop d'esprit, dont j'enrage ;
Il est guindé sans cesse ; et, dans tous ses propos,
On voit qu'il se travaille à dire de bons mots.
Depuis que dans la tête, il s'est mis d'être habile,
Rien ne touche son goût, tant il est difficile ;
Il veut voir des défauts à tout ce qu'on écrit,
Et pense que louer, n'est pas d'un bel esprit.
Que c'est être savant, que trouver à redire ;
Qu'il n'appartient qu'aux sots, d'admirer, et de rire ;
Et qu'en n'approuvant rien des ouvrages du temps,
Il se met au-dessus de tous les autres gens.
Aux conversations, même il trouve à reprendre,
Ce sont propos trop bas, pour y daigner descendre ;
Et, les deux bras croisés, du haut de son esprit,
Il regarde en pitié, tout ce que chacun dit.
ACASTE :
Dieu me damne, voilà son portrait véritable.
Molière
Le Misanthrope
1666
Célimène, au centre de la scène
- Le rôle des marquis autour de Célimène est de relancer la conversation.
- Le rythme de la scène est rapide.
- La rime de Clitandre est toujours suivie par la même rime de Célimène.
- Célimène a le plus de répliques.
- La question d'Acaste ne fait que six syllabes, ce n'est pas un alexandrin. C'est Célimène qui complète le vers.
- Elle généralise le propos : "homme", "femme".
- Tous les marquis autour d'elle s'adressent à elle.
La maîtrise du discours
- Célimène se révèle une très bonne oratrice. Elle maîtrise le discours.
- Langage précieux : "la moindre vétille".
- Il y a une richesse du vocabulaire et des jeux de mots.
- On reconnaît le champ lexical de la parole : "entretien", "conversation". Cela montre l'importance de la parole dans les mondanités.
- Elle met en avant l'importance de se maîtriser, de donner une bonne image de soi : "paraître".
- Elle cherche à plaire et donc prend toujours la parole pour être au centre de la scène.
La caricature des courtisans
- Célimène dresse un portrait caricatural des courtisans.
- Timante joue l'important. Il utilise le vocabulaire du paraître. Cela souligne l'idée qu'il se fait de son importance. Il veut que tout le monde le remarque.
- Géralde est hautain. Il ne cesse d'utilise le champ lexical de la noblesse pour rappeler sa position sociale.
- Adraste est vaniteux, il utilise le champ lexical de l'orgueil.
- En face de ces hommes, Bélise se montre assez bête, le champ lexical de l'ennui domine son discours.
Une critique de la société
- Ces portraits caricaturaux permettent une critique de la société.
- Le vocabulaire est dépréciatif : "débite, "assomme".
- La généralisation déprécie les personnages : "toujours", "jamais", "tout".
- Célimène critique tout le monde pour plaire.
- Molière fustige les courtisans qui sont toujours hypocrites. Pour plaire, ils feraient n'importe quoi. Il n'y a pas d'honnêteté. Les courtisans sont calculateurs et ridicules.
En quoi cette scène dénonce-t-elle l'hypocrisie ?
I. Le personnage de Célimène
II. La caricature des courtisans
III. Un portrait sombre de la société
Comment Célimène attire-t-elle l'attention sur elle ?
I. La maîtrise du discours
II. Le temps de parole
III. Elle fait rire son entourage
Pourquoi cette scène est-elle comique ?
I. La caricature des courtisans
II. Le jeu sur le discours
III. L'hypocrisie de Célimène