Sommaire
IDeux propositions inattendues : rebondissements dans l'intrigueIIL'argumentation d'AlcesteIIILe refus de Célimène et ÉlianteIVL'amertume d'AlcesteVUne fin heureuse ?ALCESTE :
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits ;
j'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
et me les couvrirai du nom d'une faiblesse
où le vice du temps porte votre jeunesse,
pourvu que votre cœur veuille donner les mains
au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains,
et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre,
vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre :
c'est par là seulement que, dans tous les esprits,
vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
et qu'après cet éclat, qu'un noble cœur abhorre,
il peut m'être permis de vous aimer encore.
CÉLIMÈNE :
Moi, renoncer au monde avant que de vieillir,
et dans votre désert aller m'ensevelir !
ALCESTE :
Et s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
que vous doit importer tout le reste du monde ?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents ?
CÉLIMÈNE :
La solitude effraye une âme de vingt ans :
je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds ;
et l'hymen...
ALCESTE :
Non : mon cœur à présent vous déteste,
et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,
pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
allez, je vous refuse, et ce sensible outrage
de vos indignes fers pour jamais me dégage.
(Célimène se retire, et Alceste parle à Éliante.)
Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu, qu'en vous, de la sincérité :
De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême,
Mais laissez-moi, toujours, vous estimer de même :
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos fers ;
Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître,
Que le Ciel, pour ce nœud, ne m'avait point fait naître ;
Que ce serait, pour vous, un hommage trop bas,
Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas :
Et qu'enfin...
ÉLIANTE :
Vous pouvez suivre cette pensée,
Ma main, de se donner, n'est pas embarrassée ;
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.
PHILINTE :
Ah ! cet honneur, Madame, est toute mon envie,
Et j'y sacrifierais et mon sang, et ma vie.
ALCESTE :
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L'un pour l'autre, à jamais, garder ces sentiments.
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices ;
Et chercher sur la terre, un endroit écarté,
Où d'être homme d'honneur, on ait la liberté.
PHILINTE :
Allons, Madame, allons employer toute chose,
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.
Molière
Le Misanthrope
1666
Deux propositions inattendues : rebondissements dans l'intrigue
- La proposition d'Alceste de fuir est inattendue. Il est surprenant qu'il soit encore amoureux de Célimène.
- Alceste tire parti de la situation dans laquelle se trouve Célimène. Il marchande : "Je veux bien, perfide, oublier vos forfaits". Proposition étrange, il insulte Célimène en même temps qu'il lui propose de l'épouser.
- Il semble encore amoureux de Célimène et croit pouvoir la rendre heureuse, la satisfaire : "Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents ?"
- Cette proposition d'autant plus inattendue que Célimène s'est moquée d'Alceste, et qu'il a compris qu'elle était une hypocrite, lui qui déteste les hypocrites.
- Champ lexical de l'amour : "feux", "flammes", "désirs", "mon cœur", "des liens si doux".
- Tout de suite après le refus de Célimène, Alceste demande Éliante en mariage. Nouveau rebondissement inattendu qui rappelle le caractère ridicule d'Alceste.
L'argumentation d'Alceste
- Pour que Célimène accepte sa proposition, Alceste tente de la faire se sentir coupable. Il rappelle ainsi qu'elle est une hypocrite en l'appelant "perfide".
Il parle également de ses "forfaits", terme placé à la césure du vers pour le mettre en valeur. - Alceste assure qu'il peut lui pardonner. Champ lexical du pardon : "oublier", "excuser". Pareillement à "forfaits", placé juste après la césure pour une mise en valeur.
- Des connecteurs logiques sont utilisés : "Pourvu que", "et que", "sans tarder". Il y a une véritable argumentation.
- L'argumentation est ambiguë. Alceste ne cesse d'accuser Célimène : "le mal de vos écrits", "outrage", "abhorre".
- En parlant à Éliante, Alceste met en avant sa "sincérité". Il exagère avec des hyperboles comme "je fais un cas extrême". Au contraire de son argumentation avec Célimène, il rappelle ici qu'Éliante est meilleure que lui et qu'il ne la mérite pas : "Ne se présente point à l'honneur de vos fers", "Je m'en sens trop indigne", "pour vous, un hommage trop bas", "un cœur qui ne vous valait pas".
Le refus de Célimène et Éliante
- Célimène refuse la proposition.
- Elle oppose à Alceste sa jeunesse en utilisant le champ lexical de l'âge : "jeunesse", "vieillir", "vingt ans".
- Elle montre qu'ils sont trop différents. Alceste veut fuir la société alors que Célimène aime les mondanités.
- Il y a une opposition entre le "je" d'Alceste et le "moi" de Célimène.
- On trouve un refus de la solitude : "dans votre désert aller m'ensevelir". Une opposition est faite entre ce qui est à Alceste et à elle avec l'utilisation de "votre".
- Éliante, quant à elle, refuse la proposition d'Alceste très simplement. Elle lui coupe la parole et assure qu'elle va se marier, mais avec Philinte, son ami. Elle ne donne pas de justification, mais le spectateur n'en a pas besoin.
Alceste se montre particulièrement hypocrite en la demandant en mariage juste après le refus de Célimène.
Par ailleurs, le spectateur a vu Philinte et Éliante tomber amoureux.
L'amertume d'Alceste
- Alceste obtient l'ultime preuve que Célimène ne l'aime pas.
- Il y a une rupture définitive entre les deux personnages : "De vos indignes fers pour jamais me dégage." Son amour pour Célimène est comparé à une prison avec "fers".
- L'expression "pour jamais" est placée après la césure. Cela souligne l'idée de rupture totale.
- Alceste définit l'amour avec un chiasme : "Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous". L'amour d'Alceste est tout de même un amour violent et étrange, dans le sens où il estime que la personne aimée ne doit avoir qu'un lien dans la vie, qu'un but : l'autre.
- Il souhaite le bonheur à son ami et Éliante, mais il est plein d'amertume et projette de vivre dans un "endroit écarté".
Une fin heureuse ?
- Pour le spectateur, cette fin de comédie est heureuse.
D'une part, elle est très comique avec la double proposition de mariage d'Alceste.
D'autre part, le couple positif de la pièce, Philinte et Éliante, vont se marier. C'est donc le triomphe de l'amour véritable. - Le thème de la mort est pourtant très présent dans cette fin de comédie. Célimène l'évoque quand elle refuse de partir avec Alceste. Elle assure que cela sera comme mourir : "Moi, renoncer au monde avant que de vieillir", "m'ensevelir".
- Cette idée est soulignée par la solitude d'Alceste et son envie de s'isoler dans le désert. Malgré le triomphe de l'amour et le mariage, le héros de la pièce, Alceste, finit seul. Il est désabusé, triste, et quitte définitivement la société.
En quoi cette fin de comédie est-elle ambiguë ?
I. Une scène comique : la double demande en mariage
II. Une fin heureuse : le mariage du couple positif
III. Une certaine amertume : le thème de la mort et la solitude d'Alceste
En quoi Alceste est-il ridicule dans cette scène ?
I. Une double demande en mariage
II. Un déclaration d'amour teintée de reproches pour Célimène
III. Un hypocrite qui se tourne vers Éliante
Quels sont les différents rebondissements de la pièce ?
I. Une double demande en mariage
II. Un double refus
III. Le mariage du couple positif