Sommaire
IUne scène osée : actualisation du mytheIILe thème de l'amourIIILa relation mère/filsIVLe thème de la fatalitéJOCASTE :
Œdipe ! Œdipe !
ŒDIPE (réveillé en sursaut) :
Hein ?
JOCASTE :
Tu t'endormais !
ŒDIPE :
Moi ? pas du tout.
JOCASTE :
Si. Tu me parlais de chien, de chien qui refuse, de chien fontaine ; et moi je t'écoutais.
(Elle rit et semble, elle-même, tomber dans le vague.)
ŒDIPE :
C'est absurde !
JOCASTE :
Je te demande si tu veux que j'ôte le berceau. s'il te gêne...
ŒDIPE :
Suis-je un gamin pour craindre ce joli fantôme de mousseline ? Au contraire, il sera le berceau de ma chance. Ma chance y grandira près de notre premier amour, jusqu'à ce qu'il serve à notre premier fils. Alors !
JOCASTE :
Mon pauvre adoré... Tu meurs de fatigue et nous restons là... debout (même jeu qu'Œdipe), debout sur ce mur...
ŒDIPE :
Quel mur ?
JOCASTE :
Ce mur de ronde. (Elle sursaute.) Un mur... Hein ? Je.. je... (Hagarde.) Qu'y a-t-il ?
ŒDIPE (riant) :
Eh bien, cette fois, c'est toi qui rêves. Nous dormons debout, ma pauvre chérie.
JOCASTE :
J'ai dormi ? J'ai parlé ?
ŒDIPE :
Je te parle de chien de fontaine, tu me parles de mur de ronde : voilà notre nuit de noces. Ecoute, Jocaste, je te supplie, tu m'écoutes ? s'il m'arrive de m'endormir encore, je te supplie de me réveiller, de me secouer, et si tu t'endors, je ferai de même. Il ne faut pas que cette nuit unique sombre dans le sommeil. Ce serait trop triste.
JOCASTE :
Fou bien-aimé, pourquoi ? Nous avons toute la vie.
ŒDIPE :
C'est possible, mais je ne veux pas que le sommeil me gâche le prodige de passer cette nuit de fête profondément seul avec toi. Je propose d'ôter ces étoffes si lourdes et puisque nous n'attendons personne...
JOCASTE :
Ecoute, mon garçon chéri, tu vas te fâcher...
ŒDIPE :
Jocaste ! ne me dis pas qu'il reste encore quelque chose d'officiel au programme.
JOCASTE :
Pendant que mes femmes me coiffent, l'étiquette exige que tu reçoives une visite.
ŒDIPE :
Une visite ! à des heures pareilles !
JOCASTE :
Une visite... une visite... Une visite de pure forme.
ŒDIPE :
Dans cette chambre ?
JOCASTE :
Dans cette chambre.
ŒDIPE :
Et de qui cette visite ?
JOCASTE :
Ne te fâche pas. De Tirésias.
ŒDIPE :
Tirésias ? Je refuse !
JOCASTE :
Ecoute...
ŒDIPE :
C'est le comble ! Tirésias dans le rôle de la famille qui prodigue les derniers conseils. Laisse-moi rire et refuser la visite de Tirésias.
JOCASTE :
Mon petit fou, je te le demande. C'est une vieille coutume de Thèbes que le grand prêtre consacre en quelque sorte l'union des souverains. Et puis Tirésias est notre vieil oncle, notre chien de garde. Je l'aime beaucoup, Œdipe, et Laïus l'adorait ; il est presque aveugle. Il serait maladroit de le blesser et de le mettre contre notre amour.
ŒDIPE :
C'est égal... en pleine nuit...
JOCASTE :
Fais-le. Fais-le pour nous et pour l'avenir. C'est capital. Vois-le cinq minutes, mais vois-le, écoute-le. Je te le demande.
(Elle l'embrasse.)
ŒDIPE :
Je te préviens que je ne le laisserai pas s'asseoir.
JOCASTE :
Je t'aime. (Long baiser.) Je ne serai pas longue. (A la sortie de gauche.) Je vais le faire prévenir que la place est libre. Patience. Fais-le pour moi. Pense à moi.
Jean Cocteau
La Machine infernale
1932
Une scène osée : actualisation du mythe
- C'est la scène de nuit de noces entre Œdipe et sa mère Jocaste. Cette scène n'existe pas dans les œuvres précédentes. Cocteau se montre ici novateur.
- La scène est osée dans le sens où elle présente une forte intimité entre les personnages, et nous les montre sensuels l'un avec l'autre.
Le public connaît leur véritable identité et est choqué de cette scène. - Les personnages parlent dans un langage familier parfois ridicule (surnoms qu'ils se donnent).
- Invention du bonheur d'Œdipe et Jocaste qui permet de trouver d'autant plus tragique la situation. Jocaste pense ainsi : "Nous avons toute notre vie."
Le thème de l'amour
- Cocteau présente ici un couple d'amoureux.
- Le champ lexical de l'amour est employé : "amour", "adoré, "chérie", "bien-aimé", "je t'aime", "notre amour".
- Ce couple est tendre l'un envers l'autre. Ils s'embrassent à deux reprises : "elle l'embrasse", "long baiser".
- Il y a beaucoup de sensualité entre les deux personnages, Œdipe a hâte d'être seul avec Jocaste pour leur nuit de noces. Il précise que c'est une "nuit unique". Il rappelle : "Voilà notre nuit de noces".
- Il y a de la sensualité et l'annonce de l'inceste avec : "profondément seul avec toi", "ôter ces étoffes". Le désir est formulé.
La relation mère/fils
- Cette scène trahit pourtant la relation mère/enfant.
- Jocaste donne à Œdipe des surnoms : "mon garçon chéri", "mon petit fou".
- La présence du "berceau" "gêne" Jocaste.
- Jocaste désigne Œdipe par le terme "gamin".
- L'idée de l'enfance est rappelée également avec l'utilisation du verbe "fâcher".
Le thème de la fatalité
- La fatalité plane sur le couple. Les rêves servent ici à rappeler qui ils sont.
- Œdipe se réveille de son cauchemar au début de la scène. Il a peur. Il parle d'un chien. Il trouve le rêve "absurde" mais il a tout de même peur. Ainsi, il demande à Jocaste de le maintenir éveillé, il ne veut plus rêver.
- Jocaste est mal à l'aise à cause du berceau qui rappelle en fait qu'elle est la mère d'Œdipe.
- Il y a la terrible annonce des enfants que Jocaste et Œdipe vont avoir ensemble : "fils".
La relation incestueuse aura des fruits (Antigone, Ismène et leurs frères). - Jocaste a également peur du rêve qu'elle fait avec la ronde, le mur.
- Œdipe pense que le berceau est celui de sa "chance".
Le terme "chance" signifie aussi "sort", "fortune". C'est le destin.
Comment Cocteau modernise-t-il le mythe ?
I. Invention d'une nouvelle scène
II. Présentation d'une relation sensuelle
III. Le langage
Pourquoi peut-on dire que le destin pèse sur le couple ?
I. Les éléments qui rappellent la relation mère/fils
II. Les rêves
III. L'idée de fatalité
Quelle relation ont Jocaste et Œdipe dans cette scène ?
I. Une scène d'amour
II. La sensualité de la scène
III. Le rappel du lien mère/fils