Sommaire
ILes arguments du ComteIILes arguments de Don DiègueIIIL'insolence du Comte et la tentative de réconciliation de Don DiègueIVUne joute verbaleVL'annonce de la tragédieLE COMTE :
Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi
Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi,
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.
DON DIEGUE :
Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser les services passés.
LE COMTE :
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ;
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu'ils savent mal payer les services présents.
DON DIEGUE :
Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite ;
La faveur l'a pu faire autant que le mérite,
Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n'examiner rien quand un roi l'a voulu.
À l'honneur qu'il m'a fait ajoutez en un autre ;
Joignons d'un sacré noeud ma maison à la vôtre :
Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils ;
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'amis :
Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.
LE COMTE :
À des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ;
Et le nouvel éclat de votre dignité
Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.
Exercez-la, monsieur, et gouvernez le prince ;
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous la loi,
Remplir les bons d'amour et les méchants d'effroi ;
Joignez à ces vertus celles d'un capitaine :
Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille.
Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l'effet.
DON DIEGUE :
Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie,
Il lira seulement l'histoire de ma vie.
Là, dans un long tissu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter des nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.
LE COMTE :
Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir ;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Et qu'a fait après tout ce grand nombre d'années,
Que ne puisse égaler une de mes journées ?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd'hui,
Et ce bras du royaume est le plus ferme appui.
Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille ;
Mon nom sert de rempart à toute la Castille :
Sans moi, vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire :
Le prince à mes côtés ferait dans les combats
L'essai de son courage à l'ombre de mon bras ;
Il apprendrait à vaincre en me regardant faire ;
Et pour répondre en hâte à son grand caractère
Il verrait ...
DON DIEGUE :
Je le sais, vous servez bien le roi,
Je vous ai vu combattre et commander sous moi :
Quand l'âge dans mes nerfs a fait couleur sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place ;
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence
Un monarque entre nous met quelque différence.
LE COMTE :
Ce que je méritais, vous l'avez emporté.
DON DIEGUE :
Qui l'a gagné sur vous l'avait mieux mérité
LE COMTE :
Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.
DON DIEGUE :
En être refusé n'en est pas un bon signe.
LE COMTE :
Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan.
DON DIEGUE :
L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.
LE COMTE :
Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.
DON DIEGUE :
Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.
LE COMTE :
Et par là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.
DON DIEGUE :
Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.
LE COMTE :
Ne le méritait pas ! Moi ?
DON DIEGUE :
Vous.
LE COMTE :
Ton impudence,
Téméraire viellard, aura sa récompense.
(Il lui donne un soufflet.)
DON DIEGUE :
Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir le front.
LE COMTE :
Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ?
DON DIEGUE :
Ô Dieu ! ma force usée en ce besoin me laisse !
LE COMTE :
Ton épée est à moi, mais tu serais trop vain,
Si ce honteux trophée avait chargé ma main.
Adieu. Fais lire au prince, en dépit de l'envie,
Pour son instruction, l'histoire de ta vie ;
D'un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d'un petit ornement.
Pierre Corneille
Le Cid
1637
Les arguments du Comte
- Dans cette scène, le Comte remet en question le choix du roi de nommer Don Diègue gouverneur du prince. C'est un titre qu'il souhaitait pour lui-même. Déçu, il tente dans cette scène de prouver à Don Diègue qu'il est plus méritant que lui à ce poste.
- Le Comte donne pour cela plusieurs arguments. Il commence par rappeler que le roi peut se tromper : "Pour grands que soient les rois ils sont ce que nous sommes/ Ils peuvent se tromper comme les autres hommes."
- Il compare ses qualités à celles de Don Diègue et oppose aux "services passés" de son adversaire ses "services présents".
- Il se montre ironique en détaillant les besoins physiques du poste de gouverneur, et en faisant comprendre que Don Diègue est trop vieux désormais. Il faut "gouverner le prince", "régir les provinces", "faire trembler [...] les peuples". Il rappelle que le roi a besoin d'"exemples vivants".
Il oppose donc à la faiblesse et la vieillesse de Don Diègue sa jeunesse et sa vigueur. - Il assure qu'il est plus digne que Don Diègue de ce poste et rappelle sa force physique. Il exagère, affirmant que son "nom sert de rempart". Mise en valeur en début de vers de "Sans moi". Il rappelle ses succès : "lauriers sur lauriers", "victoire sur victoire".
- Il accuse Don Diègue d'avoir obtenu le poste juste parce qu'il est vieux : "vieux courtisan", "hommage à votre âge".
Les arguments de Don Diègue
- Don Diègue dans cette scène tente de justifier le choix du roi.
- Il rappelle d'abord qu'il a beaucoup donné pour Castille : "services passés".
- Il ne remet pas en doute la parole d'un roi, car elle est juste : "respect du pouvoir absolu"/"roi l'a voulu". La mention faite au pouvoir absolu rappelle que Corneille vit sous Louis XIV, roi Soleil qui exerce sur la France une monarchie absolue et interdit donc qu'on s'oppose à lui, qu'on le remette en question.
- Don Diègue insiste sur ses qualités : "faveur", "mérite".
- Il souligne ce qu'il peut apporter au roi en servant d'exemple grâce à son expérience : "s'instruire d'exemple", "histoire de ma vie", "belles actions".
- Il rappelle ce qu'il a fait : "dompter des nations", "ordonner une armée".
- Il insiste, comme le Comte, sur sa "renommée".
L'insolence du Comte et la tentative de réconciliation de Don Diègue
- Il est important de remarquer dans cette scène que Don Diègue ne veut pas se disputer avec le Comte.
Il est possible de prendre sa tentative pour ne pas se fâcher avec lui comme une reconnaissance de sa propre faiblesse physique. Il sait que dans un duel contre le Comte, il ne gagnerait pas.
On peut aussi y voir une vraie tentative de paix. - Le Comte attaque tout de suite Don Diègue et se montre très insolent. Il utilise le démonstratif dépréciatif "ce" pour parler de la décision du roi : "ce choix".
- Lorsque Don Diègue propose de ne pas se fâcher, et offre de donner sa fille Chimène en mariage au fils du comte, Rodrigue, le Comte insulte encore Don Diègue en affirmant que son fils peut avoir un "parti plus haut".
- Don Diègue souligne les mérites du Comte, il dit que s'il accepte le mariage, il lui rendra "grâce", il parle de "sacré nœud".
Une joute verbale
- Une véritable joute verbale finit par se produire.
- Au début de la scène, les répliques des personnages sont longues. Le Comte attaque en avançant ses arguments, et Don Diègue se défend et essaie de le raisonner.
- Au bout d'un moment, les répliques se font plus courtes. On peut parler de stichomythies. Une véritable joute verbale commence.
- Don Diègue finit par ne plus vouloir éviter la dispute. Il reconnaît la valeur du Comte, mais lui rappelle que lorsqu'il a été à la guerre, il a commandé sous lui : "commander sous moi". Il reconnaît sa "rare valeur" et lui dit "Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus", mais cette fois il le remet à sa place.
- Le Comte finit par se montrer véritable insolent en appelant Don Diègue "vieux courtisan". Cette fois, Don Diègue exprime clairement le fait qu'il a été choisi pour son "courage" et que "qui" n'a pas été choisi ne le méritait pas. C'est le coup fatal.
- Réaction du Comte : "Ne le méritait pas ? Moi !" Ponctuation expressive et coupure du rythme du vers qui souligne l'indignation et l'insulte. Don Diègue insiste : "Vous."
- Le Comte donne alors un "soufflet" à Don Diègue, une gifle. C'est l'affront.
L'annonce de la tragédie
- Cette scène annonce la tragédie à venir. Chimène et Rodrigue sont amoureux. Don Diègue a clairement demandé au Comte la main de sa fille pour son fils. Mais le Comte a refusé en insultant Don Diègue.
- Le spectateur, qui a vu avant les deux jeunes gens amoureux, comprend qu'ils ne vont pas pouvoir être ensemble.
- La scène se finit avec le coup porté contre Don Diègue. C'est un véritable affront.
- La question de l'honneur est centrale dans la pièce. Dans cette scène, les deux hommes ne cessent de le rappeler. C'est l'honneur du Comte qui est blessé, car il n'a pas eu le poste qu'il croyait mériter. C'est son honneur que Don Diègue défend. Champ lexical de l'honneur : "honneur", "récompenser", "faveur", "mérite", "respect", "vaillant", "briller", "ma gloire", "ma renommée", "laurier", "victoire", etc.
- C'est l'honneur de Don Diègue qui est bafoué à la fin : "rougir le front". Il ne peut pas se défendre. Le Comte l'insulte une dernière fois : "tant de faiblesse".
- Le mot "famille" a été cité. C'est l'honneur de la famille qu'il faut défendre. Non seulement les pères sont maintenant ennemis, mais en plus Rodrigue va devoir laver l'honneur de son père en tuant le Comte, père de la femme qu'il aime.
- Rappel des exploits guerriers des deux pères et notamment du "bras" plusieurs fois. Le bras de Rodrigue va bientôt frapper.
En quoi cette scène constitue-t-elle un duel ?
I. L'attaque du Comte et la défense de Don Diègue
II. Stichomythies : une joute verbale
III. La gifle, affront final
Quels sont les arguments du Comte pour justifier sa colère ?
I. L'erreur du roi
II. Il est plus méritant que Don Diègue
III. Don Diègue a eu le poste en raison de sa vieillesse
En quoi cette scène annonce-t-elle la suite tragique ?
I. Le Comte refuse le mariage
II. Le thème de l'honneur
III. Des pères ennemis : Rodrigue doit venger Don Diègue
Comment la scène est-elle construite ?
I. L'attaque du Comte et la défense de Don Diègue
II. La joute verbale
III. L'affront final