Louis Poirier, dit Julien Gracq
1910 - 2007
Français
Roman
Julien Gracq
Au château d'Argol
1938
Julien Gracq
Le Roi pêcheur
1948
Julien Gracq
Le Rivage des Syrtes
1951
Julien Gracq
Un balcon en forêt
1958
Julien Gracq
La Presqu'île
1970
Louis Poirier, dit Julien Gracq est issu d'une famille de commerçants. Pensionnaire au lycée de Nantes, il trouve refuge dans les livres : la lecture du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir est un éblouissement. À Paris, il étudie la géographie à l'École normale supérieure, puis commence une carrière de professeur au lycée de Nantes. En 1938, son premier roman, Au château d'Argol, est publié sous son pseudonyme Julien Gracq. Le livre suscite l'enthousiasme d'André Breton, sensible à l'atmosphère envoûtante du roman.
À l'opposé des romans qui multiplient les péripéties et les rebondissements, ce qui compte le plus pour Julien Gracq est la création d'un univers mystérieux, où les personnages, partagés entre la peur et le désir, entre le rêve le souvenir, attendent un événement qui tarde à venir. Comme l'écrit André Breton, dans L'Amour fou : "indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique." Dans les romans de Gracq, le héros est un guetteur, attentif à tous les signes du monde, qui découvre derrière l'apparence ordinaire des choses un secret, une vie plus intense. La réalité familière prend un nouveau visage. L'univers du roman rappelle ainsi celui des contes, des légendes inquiétantes, un monde riche de symboles et ouvert à la poésie.
Mobilisé pendant la guerre, Gracq tombe gravement malade en Allemagne, dans un camp de prisonniers. En 1947, il est nommé dans un lycée parisien. Il poursuit son œuvre et condamne violemment, dans un essai intitulé La Littérature à l'estomac, ceux qui ne voient dans le livre qu'un objet de commerce. Il refuse ainsi le prix Goncourt en 1951 pour Le Rivage des Syrtes.
Le jeune héros de l'œuvre, Aldo, est envoyé à l'extrémité de la seigneurie d'Orsenna. Il est chargé de provoquer une guerre avec le Farghistan qui lui fait face par-delà la mer des Syrtes. Seul ou en compagnie de Vanessa, Aldo s'enlise dans l'attente du combat. Délégué par la seigneurie comme observateur de la flotte d'Orsenna, il sera l'instrument du destin : cédant à une impulsion irrésistible, il rapproche son navire des côtes ennemies et essuie trois coups de canon. Il n'en faut pas plus pour déclencher une guerre.
Un balcon en forêt, c'est la drôle de guerre de 1939 - 1940. L'aspirant Grange est isolé avec trois hommes dans un blockhaus des Ardennes. Sur ce sommet, il éprouve la griserie d'avoir "largué ses attaches" et entre "dans un monde racheté, lavé de l'homme". Pour lui, l'inactivité due à cette "fausse guerre" lui fournissent l'occasion d'analyser son sentiment de dépaysement, dans l'attente d'une catastrophe indéfinissable.
On reconnaît donc dans cette aventure, pourtant vécue, les mêmes dominantes surréalistes que dans Le Rivage des Syrtes, jusque dans l'évocation de mai 1940, au moment où l'ensemble du front est en pleine action. Les Allemands avancent sans avoir encore attaqué le "balcon en forêt". Ses occupants, des "enfants perdus", n'ont pas de contacts avec l'extérieur et sont comme des oubliés de la guerre. Mais un blindé surgit et deux hommes du blockhaus meurent tués. Grange est blessé et meurt un peu plus tard. Le survivant quitte le lieu et le lecteur n'a aucune idée de l'endroit vers lequel il se dirige.
Le récit de La Presqu'île ne comporte pas d'intrigue à proprement parler. Tout l'intérêt réside dans les impressions éprouvées, dans l'atmosphère de mystère, d'attente et dans l'art de Julien Gracq qui est ici au sens propre comme au sens figuré celui du clair-obscur. Invité par un ami compositeur, le narrateur, réformé après une blessure, arrive un soir d'automne en 1917 dans un village sous des rafales de vent et de pluie. Le maître de maison, lieutenant et aviateur, n'est pas au rendez-vous, ce qui fait naître à son sujet, en cette veille du jour des morts, les pires craintes. Le narrateur a été accueilli par une femme, ou plutôt une présence, presque une ombre. Cependant la nuit avance, dans la demeure silencieuse, obscure et comme préservée.
Des expériences conduisent à un "roman différent", peut-être la conséquence de cette esthétique de la différence expérimentée par le surréalisme dans les années 1920 et prolongée dans l'œuvre de Julien Gracq. Mais dans les années 1960, la crise de l'humanisme ouverte quarante années plus tôt débouche sur une crise du langage dont a déjà témoigné Raymond Queneau. La recherche expérimentale d'une différence plus ou moins radicale se fonde sur le renversement du rapport entre la substance romanesque et le langage qui s'exprime si bien que la notion même d'expression se trouve mise en cause. Le langage n'est plus chargé d'exprimer un événement ou une psychologie mais tend à être à lui-même sa propre fin en vue d'une production qui ne saurait faire référence à aucune réalité. Le roman devient pure expérimentation, ce qui exclut toute analyse et toute explication.
Écrivain exigeant, Gracq est aussi un critique lucide qui consacre une grande partie de son œuvre à réfléchir sur la littérature.
Texte