Jean Genet
1910 - 1986
Français
Théâtre, roman, autobiographie
Jean Genet
Les Bonnes
1947
Jean Genet
Le Balcon
1956
Jean Genet
Les Nègres
1958
Jean Genet
Journal du voleur
1949
Jean Genet
Les Paravents
1961
Jean Genet naît à Paris d'un père inconnu. Il est abandonné par sa mère et placé par l'Assistance publique chez des paysans du Morvan. À l'âge de dix ans, il est accusé de vol. Cette incrimination pèse sur sa vie entière. Il décide en effet de refuser le monde qui l'a refusé : "moi-même je sentais le besoin de devenir ce qu'on m'accusait d'être", "j'ai décidé d'être ce que le crime a fait de moi". Il renverse alors le système des valeurs traditionnelles. Au fil des ans, il s'évade d'une maison de redressement, s'engage dans la légion, déserte, vole, se prostitue, est emprisonné, récidive, puis un cambriolage fait de lui "un homme, un affranchi".
À trente-deux ans naît en prison sa vocation pour l'écriture. Il commence avec Le Condamné à mort, un long poème à la gloire de l'homosexualité où il chante sa flamme pour Maurice Pillorgue qui a été guillotiné en 1939. Viennent ensuite des écrits plus ou moins autobiographiques, des romans et Le Journal du voleur en 1949.
Il se tourne dès 1947 vers le théâtre avec Les Bonnes, une pièce créée aussitôt par Jouvet. L'année suivante, il bénéficie de la grâce présidentielle sur l'intervention de Sartre, de Cocteau et d'un groupe d'intellectuels. D'autres pièces voient le jour Haute surveillance en 1949, Le Balcon en 1956, Les Nègres en 1959 et Les Paravents en 1961. La représentation de ses pièces est longuement différée en France et provoque des manifestations. Il est condamné à plusieurs reprises pour "atteinte aux mœurs et pornographie".
À partir de 1961, il publie peu. Il consacre son activité aux opprimés du tiers-monde et soutient aux États-Unis le mouvement des Black Panthers. Il défend aussi au Liban la cause des Palestiniens, proclame le droit à la violence des Allemands de la bande à Baader en 1977. Personne ne sait pourquoi il arrête d'écrire.
La dimension autobiographique de chacune de ses œuvres est évidente : "Dans tous mes livres, je me mets à nu, et en même temps je me travestis par des mots, des choix, des attitudes, par la féerie". Son besoin de provocation imprime son théâtre d'une virulence satirique qui fait scandale. Aucune des valeurs de la société n'est épargnée. Les Nègres caricature le colonialisme et Les Paravents le militarisme. Il renverse les valeurs morales, ce qu'il appelle "l'inhumanisation".
Dans Les Paravents, Saïd, un voleur, incendiaire, délateur et assassin, épouse Leïla, la femme la plus laide et la plus ignoble. Il se complaît dans l'ordure et l'infamie : "je vais continuer jusqu'à la fin du monde à me pourrir, pour pourrir le monde".
Dans Le Balcon, la reine et les grands doivent progressivement s'effacer pour accéder à la dignité de l'image éternelle. C'est une des idées maîtresses de Genet qui souligne ainsi, non sans dérision, la vanité de nos aspirations libératrices : détruire un ordre, c'est se condamner à bâtir un autre ordre.
Genet déclare plusieurs fois sa volonté de donner le pas à l'œuvre d'art sur l'engagement satirique ou philosophique. Il se situe à l'opposé du réalisme : il définit son théâtre comme "la glorification de l'image et du reflet". Il manifeste en effet une prédilection pour le théâtre dans le théâtre. Ainsi, dans Les Bonnes et Le Balcon, la plupart des personnages en imitent ou en parodient d'autres. La complexité de ce jeu de substitution atteint son point extrême dans Les Nègres. Le drame débouche sur un tragique lié à la fascination du mal, finalement assez proche du théâtre de la cruauté selon Antonin Artaud. Dans ces perpétuels jeux de reflets, on finit par se perdre entre la réalité et l'illusion, et c'est ce flottement qui vise à favoriser la célébration du rite théâtral. À la fin du Balcon, Mme Irma prend congé en disant : "Il faut rentrer chez vous, où tout, n'en doutez pas, sera encore plus faux qu'ici."
L'indécision est encore entretenue par le refus de réalisme dans le décor. Dans Les Paravents, la scène est répartie sur quatre niveaux. Le décor y est sans cesse renouvelé à l'aide de paravents à roulettes, qui portent des objets, des paysages, des scènes ou des emblèmes dessinés en trompe-l'œil. Chaque personnage qui meurt traverse un paravent de papier en le crevant et va prendre place à l'étage supérieur parmi la foule apaisée des morts qui contemple en riant l'agitation des vivants. La diction elle-même, loin de viser au naturel, est modulée selon une partition qui va "du murmure au cri". Cela contribue à l'effet de "distanciation".
Les Bonnes n'est pas "un plaidoyer sur le sort des domestiques". Ce qui intéresse le dramaturge, c'est de monter un mécanisme subtil et de le faire fonctionner inexorablement, avec des personnages qui sont "des monstres comme nous rêvons ceci ou cela". Après le départ de Madame, Solange reproche à Claire de n'avoir pas su lui faire boire le tilleul empoisonné. Au cours de la dispute, elles reprennent peu à peu le "jeu" qui leur procure une jouissance hystérique. Dans le rôle de "Madame", Claire pousse Solange, qui elle joue celui de Claire, à la couvrir d'outrages. Solange s'excite tellement qu'elle se laisse aveugler par la haine. Elle en vient à exercer sur sa sœur la violence qu'elle rêvait de faire subir à sa maîtresse. C'est un exemple caractéristique du jeu de la réalité et des reflets auxquels s'adonne Jean Genet. Il le complique encore dans la mesure où, entre lucidité et aveuglement, chacune mêle ses deux rôles, parlant tantôt selon sa personnalité véritable, tantôt selon le personnage qu'elle imite.
Genet, qui termine sa vie seul en voyageant et logeant dans différents hôtels, et meurt des suites d'un cancer de la gorge. Il est inhumé à Larache, au Maroc.
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