Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre
1737 - 1814
Français
Roman
Bernardin de Saint-Pierre
Paul et Virginie
1788
Bernardin de Saint-Pierre naît au Havre et fait à l'âge de douze ans un voyage à la Martinique. Devenu ingénieur, il est hanté par l'aventure et rêve de fonder une république idéale. Il voyage en Hollande, en Allemagne, en Russie, en Pologne pendant cinq ans de 1761 à 1766. Il fait surtout un long séjour à l'Île-de-France (ancien nom de l'Île Maurice) de 1768 à 1770 qui lui laisse des souvenirs inoubliables. De retour en France, il se lie d'amitié avec Rousseau, dont il partage l'amour de la nature et l'horreur de la civilisation.
À partir de 1784, il publie les Études de la nature, dont le quatrième volume est un court roman, Paul et Virginie. Les Études ont pour objet essentiel de démontrer la perfection de la nature qui "n'a rien fait en vain". Bernardin y discute les objections contre la Providence. Il conteste ensuite la prétendue science reposant sur la raison. Selon lui, les vraies lois de la nature ne sont pas celles des physiciens mais celles que découvre le cœur : loi de convenance, d'ordre, d'harmonie, de consonance, de progression, car la Providence a organisé la nature tout entière pour le bonheur de l'Homme. De même, les "lois morales de la nature" sont connues non par la raison, mais par le sentiment qui révèle l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. Bernardin passe enfin à "l'application des lois de la nature aux maux de la société", une vaste utopie humanitaire : il rêve d'une cité idéale où l'on enseignera "l'amour du genre humain" et de la bienfaisance, par le culte des grands hommes.
Il livre dans sa dixième étude une description des nuages au coucher du soleil, sous les tropiques, comme il n'en existe pas encore dans la littérature. Sensible à tous les spectacles pittoresques, Bernardin de Saint-Pierre veut peindre la nature pour elle-même : il met ainsi en place les éléments d'un tableau, décrit les lignes, les formes, les mouvements et surtout les couleurs. "L'art de rendre la nature est si nouveau que les termes n'en sont pas encore inventés." Son langage s'enrichit de termes techniques, de comparaisons, d'images, de notations subtiles, cherche à traduire avec exactitude les sensations colorées et imposées aux lecteurs à la vision concrète du monde extérieur.
La douzième étude est consacrée à l'examen des sensations physiques et des "sensations de l'âme". Il intitule ses réflexions "Du sentiment de la mélancolie". Certains thèmes majeurs du romantisme apparaissent, que Chateaubriand orchestrera plus tard : goût des spectacles et des bruits mélancoliques, volupté de la tristesse et des sentiments étranges, sentiment de misère de l'immortalité, mal de l'infini, plaisir de la solitude, et jusqu'à cet engouement du XVIIIe siècle pour les ruines qui devient plus tard la passion pour le gothique. Bernardin observe avec Rousseau que la nature peut aussi éveiller des sentiments en harmonie avec ses spectacles.
Bernardin persiste à placer la Terre au centre de l'Univers, explique les marées par la fonte des glaces, s'extasie à Paris sur les intentions de la nature qui met les fruits à portée de main, borde les écueils d'une frange d'écume pour les signaler à l'attention, fait distinguer "la noirceur des puces sur la blancheur de la peau" et offre des melons "divisés par côtes qui semblent être destinés à être mangés en famille". Ces études sont un tissu d'erreurs et de naïveté mais pas moins de belles peintures de la nature.
Le petit roman de Paul et Virginie doit être une "application des lois des Études de la Nature au bonheur de deux familles malheureuses". Cette œuvre est une pastorale exotique, une peinture gracieuse et poétique de l'adolescence avec des âmes pures. La tendresse s'éveille inconsciemment dans les jeunes cœurs "j'ai désiré réunir à la beauté de la nature, entre les tropiques, la beauté morale d'une petite société. Je me suis proposé aussi d'y mettre en évidence plusieurs grandes vérités, entre autres celle-ci, que notre bonheur consiste à vivre suivant la nature et la vertu."
Dans ce roman, deux françaises vivent côte à côte, dans le cadre magnifique de l'Île-de-France, l'actuelle Île Maurice, dans l'océan Indien. Madame de la Tour a une fille, Virginie. Son ami Marguerite a un fils prénommé Paul. Ces deux adolescents grandissent ensemble, unis par une fraternelle affection. Le narrateur, un vieillard de l'île, décrit d'abord à l'auteur le site charmant d'une fontaine, appelée "le repos de Virginie", puis évoque le bonheur de ces deux familles. Devinant que leurs enfants s'aiment sans s'en apercevoir encore, les deux mères décident de les marier lorsqu'ils en auront l'âge. Mais le gouverneur de l'île vient inviter Virginie à se rendre en France auprès d'une tante qui veut lui donner une éducation mondaine et lui léguer sa fortune. Paul est accablé de douleur et Virginie, la mort dans l'âme, obéit à sa mère. Au cœur du roman, le naufrage du Saint-Gérant, qui a lieu réellement, donne une impression de vérité. L'auteur réussit à faire vivre intensément le drame de la mer, auquel se trouve lié l'épisode le plus dramatique du roman. La beauté et la sérénité de Virginie dans la mort sert de modèle à Chateaubriand quand il évoque le dernier sommeil d'Atala.
Il publie encore La Chaumière indienne et Le Café de surate, et ses Harmonies de la nature paraissent en 1815. Sa douceur humanitaire, ses romans idylliques donnent de Bernardin de Saint-Pierre une image assez fausse : c'est sans doute un esprit chimérique, un enjôleur, mais aussi comme Rousseau un nerveux à la sensibilité maladive. C'est cette sensibilité qui renvoie l'image d'artiste que la postérité garde de lui.
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