Sommaire
IUn coup de foudreIILe portrait de ManonIIILes sentiments du narrateurIVUn récit pathétiqueVLa passion amoureuse, une fatalitéJ'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.
Antoine François Prévost
Manon Lescaut
1731
Un coup de foudre
- La rencontre entre Manon et Des Grieux est de l'ordre du coup de foudre, comme le montrent l'adverbe "tout d'un coup" et l'emploi du passé simple "je me trouvai".
- Le connecteur logique "mais" souligne le caractère hors du commun de la rencontre.
- Il existe un parallélisme entre "il en sortit" et "il en resta". Il se passe quelque chose d'unique en un instant précis, et le sentiment reste.
- L'auteur compare l'amour à la mort : "coup mortel".
- C'est un amour passionnel : "désirs".
- L'extrait utilise le champ lexical de l'amour précieux : "Maîtresse de mon cœur", "enflammé", "transport".
Le portrait de Manon
- Le portrait fait de Manon est assez original. Elle n'est pas décrite précisément, mais de manière vague avec les termes suivants : "charmante", "fille", "moins âgée", "plus expérimentée".
- On remarque l'exagération hyperbolique avec l'adverbe "si" :"si charmante".
- Ce mot est aussi porteur d'un double sens, avec celui de magie : "charmante", "charmant" et "charme". Manon jette un sort sur le narrateur.
- La timidité est opposée à l'amour : "sagesse", "retenue", "excessivement timide" et "enflammé", "transport", "amour", "cœur", "désirs".
Les sentiments du narrateur
- La rencontre avec Manon est brutale pour Des Grieux. On note un profond changement en lui, comme en témoigne la répétition du "moi" en incise, à deux reprises. C'est un passage à l'âge adulte.
- Il apparaît comme un héros passif qui subit le charme de la femme tentatrice.
- Une phrase, particulièrement longue, décrit la naissance de la passion de Des Grieux : "Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport."
- La rencontre est un instant qui bouleverse la vie entière de Des Grieux avec la répétition de "déjà" : "L'amour me rendait déjà si éclairé", "qui s'était déjà déclaré".
Un récit pathétique
- Le récit pathétique exprime le chagrin du narrateur. Il parle de son expérience comme de quelque chose de triste. Il a du remords et de la nostalgie.
- L'utilisation de l'interjection "hélas" au début indique la tristesse.
- Il exprime du regret : "Que ne le marquais-je un jour plus tôt".
- Le narrateur ne cesse de s'excuser en rappelant son innocence : "Nous n'avions d'autre motif que la curiosité", "J'avais marqué le temps de mon départ", "Moi dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue".
La passion amoureuse, une fatalité
- Cet extrait annonce la suite du roman. La passion amoureuse va être destructrice.
- Le narrateur évoque le "penchant au plaisir" de Manon qui "a causé tous ses malheurs et les miens".
- L'évocation de "l'ascendant" de la destinée de Des Grieux et l'annonce de "sa perte" renforcent cette idée de fatalité.
- Des Grieux ne se pose pas de questions. Il se laisse entraîner par la passion.
- Le portrait moral de Manon est négatif : "elle était bien plus expérimentée", "son penchant s'était déjà déclaré".
- Manon est montrée comme manipulatrice. Elle répond "ingénument". Elle joue avec le narrateur.
En quoi cette rencontre est-elle marquée par l'amour ?
I. Un coup de foudre
II. Les sentiments du narrateur
III. Un texte pathétique
Quel portrait est fait de Manon ?
I. Un portrait physique flou
II. Un portrait moral négatif
III. Une tentatrice
En quoi cette rencontre amoureuse est-elle ambiguë ?
I. Un coup de foudre
II. Le portrait moral négatif de Manon
III. Les regrets du narrateur plus âgé
En quoi cette rencontre annonce-t-elle la suite du roman ?
I. Un coup de foudre
II. Le portrait moral négatif de Manon
III. L'idée de fatalité