Sommaire
ILa cruauté des ThénardierIILa misère de l'enfantIIILe portrait de CosetteIVUn récit pathétique du narrateurVLa présence du narrateurLa Thénardier étant méchante pour Cosette, Éponine et Azelma furent méchantes. Les enfants, à cet âge, ne sont que des exemplaires de la mère. Le format est plus petit, voilà tout.
Une année s'écoula, puis une autre.
On disait dans le village :
- Ces Thénardier sont de braves gens. Ils ne sont pas riches, et ils élèvent un pauvre enfant qu'on leur a abandonné chez eux !
On croyait Cosette oubliée par sa mère.
Cependant le Thénardier, ayant appris par on ne sait quelles voies obscures que l'enfant était probablement bâtard et que la mère ne pouvait l'avouer, exigea quinze francs par mois, disant que "la créature" grandissait et "mangeait", et menaçant de la renvoyer. "Qu'elle ne m'embête pas ! s'écriait-il, je lui bombarde son mioche tout au beau milieu de ses cachoteries. Il me faut de l'augmentation." La mère paya les quinze francs.
D'année en année, l'enfant grandit, et sa misère aussi.
Tant que Cosette fut toute petite, elle fut le souffre-douleur des deux autres enfants ; dès qu'elle se mit à se développer un peu, c'est-à-dire avant même qu'elle eût cinq ans, elle devint la servante de la maison.
Cinq ans, dira-t-on, c'est invraisemblable. Hélas, c'est vrai. La souffrance sociale commence à tout âge.
N'avons-nous pas vu, récemment, le procès d'un nommé Dumolard, orphelin devenu bandit, qui, dès l'âge de cinq ans, disent les documents officiels, étant seul au monde "travaillait pour vivre, et volait".
On fit faire à Cosette les commissions, balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux. Les Thénardier se crurent d'autant plus autorisés à agir ainsi que la mère qui était toujours à Montreuil-sur-Mer commença à mal payer. Quelques mois restèrent en souffrance.
Si cette mère fût revenue à Montfermeil au bout de ces trois années, elle n'eût point reconnu son enfant. Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. "Sournoise !" disaient les Thénardier.
L'injustice l'avait faite hargneuse et la misère l'avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu'on y vît une plus grande quantité de tristesse.
C'était une chose navrante de voir, l'hiver, ce pauvre enfant, qui n'avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toile trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux.
Dans le pays on l'appelait l'Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s'était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu'un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l'aube. Seulement la pauvre Alouette ne chantait jamais.
Victor Hugo
Les Misérables
1862
La cruauté des Thénardier
- Le récit établit une contradiction entre l'image que les gens du village ont d'eux, et la réalité. Les gens imaginent que Cosette a été abandonnée et que les Thénardier s'en occupent comme le souligne l'utilisation du pronom indéfini "on" : "on disait", "on croyait".
- En réalité les Thénardier sont mauvais. L'utilisation des déterminants "le" et "la" pour définir l'homme et la femme montre la prise de distance avec les personnages.
- La Thénardier est définie par sa "méchanceté". Celle-ci est héréditaire dans la famille ; la Thénardier "étant méchante" les filles "furent méchantes" avec Cosette. Cette idée est renforcée par les expressions "exemplaire de la mère" et "le format est plus petit" pour décrire Éponine et Azelma.
- Le Thénardier est avare et avide. Il veut plus d'argent ainsi que le montre le verbe "exiger" quand il demande quinze francs par mois à Fantine, la mère de Cosette. Le Thénardier est défini par cette envie d'argent, plus forte que lui, "il me faut".
- Les Thénardier sont sans cœur : idée du mal avec "voies obscures", menace avec "je lui bombarde son mioche", verbe guerrier.
La misère de l'enfant
- L'enfant vit dans une misère considérable.
- Cette misère grandit et ne s'arrête jamais comme le montrent les références au temps qui passe : "une année", "puis une autre", "d'année en année".
- La croissance de Cosette va avec la croissance de sa misère, soulignée par le parallélisme : "l'enfant grandit et sa misère aussi".
- Il y a une certaine fatalité dans la misère. Petite, elle est "souffre-douleur", plus grande elle devient "servante de la maison".
- Cosette, qui n'a que cinq ans, effectue des corvées titanesques : "commissions", "balayer la cour, la rue, la chambre", "laver la vaisselle", "porter des fardeaux" (longue énumération).
- La souffrance de l'enfant est une "souffrance sociale".
Le portrait de Cosette
- Le portrait de Cosette est misérable. Elle est "un enfant abandonné", "oubliée", un enfant "bâtard".
- Elle est décrite physiquement : "pauvre enfant", "maigre", "blême", "laide".
- Son attitude est "inquiète", "hargneuse", "effarouchée".
- Quelque chose de beau chez l'enfant, les yeux, contraste avec le reste : "beaux yeux", "si grands yeux" (utilisation de l'intensif "si" pour insister sur leur grandeur).
- La pauvreté de Cosette se voit dans ses vêtements : "vieilles loques trouées". Elle est victime du froid en "hiver" : "tremblant", "grelottant", "petites mains rouges".
- L'enfant est associée à l'animal "alouette" par le peuple car elle est un "petit être pas plus gros qu'un oiseau".
- Il existe un contraste entre ce portrait misérable et les Thénardier qui estiment que Cosette est "sournoise !".
Un récit pathétique du narrateur
- Le champ lexical de la misère est omniprésent : "abandonné", "oubliée", "misère", "injustice", "maigre", "navrante".
- L'énumération des corvées rend pathétique la vie de Cosette, renforcée par l'opposition entre Cosette avant, "si jolie", "si fraîche", et Cosette aujourd'hui "maigre" et "blême". Elle est tellement changée que sa mère ne pourrait pas la reconnaître.
- C'est la misère qui a rendu Cosette ainsi : personnification de l'injustice qui a rendu Cosette "hargneuse" et de la misère qui l'a rendue "laide".
- Le portrait insiste sur les yeux de l'enfant qui font de la "peine" car on y lit une "grande quantité de tristesse" pour une enfant qui n'a "pas six ans". Les exagérations et hyperboles de Victor Hugo soulignent la misère et la souffrance, comme dans les "grands yeux" dans lesquels on voit "une larme".
- Il insiste sur le fait que Cosette se lève avant tout le monde et oppose le "grand balai" et les "petites mains". Ce qu'on demande à Cosette est trop difficile pour son âge.
- L'enfant d'à peine six ans ne s'amuse pas, n'est pas heureuse. Le peuple en fait un symbole ("on l'appelait"), elle devient "l'Alouette". La dernière phrase est pathétique : "pauvre Alouette ne chantait jamais".
La présence du narrateur
- Le narrateur méprise les Thénardier. C'est un narrateur omniscient qui sait tout, ce que pense le peuple, qui sont vraiment les Thénardier, la vie de Cosette.
- Le narrateur insiste sur l'âge de Cosette : "avant cinq ans".
- Il sait ce que le lecteur va penser : "invraisemblable, dira-t-on". L'interjection "hélas" souligne que c'est possible, déplore que c'est possible.
- Hugo dénonce la misère qui peut arriver à "tout âge".
- Le narrateur semble défaitiste : "voilà tout".
- Le narrateur cite les propos des Thénardier, il met entre guillemets "créature" et "mangeait". Il ne pense pas que Cosette est une créature, et il sait qu'elle ne mange presque pas.
- L'ironie du narrateur peint la méchanceté des Thénardier : "ils se crurent autorisés". Il dénonce leur avarice.
En quoi ce texte est-il pathétique ?
I. La misère sociale
II. Le portrait physique de Cosette
III. La tristesse du personnage
Comment le narrateur marque-t-il sa présence ?
I. Le narrateur omniscient
II. L'attaque contre les Thénardier
III. L'empathie pour Cosette
En quoi la situation de Cosette est-elle pathétique ?
I. Le portrait physique de Cosette
II. Les corvées d'une enfant
III. La tristesse du personnage
En quoi Cosette devient-elle un symbole de la misère sociale ?
I. Le portrait physique d'une enfant défavorisée
II. Les charges de travail sur les épaules de Cosette
III. Cosette, allégorie de la misère : une alouette qui ne chante jamais