Sommaire
ILa focalisationIILes sentiments de JulienIIILa vengeance et l'arrivisme de JulienIVLe portrait de JulienVLa critique de la classe supérieureEt moi, je vais séduire sa fille ! Rendre impossible peut-être ce mariage avec le marquis de Croisenois, qui fait le charme de son avenir : s'il n'est pas duc, du moins sa fille aura un tabouret. Julien eut l'idée de partir pour le Languedoc malgré la lettre de Mathilde, malgré l'explication donnée au marquis. Cet éclair de vertu disparut bien vite.
Que je suis bon, se dit-il, moi, plébéien, avoir pitié d'une famille de ce rang ! Moi, que le duc de Chaulnes appelle un domestique ! Comment le marquis augmente-t-il son immense fortune ? En vendant de la rente, quand il apprend au château qu'il y aura le lendemain apparence de coup d'État. Et moi, jeté au dernier rang par une providence marâtre, moi à qui elle a donné un cœur noble et pas mille francs de rente, c'est-à-dire pas de pain, exactement parlant, pas de pain ; moi refuser un plaisir qui s'offre ! Une source limpide qui vient étancher ma soif dans le désert brûlant de la médiocrité que je traverse si péniblement ! Ma foi, pas si bête ; chacun pour soi dans ce désert d'égoïsme qu'on appelle la vie.
Et il se rappela quelques regards remplis de dédain, à lui adressés par Mme de La Mole, et surtout par les dames ses amies.
Le plaisir de triompher du marquis de Croisenois vint achever la déroute de ce souvenir de vertu.
Que je voudrais qu'il se fâchât ! dit Julien ; avec quelle assurance je lui donnerais maintenant un coup d'épée. Et il faisait le geste du coup de seconde. Avant ceci, j'étais un cuistre, abusant bassement d'un peu de courage. Après cette lettre, je suis son égal.
Oui, se disait-il avec une volupté infinie et en parlant lentement, nos mérites au marquis et à moi ont été pesés, et le pauvre charpentier du Jura l'emporte.
Bon ! s'écria-t-il, voilà la signature de ma réponse trouvée. N'allez pas vous figurer, Mlle de La Mole, que j'oublie mon état. Je vous ferai comprendre et bien sentir que c'est pour le fils d'un charpentier que vous trahissez un descendant du fameux Guy de Croisenois, qui suivit Saint Louis à la croisade.
Julien ne pouvait contenir sa joie. Il fut obligé de descendre au jardin. Sa chambre, où il s'était enfermé à clé, lui semblait trop étroite pour y respirer.
Stendhal
Le Rouge et le Noir
1830
La focalisation
- Le lecteur est plongé dans les pensées de Julien par la focalisation interne. Il exprime sa jubilation : "Je vais séduire sa fille !"
- Ce choix de la focalisation interne permet d'être au plus près des réflexion du personnage et de suivre son raisonnement. Les sentiments semblent plus vivaces. Ils sont également plus effrayants.
- Le narrateur omniscient s'exprime également dans cette scène. Il y a un peu de narration avec les pensées de Julien. Les interventions du narrateur soulignent l'émotion du personnage : "il se rappela" pour faire référence à l'humiliation passée, "il sortit" car la chambre est trop petite pour lui. Julien paraît ambitieux.
Les sentiments de Julien
- Le personnage se montre exalté dans cette scène. Il est important de noter que Julien n'est plus du tout innocent. Dans la première partie, lorsqu'il savait qu'il allait triompher de Mme de Rênal, lorsqu'il lui prenait la main d'abord pour se venger de son mari, il était toujours troublé, amoureux. Ici, il n'y a que le Julien calculateur et rancunier : "Je vais séduire sa fille !". Il n'éprouve pas d'affection pour la femme dont il vient de recevoir une déclaration d'amour.
- On note la méchanceté de Julien qui sait qu'il va se mettre en travers du "charme" de l'avenir du marquis.
- La joie, le triomphe sont visibles avec la ponctuation très expressive et le champ lexical : "volupté infinie", "joie". Cette joie est si forte qu'il ne peut la "contenir" et doit "sortir".
- Julien est plein d'assurance, il est prêt à donner au marquis un "coup d'épée".
La vengeance et l'arrivisme de Julien
- Julien apparaît comme un personnage complexe. Il ne veut pas arriver au sommet de la société simplement par arrivisme. Il a un désir de vengeance.
- La narration rappelle les humiliations passées : "regards de dédain de Mme de La Mole" et de "ses amies".
- Il veut se venger de son statut : "moi" / "domestique", et prendre sa revanche sur la façon dont les nobles l'ont traité.
- Julien va profiter de la situation : "refuser un plaisir qui s'offre !", "source limpide" qui va étancher "sa soif". "Plaisir" et "source" sont ici des synonymes d'argent.
- Des sommes d'argent sont citées : "mille francs", répétition de "rente".
- La pauvreté de Julien est répétée deux fois avec "pas de pain", tout comme son destin injuste : "providence marâtre". Il a une vision pessimiste de sa vie : "désert brûlant de la médiocrité".
- Julien ne voit pas pourquoi il repousserait Mathilde. C'est une aubaine pour lui. La vie est un "désert d'égoïsme" et Julien ne va pas avoir de scrupule, comme le montre l'exclamation : "Ma foi, pas si bête !"
- Le narrateur use une métaphore filée de la vie comme désert et de la richesse comme eau.
Le portrait de Julien
- Julien fait son propre portrait. Il exprime une sorte de fierté à être pauvre. Cela ajoute à sa vengeance, à sa revanche sur la vie.
- Il rappelle son statut : "jeté au dernier rang", "domestique", "cuistre".
- La lettre de Mathilde, déclaration d'amour, lui donne un titre prestigieux. Il n'aime pas Mathilde, elle est un moyen d'être à égalité avec les riches. Avant, il n'était qu'un "cuistre abusant", ensuite il est "l'égal" des riches.
- Sa vengeance lui permet de triompher sur les riches : "pauvre charpentier du Jura l'emporte", ce dont il est fier.
- Il s'en vante presque dans sa réponse à Mathilde, il insiste sur son statut, façon de souligner son triomphe : "signature de ma réponse", il lui écrit qu'il n'oublie pas "son état". Il jubile : "Vous trahissez pour un fils de charpentier un fameux descendant". On voit bien l'opposition entre "fils de charpentier" et l'illustre famille "Guy de Croisenois", "Saint Louis de la Croisade".
- Le narrateur donne un autre portrait de Julien. Il souligne la vertu passée et perdue du personnage : "cet éclair de vertu disparut bien vite", "souvenir de vertu". Il y a quelque chose de terrible dans ce passage, Julien a perdu toute innocence, sa devise : "chacun pour soi".
La critique de la classe supérieure
- Ce passage livre une critique contre les nobles.
- La famille du marquis est une famille "de ce rang". Une famille très bien placée mais pleine d'hypocrisie. Julien dénonce le fait que le rang n'assure pas le "cœur noble".
- Ainsi, le marquis serait prêt à se faire de l'argent "en vendant de la rente, quand il apprend au château qu'il y aura le lendemain apparence de coup d'État". Il ne montre pas de fidélité mais au contraire une certaine avarice.
- Julien rappelle aussi le mépris des nobles pour lui, pour les pauvres : "les regards de dédain". Il énumère les termes qui le désignent négativement et qui sont utilisés par les nobles : "plébéien", "cuistre", "pauvre charpentier".
Quel portrait est fait de Julien dans cette scène ?
I. La jubilation du triomphe
II. Un personnage arriviste
III. La perte de l'innocence
En quoi cette scène est-elle romantique ?
I. L'expression des sentiments de Julien
II. L'envie de vengeance
III. La soif de pouvoir
En quoi le portrait de Julien est ici négatif ?
I. La soif de vengeance
II. Un arriviste
III. L'innocence perdue
Julien est-il seulement un arriviste ?
I. L'arrivisme de Julien
II. La soif de vengeance
III. Une critique de la noblesse