Sommaire
IUne description naturalisteIIUne dénonciation des conditions de travailIIILe registre épiqueIVLa fatalitéVLe point de vue d'ÉtienneIl ne comprenait bien qu'une chose : le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble.
- C'est profond ? demanda Étienne à un mineur, qui attendait près de lui, l'air somnolent.
- Cinq cent cinquante-quatre mètres, répondit l'homme. Mais il y a quatre accrochages au-dessus, le premier à trois cent vingt.
Tous deux se turent, les yeux sur le câble qui remontait. Étienne reprit :
- Et quand ça casse ?
- Ah ! quand ça casse...
Le mineur acheva d'un geste. Son tour était arrivé, la cage avait reparu, de son mouvement aisé et sans fatigue. Il s'y accroupit avec des camarades, elle replongea, puis jaillit de nouveau au bout de quatre minutes à peine, pour engloutir une autre charge d'hommes. Pendant une demi-heure, le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon la profondeur de l'accrochage où ils descendaient, mais sans un arrêt, toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple. Cela s'emplissait, s'emplissait encore, et les ténèbres restaient mortes, la cage montait du vide dans le même silence vorace.
Émile Zola
Germinal
1885
Une description naturaliste
- La description que présente Zola dans cet extrait est naturaliste.
- On remarque l'utilisation de termes techniques : "les berlines", "la cage", "moulineurs". Ce vocabulaire permet d'affirmer que Zola a fait des recherches précises sur le milieu minier avant d'écrire son roman. Il sait de quoi il parle.
- Le cadre est réaliste. Zola explique le fonctionnement d'une mine et le travail des ouvriers. Il décrit précisément le fonctionnement de la descente, du câble.
- Zola a en effet fait des recherches journalistiques pour écrire Germinal. Il a véritablement visité une mine et étudié le travail des mineurs et le fonctionnement de leurs outils. Ses carnets de notes ont d'ailleurs été retrouvés.
Une dénonciation des conditions de travail
- Zola dénonce les conditions de travail des ouvriers.
- Il met en avant leur misère : "pieds nus", "baraque".
- Il rappelle à quelle heure ils se lèvent : "quatre heures du matin".
- Les mineurs semblent être prisonniers : "la cage", "les verrous".
- Les mineurs sont comparés à des animaux : "viandes", "beuglement", "chair humaine". Leurs conditions de travail sont inhumaines.
Le registre épique
- La présence d'un registre épique souligne à quel point le travail des mineurs est difficile et même terrifiant : "bête nocturne".
- Avec le champ lexical de la voracité, la mine est comparée à un monstre qui mange les hommes :"engloutir", "dévorer", "boyau", "vorace".
Cela donne l'impression que les mineurs doivent se battre contre un être plus fort qu'eux. Le combat est inégal. La bête ne sent même pas passer les hommes. Pour elle, c'est "facile". - On note les hyperboles : "avalait par bouchées de vingt et de trente", "digérer un peuple".
La fatalité
- La mine est "profonde". On a l'impression de descente aux enfers, notamment avec l'abondance de l'obscurité.
- Il y a aussi une idée de fatalité. La mort plane ("mortes", "ténèbres"). Le mineur se résout à risquer sa vie : "et quand ça casse ?" "Ah ! Quand ça casse..."
- Il s'agit de quelque chose qu'on ne peut pas arrêter avec la répétition : "cela s'emplissait, s'emplissait encore", idée renforcée par les adverbes de répétitions "encore" et "toujours".
- La mine est "toujours affamée", elle a toujours besoin d'hommes.
- Le silence de la scène rappelle un silence de mort : "silencieusement", "vide".
Le point de vue d'Étienne
- C'est le narrateur externe à l'histoire qui raconte la scène, mais on trouve également le point de vue d'Étienne qui permet de traduire son angoisse.
- Étienne descend dans la mine pour la première fois. Il a peur de descendre, il demande quelle est la profondeur de la mine et ce qui se passe "quand ça casse". Ce sont des questions que se pose le lecteur. Comme Étienne, le lecteur découvre les conditions de vie à la mine.
- Le point de vue d'Étienne permet de retranscrire la peur. Le lecteur a de l'empathie pour lui. Le point de vue du narrateur permet de lui faire comprendre que les conditions de travail sont inacceptables, et le point de vue d'Étienne d'avoir pitié des mineurs. Le texte allie donc les deux rôles de l'argumentation, convaincre et persuader.
Pourquoi cette description est-elle inquiétante ?
I. La mine, un monstre épique
II. L'angoisse d'Étienne
III. Le thème de la mort
Quelle description Zola fait-il du travail à la mine ?
I. Une description naturaliste
II. Une vision épique
III. Une atmosphère de fatalité
Comment Zola dénonce-t-il le travail des mineurs ?
I. Des conditions de vie lamentables
II. Un travail titanesque
III. Le risque de mourir