Sommaire
ILa proposition de l'arracheur de dentsIILa réaction initiale de FantineIIILa maladie de CosetteIVLe thème de l'argentVUne scène pathétiqueComme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l'impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C'était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.
Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l'argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L'arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s'écria tout à coup :
- Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d'or.
- Qu'est-ce que c'est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.
- Les palettes, reprit le professeur dentiste, c'est les dents de devant, les deux d'en haut.
- Quelle horreur ! s'écria Fantine.
- Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu'en voilà une qui est heureuse !
Fantine s'enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l'homme qui lui criait :
- Réfléchissez, la belle ! deux napoléons, ça peut servir. Si le cœur vous en dit, venez ce soir à l'auberge du Tillac d'argent, vous m'y trouverez.
Fantine rentra, elle était furieuse et conta la chose à sa bonne voisine Marguerite : - Comprenez-vous cela ? Ne voilà-t-il pas un abominable homme ? Comment laisse-t-on des gens comme cela aller dans le pays ! M'arracher mes deux dents de devant ! Mais je serais horrible ! Les cheveux repoussent, mais les dents ! Ah ! Le monstre d'homme ! J'aimerais mieux me jeter d'un cinquième la tête la première sur le pavé ! Il m'a dit qu'il serait ce soir au Tillac d'argent.
- Et qu'est-ce qu'il offrait ? demanda Marguerite.
- Deux napoléons.
- Cela fait quarante francs.
- Oui, dit Fantine, cela fait quarante francs.
Elle resta pensive, et se mit à son ouvrage. Au bout d'un quart d'heure, elle quitta sa couture et alla relire la lettre des Thénardier sur l'escalier.
En rentrant, elle dit à Marguerite qui travaillait près d'elle :
- Qu'est-ce que c'est donc que cela, une fièvre miliaire ? Savez-vous ?
- Oui, répondit la vieille fille, c'est une maladie.
- Ça a donc besoin de beaucoup de drogues ?
- Oh ! des drogues terribles.
- Où ça vous prend-il ?
- C'est une maladie qu'on a comme ça.
- Cela attaque donc les enfants ?
- Surtout les enfants.
- Est-ce qu'on en meurt ?
- Très bien, dit Marguerite.
Fantine sortit et alla encore une fois relire la lettre sur l'escalier.
Le soir elle descendit, et on la vit qui se dirigeait du côté de la rue de Paris où sont les auberges.
Le lendemain matin, comme Marguerite entrait dans la chambre de Fantine avant le jour, car elles travaillaient toujours ensemble et de cette façon n'allumaient qu'une chandelle pour deux, elle trouva Fantine assise sur son lit, pâle, glacée. Elle ne s'était pas couchée. Son bonnet était tombé sur ses genoux. La chandelle avait brûlé toute la nuit et était presque entièrement consumée.
Marguerite s'arrêta sur le seuil, pétrifiée de cet énorme désordre, et s'écria :
- Seigneur ! La chandelle qui est toute brûlée ! Il s'est passé des événements !
Puis elle regarda Fantine qui tournait vers elle sa tête sans cheveux.
Fantine depuis la veille avait vieilli de dix ans.
- Jésus ! fit Marguerite, qu'est-ce que vous avez, Fantine ?
- Je n'ai rien, répondit Fantine. Au contraire. Mon enfant ne mourra pas de cette affreuse maladie, faute de secours. Je suis contente.
En parlant ainsi, elle montrait à la vieille fille deux napoléons qui brillaient sur la table.
- Ah, Jésus Dieu ! dit Marguerite. Mais c'est une fortune ! Où avez-vous eu ces louis d'or ?
- Je les ai eus, répondit Fantine.
En même temps elle sourit. La chandelle éclairait son visage. C'était un sourire sanglant. Une salive rougeâtre lui souillait le coin des lèvres, et elle avait un trou noir dans la bouche.
Les deux dents étaient arrachées.
Victor Hugo
Les Misérables
1862
La proposition de l'arracheur de dents
- La narration est linéaire et suit une progression jusqu'à l'arrachement des dents de Fantine.
- L'arracheur de dents est présenté comme un homme inquiétant. Il est vêtu de "rouge". Cela rappelle le sang. Il est dans une voiture qui a une "forme bizarre". Il est porteur de malheurs.
- C'est un homme qui ne pense qu'à son métier. Il voit Fantine, "une belle jeune fille qui riait", mais il ne pense qu'à ses dents : "Vous avez de jolies dents". Il veut les deux dents de devant et se montre impératif : "Réfléchissez la belle".
- Fantine use d'hyperboles et d'exagérations : "abominable homme", "des comme cela".
- Victor Hugo prépare déjà la fin de la scène. Fantine sait où trouver l'homme. On observe la présence d'une "vieille femme édentée", image glaçante de ce que Fantine peut devenir à cause de la misère.
La réaction initiale de Fantine
- La réaction de Fantine est celle du dégoût. Non seulement elle décrit l'homme comme "abominable", mais après sa proposition elle déclare "Quelle horreur !" Il s'agit d'une véritable exclamation du cœur soulignée par "s'écria".
- Fantine ne veut rien entendre ; la proposition est trop horrible et elle fuit : "s'enfuit", "boucha les oreilles".
- Elle en parle ensuite à Marguerite. Dans son discours, elle oppose sa beauté et sa laideur si elle donne ses dents : "mais je serai horrible !".
- La ponctuation expressive souligne l'émotion de Fantine.
La maladie de Cosette
- La pauvreté et la misère de Fantine sont rappelées plusieurs fois dans le texte. Lorsque la vieille femme au début dit "heureuse", le lecteur sait qu'il n'en est rien.
- Elle s'exprime avec la chandelle notamment, une seule est utilisée par Marguerite et Fantine pour travailler.
- Fantine travaille tout le temps.
- La maladie de Cosette est un malheur supplémentaire. Fantine relit deux fois la lettre. Elle est "pensive".
- Fantine veut des précisions et questionne Marguerite pour en savoir plus sur la maladie de Cosette : elle demande d'abord ce que c'est, s'il faut beaucoup de médicaments, comment on l'attrape, si les enfants sont touchés, et enfin si on en meurt.
- Le thème de la mort est présent : "meurt", "mourra".
- Ce dialogue est pathétique car le lecteur comprend que Fantine fera tout pour son enfant. La maladie est ce qui décide Fantine.
Le thème de l'argent
- Victor Hugo insiste sur la misère de Fantine.
- L'argent est mentionné plusieurs fois. D'abord par l'arracheur de dents qui propose l'argent, "un napoléon d'or" par palette, "deux napoléons" pour les deux, mais aussi par le nom même de l'auberge : "Tillac d'argent".
- Lorsque Fantine raconte la scène à Marguerite, elle insiste également sur l'argent : "deux napoléons", "quarante franc", répétition de Fantine "oui, quarante franc".
- Marguerite s'exclame : "une fortune !"
Une scène pathétique
- Victor Hugo écrit une scène pathétique qu'il dramatise (impression d'une tragédie). Le récit commence en journée, avec la proposition de l'arracheur de dents et le rejet total de Fantine. L'auteur insiste sur la pauvreté, la maladie de Cosette et sur la réflexion de Fantine qui finalement, "le soir", heure tragique par excellence, sort : "on la vit". Le choix du généralisant "on", donne l'impression que tout le monde regarde Fantine aller vers son destin.
- Victor Hugo ne dit pas clairement les choses d'abord, il écrit simplement qu'elle se dirige vers les auberges. Mais le lecteur sait où loge l'arracheur de dents.
- La dramatisation poursuit avec "le lendemain". Le lecteur ne suit plus Fantine mais Marguerite qui va découvrir l'état de la jeune femme. L'atmosphère est sombre avec une seule "chandelle".
- Les exclamations de Marguerite sont pathétiques : "Seigneur !", "Jésus !", "Jésus Dieu !"
- Elle use d'un euphémisme : "il s'est passé des événements". On découvre Fantine dans un état lamentable, opposé à la beauté du début : "pâle", "glacée", "elle avait vieilli de dix ans".
- La description rappelle le sacrifice passé : "tête sans cheveux". Fantine a déjà donné sa chevelure pour envoyer de l'argent à Cosette.
- Le contraste entre le sourire de Fantine, heureuse car son "enfant ne mourra pas", et son état est éloquent.
- La vision du sang est terrifiante : "sanglant", "salive rougeâtre", "trou noir".
- Hugo dresse le portrait d'une mère sacrificielle tragique.
En quoi la scène est-elle tragique ?
I. La proposition horrifique de l'arracheur de dents
II. La maladie de Cosette qui pèse sur Fantine
III. Une mère sacrificielle
Pourquoi Fantine accepte-t-elle de vendre ses dents ?
I. Le thème de l'argent
II. La maladie de Cosette
III. Une mère sacrificielle
En quoi la scène est-elle pathétique ?
I. La mise en scène de la pauvreté
II. La maladie de Cosette
III. Le choix de Fantine malgré sa réaction initiale