Sommaire
ILa punition de MerteuilIIUn personnage moralIIIUne leçon pour les mères et les fillesIVUne leçon universelleVUne fin cathartiqueVIL'ambiguïté de la moraleMadame de Volanges à Madame de Rosemonde.
Le sort de Mme de Merteuil paraît enfin rempli, ma chère et digne amie; et il est tel que ses plus grands ennemis sont partagés entre l'indignation qu'elle mérite, et la pitié qu'elle inspire. J'avais bien raison de dire que ce serait peut-être un bonheur pour elle de mourir de sa petite vérole. Elle en est revenue, il est vrai, mais affreusement défigurée; et elle y a particulièrement perdu un œil. Vous jugez bien que je ne l'ai pas revue; mais on m'a dit qu'elle était vraiment hideuse.
Le marquis de ***, qui ne perd pas l'occasion de dire une méchanceté, disait hier, en parlant d'elle, que la maladie l'avait retournée, et qu'à présent son âme était sur sa figure. Malheureusement tout le monde trouva que l'expression était juste.
Un autre événement vient d'ajouter encore à ses disgrâces et à ses torts. Son procès a été jugé avant-hier, et elle l'a perdu tout d'une voix. Dépens, dommages et intérêts, restitution des fruits, tout a été adjugé aux mineurs: en sorte que le peu de sa fortune qui n'était pas compromis dans ce procès est absorbé, et au-delà, par les frais.
Aussitôt qu'elle a appris cette nouvelle, quoique malade encore, elle a pris ses arrangements, et est partie dans la nuit, seule et en poste. Ses gens disent aujourd'hui qu'aucun d'eux n'a voulu la suivre. On croit qu'elle a pris la route de la Hollande.
Ce départ fait plus crier encore que tout le reste; en ce qu'elle a emporté ses diamants, objets très considérable, et qui devait rentrer dans la succession de son mari; son argenterie, ses bijoux; enfin, tout ce qu'elle a pu, et qu'elle laisse après elle pour près de 50 000 livres de dettes. C'est une véritable banqueroute.
La famille doit s'assembler demain pour voir à prendre des arrangements avec les créanciers. Quoique parente bien éloignée, j'ai offert d'y concourir; mais je ne me trouverai pas à cette assemblée, devant assister à une cérémonie plus triste encore. Ma fille prend demain l'habit de postulante. J'espère que vous n'oubliez pas, ma chère amie, que dans ce grand sacrifice que je fais, je n'ai d'autre motif, pour m'y croire obligée, que le silence que vous avez gardé vis à vis de moi.
M. Danceny a quitté Paris, il y a près de quinze jours. On dit qu'il va passer à Malte, et qu'il a le projet de s'y fixer. Il serait peut-être encore temps de le retenir?... Mon amie!... ma fille est donc bien coupable?... Vous pardonnerez sans doute à une mère de ne céder que difficilement à cette affreuse certitude.
Quelle fatalité s'est donc répandue autour de moi depuis quelque temps, et m'a frappée dans les objets les plus chers! Ma fille et mon amie!
Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse! et quelles peines ne s'éviterait-on point en y réfléchissant davantage! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d'un séducteur? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler à sa fille? Mais ces réflexions tardives n'arrivent jamais qu'après l'événement; et l'une des plus importantes vérités, comme aussi peut-être des plus généralement reconnues, reste étouffée, et sans usage dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes.
Adieu, ma chère et digne amie; j'éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler.
Paris, 14 janvier 1**
Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses
1782
La punition de Merteuil
- Le roman se clôt avec la punition de Mme de Merteuil : "le sort de Madame de Merteuil paraît enfin rempli".
- On peut voir sa déchéance physique. Elle est malade : "petite vérole". Elle est donc devenue laide : "vraiment hideuse", "affreusement défigurée", "elle y a particulièrement perdu un œil". Son caractère mauvais est donc désormais visible, alors qu'avant elle savait se montrer respectable : "la maladie l'avait retournée, à présent son âme était sur sa figure".
- Elle est pauvre : "dépenses, dommages et intérêts, restitution des fruits, tout". Gradation qui insiste sur la perte du "peu de sa fortune" qui est "absorbé, et au-delà".
- Enfin, la déchéance sociale, elle vit en exil : "est partie seule dans la nuit et en poste". Elle perd son orgueil : "ses plus grands ennemis sont partagés entre l'indignation qu'elle mérite, et la pitié qu'elle inspire". Elle est même abandonnée par ses domestiques : "aucun d'eux n'a voulu la suivre".
- Ce sont de multiples punitions qui frappent cette femme calculatrice et mauvaise.
Un personnage moral
- L'histoire est définitivement terminée, ce sont des personnages secondaires qui s'écrivent ici.
- Ce sont deux personnages moraux. Mme de Rosemonde est attachée à la religion. Elle avait accepté de marier Cécile à Danceny, c'était donc aussi une femme bonne.
- C'est une ancienne amie de Mme de Merteuil.
- C'est une femme sage, elle a un certain âge.
- C'est la tante de Valmont, elle l'a toujours apprécié.
- Le lecteur termine donc le roman avec un personnage très moral, bon, qui est du même côté que le lecteur, c'est-à-dire contre Mme de Merteuil et avec Cécile, Mme de Tourvel et Valmont.
Une leçon pour les mères et les filles
- La fin du roman peut être vue comme une leçon de morale pour les mères et les filles.
- La punition moralisatrice est pire que la mort : "l'indignation qu'elle mérite", "ce serait peut-être un bonheur pour elle de mourir".
- Pour les filles, la leçon est qu'il faut fuir les séducteurs : "ne fuirait pas au premier propos d'un séducteur".
- Pour les mères, il faut qu'elles contrôlent leurs filles : "sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler à sa fille".
- Il faut faire attention au danger : "ces réflexions tardives n'arrivent jamais qu'après l'événement".
- C'est la première fois qu'apparaît le terme de "liaison dangereuse". Certaines relations sont donc à éviter.
Une leçon universelle
- Il y a une leçon plus générale. On passe du personnel au général : "quelle fatalité (...) autour de moi", "qui pourrait ne pas frémir", "quelle femme", "quelle mère".
- Le pronom impersonnel "on" est utilisé : "quelles peines ne s'éviterait-on point".
- La dernière phrase a valeur de vérité générale avec le présent et des termes généralisant comme "généralement" et l'emploi du pluriel : "l'une des plus importantes vérités", "des plus généralement reconnues", "dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes".
Une fin cathartique
- La lettre a une fonction cathartique. Les terribles maux qui tombent sur Mme de Merteuil semblent justifiés. Elle a été cruelle dans tout le roman. Le lecteur déplore la mort de Mme de Tourvel et de Valmont. Il y a une certaine jubilation à lire tout ce que souffre maintenant Mme de Merteuil, une idée de justice.
- Le registre pathétique est employé : "j'éprouve", "plus triste encore", "sacrifice", "les plus chers".
- Il y a une leçon de morale avec des questions de rhétorique, le lecteur ne peut qu'approuver Mme de Volanges : "qui pourrait..."
- Le genre épistolaire donne l'illusion de l'authenticité, plus d'impact.
- La ponctuation est expressive.
L'ambiguïté de la morale
- La fin est ambiguë. Mme de Volanges s'est montrée respectable d'un bout à l'autre du roman, mais souffre tout de même à la fin : "triste", "sacrifice", "difficilement", "affreuse certitude". Malgré ses bonnes actions, elle n'est pas récompensée.
- Il y a l'idée que la leçon arrive trop tard : "ces réflexions tardives n'arrivent jamais qu'après l'événement", "reste étouffée et sans usage", "notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler".
- La société est de toute façon pervertie. Mme de Merteuil est punie, mais quelqu'un d'autre a déjà pris sa place : "le marquis de***, qui ne perd pas l'occasion de dire une méchanceté".
- La société est profondément hypocrite : "on dit", "ils disent que". Elle est faite de jugements et de rumeurs.
- C'est l'ensemble de la société qui ne changera pas : "le tourbillon de nos mœurs inconséquentes".
En quoi cette fin est-elle morale ?
I. La dure punition de Mme de Merteuil
II. La lettre d'un personnage moral
III. Une leçon sur les "liaisons dangereuses"
En quoi cette fin est-elle pathétique ?
I. La punition de Mme de Merteuil
II. La tristesse de Mme de Volanges
III. L'expressivité de la lettre
En quoi la morale est-elle ambiguë ?
I. Une leçon pour les mères et les filles
II. La punition de Mme de Merteuil
III. Une société à jamais corrompue