Sommaire
ILe sacre de Bel-AmiIILes pensées adultères dans un lieu sacré : profanationIIIL'hypocrisie bourgeoiseIVUne écriture imagéeVUne fin originalePuis des voix humaines s'élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et Landeck, de l'Opéra, chantaient. L'encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l'autel le sacrifice divin s'accomplissait ; l'Homme-Dieu, à l'appel de son prêtre, descendait sur la terre pour contempler le triomphe du baron Georges Duroy.
Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l'avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s'adressait, il la remerciait de son succès.
Lorsque l'office fut terminé, il se redressa, et, donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l'interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : "Vous êtes bien aimable."
Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les baisers qu'il lui avait donnés, qu'elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : "Quelle charmante maîtresse tout de même."
Elle s'approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l'appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire : "Je t'aime toujours, je suis à toi !"
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d'amour. Elle murmura de sa voix gracieuse : "À bientôt, monsieur." II répondit gaiement : "À bientôt, madame."
Et elle s'éloigna.
D'autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s'éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l'église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui.
Lorsqu'il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Duroy. Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon.
Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l'éclatant soleil flottait l'image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.
Guy de Maupassant
Bel-Ami
1885
Le sacre de Bel-Ami
- La fin du livre est le sacre de Bel-Ami.
- La narration utilise la focalisation interne. Le personnage se prend pour un "roi qu'un peuple venait acclamer". Cette métaphore se retrouve tout le long du texte.
- On a une impression d'ivresse : "affolé".
- Il a du mal à parler : "balbutiait des mots qui ne signifiaient rien".
- La foule est "amassée", "noire", "bruissante".
- Bel-Ami la qualifie de "peuple de Paris". Il lui semble que tout Paris est là pour son mariage, son sacrement.
- Bel-Ami imagine une foule qui l'admire et veut être à sa place : "le contemplait et l'enviait".
- C'est le succès de Bel-Ami qui est acclamé : "acclamations", "compliments". Il a l'impression d'être enfin reconnu. Il est arrivé tout en haut de la société grâce à son mariage.
Les pensées adultères dans un lieu sacré : profanation
- Duroy n'a pas une attitude qu'on attend d'un jeune marié.
- La scène se passe à l'église : "l'office", "la sacristie", "l'église".
- On remarque l'opposition entre ce lieu et la morale de Duroy.
- L'alternance entre focalisation interne et externe permet de souligner cette opposition.
- Duroy exprime un désir adultère. Mme de Marelle est présente, c'est l'ancienne maîtresse de Duroy. Il éprouve du plaisir pour elle. Il y a un moment d'intimité entre les deux : "leurs yeux se rencontrèrent".
- On note le champ lexical de la sensualité et du désir : "baisers", "caresses", "gentillesses", "goût de ses lèvres".
- Duroy repense au "lit".
- La mariée est à peine mentionnée : "Georges reprit le bras de Suzanne".
L'hypocrisie bourgeoise
- Maupassant dénonce l'hypocrisie bourgeoise.
- La maîtresse, Mme de Marelle, n'a aucun scrupule à jouer le jeu de Duroy : "Je t'aime toujours, je suis à toi".
Par ailleurs, Duroy la séduit de nouveau, mais il est hypocrite envers elle puisqu'il n'a fait que l'utiliser dans tout le roman et qu'il a eu d'autres maîtresses. - L'extrait donne à voir l'hypocrisie religieuse de Duroy : "il se sentait presque croyant, presque religieux". Ironie de Maupassant qui utilise l'adverbe "presque".
- La bourgeoisie présente au mariage se montre envieuse et admirative d'un arriviste : "le peuple de Paris le contemplait".
Une écriture imagée
- La narration utilise la métaphore filée du roi : "affolé de joie" et "un roi qu'un peuple venait acclamer". Elle rappelle le nom même du héros, Duroy.
- La sortie de l'église ressemble à une procession royale.
- La foule est comparée à une "masse" dont on fait abstraction puisqu'elle se résume à des "acclamations" et à des "compliments".
- La foule n'existe que par ce qu'elle apporte à Bel-Ami.
- Le champ lexical du regard est aussi bien développé. La réussite de Duroy est éclatante.
Une fin originale
- La fin du roman est originale. Au début du roman, Duroy se montrait sûr de lui. Il voulait tout réussir. La fin se situe un peu plus de deux ans après le début, et Duroy a tout. La boucle est bouclée.
- La fin du roman n'est absolument pas morale. Duroy a perdu tous les scrupules qu'il avait encore au début. Il veut même aller encore plus loin.
- La fin est ouverte dans le sens où elle laisse entendre que Duroy va renouveler sa relation adultère avec Clotilde, et qu'il veut entrer en politique : "il semblait qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au Palais de Bourdon".
- On évoque une projection dans le futur : "Mais il ne les voyait point, sa pensée revenait maintenant en arrière, et devant ses yeux éblouis par l'éclatant soleil flottait l'image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit".
Comment Maupassant met-il en scène la réussite de Bel-Ami ?
I. La métaphore du sacrement d'un roi
II. La jubilation de Bel-Ami
III. La réussite d'un arriviste
En quoi cette fin est-elle immorale ?
I. Le sacrement d'un roi
II. Bel-Ami, un arriviste au sommet
III. Le thème de l'adultère
Quel portrait est fait de Duroy dans cette scène ?
I. La comparaison au roi
II. Un homme immoral : l'adultère
III. Un arriviste au sommet
En quoi cette fin est-elle originale ?
I. Le sacre de Duroy : la boucle est bouclée
II. L'immoralité d'une telle fin
III. Une ouverture pour la suite