Sommaire
IUn incipit informatifIIUne étude de mœursAUne définitionBLa pension : une description hiérarchiqueCUne galerie de personnagesIIILe pathétiqueIVLa propriétaire : une femme avareAu-dessus de ce troisième étage étaient un grenier à étendre le linge et deux mansardes où couchaient un garçon de peine, nommé Christophe, et la grosse Sylvie, la cuisinière. Outre les sept pensionnaires internes, madame Vauquer avait, bon an, mal an, huit étudiants en Droit ou en Médecine, et deux ou trois habitués qui demeuraient dans le quartier, abonnés tous pour le dîner seulement. La salle contenait à dîner dix-huit personnes et pouvait en admettre une vingtaine ; mais le matin, il ne s'y trouvait que sept locataires dont la réunion offrait pendant le déjeuner l'aspect d'un repas de famille. Chacun descendait en pantoufles, se permettait des observations confidentielles sur la mise ou sur l'air des externes, et sur les événements de la soirée précédente, en s'exprimant avec la confiance de l'intimité. Ces sept pensionnaires étaient les enfants gâtés de madame Vauquer, qui leur mesurait avec une précision d'astronome les soins et les égards, d'après le chiffre de leurs pensions. Une même considération affectait ces êtres rassemblés par le hasard. Les deux locataires du second ne payaient que soixante-douze francs par mois. Ce bon marché, qui ne se rencontre que dans le faubourg Saint-Marcel, entre la Bourbe et la Salpêtrière, et auquel madame Couture faisait seule exception, annonce que ces pensionnaires devaient être sous le poids de malheurs plus ou moins apparents. Aussi le spectacle désolant que présentait l'intérieur de cette maison se répétait-il dans le costume de ses habitués, également délabrés. Les hommes portaient des redingotes dont la couleur était devenue problématique, des chaussures comme il s'en jette au coin des bornes dans les quartiers élégants, du linge élimé, des vêtements qui n'avaient plus que l'âme. Les femmes avaient des robes passées reteintes, déteintes, de vieilles dentelles raccommodées, des gants glacés par l'usage, des collerettes toujours rousses et des fichus éraillés. Si tels étaient les habits, presque tous montraient des corps solidement charpentés, des constitutions qui avaient résisté aux tempêtes de la vie, des faces froides, dures, effacées comme celles des écus démonétisés. Les bouches flétries étaient armées de dents avides. Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action ; non pas de ces drames joués à la lueur des rampes, entre des toiles peintes mais des drames vivants et muets, des drames glacés qui remuaient chaudement le cœur, des drames continus.
Honoré de Balzac
Le Père Goriot
1835
Un incipit informatif
L'incipit est bien informatif, comme doit l'être le début d'un roman. Balzac donne de nombreux renseignements sur son histoire :
- L'apparition de nombreux personnages, leurs noms, leurs fonctions (étudiant, propriétaire...), leurs âges (certains personnages sont qualifiés par leur jeunesse, d'autres par leur vieillesse).
- Le lieu géographique (il s'agit de Paris, dans un quartier populaire).
- Des informations sur l'intrigue (présentation des personnages et de leurs problèmes, la pension Vauquer est au cœur du récit).
- L'auteur capte l'attention du lecteur (il donne des indices, esquisse l'histoire, mais il crée aussi du suspense, l'envie de continuer de lire).
Une étude de mœurs
Une définition
- La plupart des romans réalistes sont considérés comme des études de mœurs. Leur but est de faire la peinture de l'existence de personnages en fonction de leur groupe social.
- L'auteur d'un roman de mœurs entend montrer comment l'ordre social et ses contraintes façonnent les hommes. On ne peut pas échapper à la classe dont on est issu. L'auteur se veut un observateur impartial et objectif.
- Néanmoins, il est souvent du côté des opprimés, il dénonce les injustices. Il veut montrer la façon dont les plus démunis sont écrasés par un système injuste.
La pension : une description hiérarchique
- Balzac fait une description des lieux. Il choisit de décrire la pension de haut en bas. Il commence donc avec le troisième étage, le grenier, puis la salle à dîner, puis le second étage etc. Cela donne l'impression d'une plongée. En fonction de l'endroit où logent les personnages, on peut définir leur statut social.
- Balzac présente, en même temps que la structure de la pension, le quartier dans lequel elle se situe. Il cite notamment "le faubourg Saint-Marcel". Il s'agit d'un quartier populaire de Paris. La pension apparaît comme un endroit où logent des personnages démunis, dans un quartier lui-même démuni. Balzac fait ainsi la description d'un milieu pauvre et plutôt délabré.
Une galerie de personnages
- Les personnages sont nombreux, mais ils appartiennent tous au même milieu social. Ils sont similaires sur plusieurs points.
- Balzac insiste sur leur pauvreté. Ainsi, il décrit leurs vêtements comme étant en mauvais état : "redingotes problématiques", "linge élimé", "robes passée, reteinte, déteinte", "de vieilles dentelles raccommodées" et "fichu éraillé". Les termes dépréciatifs leur sont associés.
- Toutefois, ils tentent de paraître dignes.
- Les personnages sont logés en fonction de leur pauvreté. Les plus pauvres sont tout en haut. Sylvie et Christophe sont les plus pauvres, ils n'ont pas de fonction, pas de nom de famille. Viennent ensuite les étudiants, et enfin les plus aisés de la pension. Mais même les plus riches sont très pauvres, Balzac le souligne en utilisant les expressions "ne payent que" et "bon marché".
- Balzac lie ici pension et personnages. Il montre comment le lieu influence les personnages et vice-versa. Il entend bien faire un roman de mœurs, qui dénonce la situation des plus pauvres.
Le pathétique
- Le pathétique est un moyen pour susciter l'émotion du lecteur.
- Ce dernier paraît notamment dans la description des personnages. Balzac veut émouvoir : "le spectacle désolant que présentait l'intérieur de cette maison se répétait dans le costume de ses habitués, également délabrés". Ce passage insiste sur l'extrême pauvreté des personnages.
- De plus, l'auteur choisit d'associer le terme "délabré" à des humains, alors que cet adjectif s'utilise plutôt pour un lieu. Les hommes sont donc intrinsèquement liés au lieu où ils vivent.
- Balzac entend aussi montrer qu'ils ne sont presque plus humains tant ils sont pauvres."Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action (...) mais des drames vivants et muets." Les personnages sont des symboles de la misère humaine. Ce sont des naufragés qui ont "résisté aux tempêtes de la vie". Balzac fait le portrait d'hommes abîmés, fatigués par la vie. Ils ont connu de nombreux drames. Leur situation est injuste.
La propriétaire : une femme avare
- La propriétaire, madame Vauquer, est décrite par Balzac comme une femme méchante qui profite de la misère humaine : "Ces sept pensionnaires étaient les enfants gâtés de Mme Vauquer, qui leur mesurait avec une précision d'astronome les soins et les égards, d'après les chiffres de leurs pensions". Balzac utilise ici l'ironie. Il souligne qu'elle est avare. Elle ne donne pas plus que ce que ses pensionnaires peuvent se permettre. Elle contrôle avec soin ce qu'ils peuvent payer.
- Balzac pense le contraire de ce qu'il écrit. Les personnages ne sont pas du tout "gâtés". Par ailleurs, en associant la propriétaire à une "astronome", il rappelle sa position. Elle n'est pas quelqu'un de très important, mais elle abuse de son autorité, et contrôle les sous comme un grand scientifique contrôlerait son travail.
- La propriétaire ne prend pas soin de sa pension, qui est délabrée. Balzac dénonce l'état des chambres qu'elle loue. Elle se permet même de faire payer des gens qui dorment avec le linge dans le grenier. L'auteur souligne qu'elle profite de la misère humaine.
Comment Balzac décrit-il le dénuement des personnages ?
I. Une description hiérarchique
II. Des personnages usés par la vie
III. Le pathétique
En quoi ce passage est-il une étude de mœurs ?
I. La description de la pension
II. La pauvreté des personnages
III. Une dénonciation des conditions de vie
Comment Balzac dénonce-t-il la propriétaire ?
I. Une pension délabrée
II. L'état des pensionnaires
III. L'ironie