Sommaire
ILe cadre spatio-temporelIILa composition du passageADe l'extérieur vers l'intérieurBLe jeu sur les points de vueIIIUne description vivanteAL'utilisation des sensBUne impression de mouvementIVLa présentation du personnage principalVUn incipit de roman d'apprentissageLe 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-Montereau, près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard.
Des gens arrivaient hors d'haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation ; les matelots ne répondaient à personne ; on se heurtait ; les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s'absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui, s'échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d'une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à l'avant, tintait sans discontinuer.
Enfin le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d'usines, filèrent comme deux larges rubans que l'on déroule.
Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d'œil, l'île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.
M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s'en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d'aller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable, l'avait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui, l'héritage ; il en était revenu la veille seulement ; et il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la route la plus longue.
Gustave Flaubert
L'Éducation sentimentale
1869
Le cadre spatio-temporel
- Le texte comporte des indications de temps et de lieux précises : "le 15 septembre 1840", "vers six heures du matin", "devant le quai Saint-Bernard", "les deux berges", "auprès du gouvernail", "immobile", "l'île Saint-Louis", "la Cité", "Notre-Dame", "Paris", "Nogent-sur-Seine", "le Havre", "la capitale", "sa province", "et bientôt Paris disparaissant".
- Le cadre est donc extrêmement précis. C'est la période de la monarchie de Juillet de Louis-Philippe Auguste, une époque marquée par un contexte politique et social difficile.
- L'auteur donne des indications sur le lieu dont vient le héros, "au Havre", et où il se rend, "à Nogent-sur-Seine".
- Toutes ces indications permettent de souligner l'aspect réaliste du passage.
La composition du passage
De l'extérieur vers l'intérieur
L'extrait est construit comme une sorte de mouvement de l'extérieur vers l'intérieur.
- Du premier paragraphe au troisième, Flaubert décrit un plan général, "devant le quai Saint-Bernard". Il parle de "gens", donc d'une foule anonyme. C'est le départ d'un bateau.
- Au quatrième paragraphe, on se rapproche d'un personnage en particulier. Flaubert introduit "un jeune homme". Il s'éloigne du personnage pour décrire de nouveau un plan général, les quais. Cependant, ils sont vus "à travers le brouillard", par le personnage qui "contemplait des clochers".
- Au cinquième paragraphe, le personnage est introduit, il est nommé "Frédéric Moreau". On entre dans l'histoire.
Le jeu sur les points de vue
Le resserrement de l'histoire sur Frédéric est permis grâce à un jeu sur les points de vue.
- De "des gens arrivaient hors d'haleine" jusqu'à "la cloche, à l'avant, tintait sans discontinuer", il s'agit d'une focalisation interne.
- Au paragraphe quatre, la phrase "un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile" est une focalisation externe, mais on passe ensuite à une focalisation interne avec "des édifices dont il ne savait pas les noms".
- Au cinquième paragraphe, on peut parler de focalisation omnisciente. C'est le narrateur qui parle, mais il nous en dit plus sur le personnage : "M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s'en retournait à Nogent-sur-Seine."
Une description vivante
L'utilisation des sens
Pour donner vie à ce passage, l'auteur utilise quatre des cinq sens :
- La vue : "devant le quai Saint-Bernard" et l'énumération "l'île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame". Cela donne l'impression au lecteur de regarder la scène en même temps.
- L'ouïe : "tapage", "bruissement", "la cloche tintait". Les bruits permettent de souligner l'agitation, le mouvement de la foule sur les quais.
- L'odorat : l'odeur de la vapeur
- Le toucher : l'humidité de la "nuée blanchâtre"
Une impression de mouvement
Flaubert crée l'illusion du mouvement.
- Il utilise de nombreux verbes de mouvement : "arrivaient", "heurtait", "montaient" et "s'absorbait".
- Il multiplie les pluriels, ce qui donne une impression de foisonnement : "des gens", "des barriques", "des câbles", "des corbeilles de linge", "les matelots", "les colis".
- Il utilise le pronom indéfini "on" pour définir la foule anonyme.
- Il y a une énumération : "des barriques, des câbles, des corbeilles de linge". Cela accentue l'idée d'agitation.
La présentation du personnage principal
Flaubert donne plusieurs informations sur le personnage principal :
- Son nom : Frédéric Moreau
- Son âge : 18 ans
- Son apparence : "cheveux longs"
- Ses origines : il vient de "Nogent-sur-Seine". C'est un bourgeois qui habite la banlieue.
- Son statut : il vient d'avoir son bac, il va faire des études en droit.
- Sa situation financière : il attend un héritage.
- Son caractère : Flaubert décrit l'attitude du héros : "contemplait", "un grand soupir", "immobile", "il devait languir", "il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale". Frédéric, dans un décor en mouvement, reste immobile. Il est passif. Il est frustré. Il contemple.
Un incipit de roman d'apprentissage
Plusieurs indices peuvent permettre d'assurer qu'il s'agit du début d'un roman d'apprentissage :
- Le roman débute tôt le matin. Frédéric lui-même est très jeune. Il commence tout juste sa vie d'adulte. C'est le début de sa vie active, le début de son histoire.
- Le mouvement sur le quai symbolise la mise en marche de l'existence de Frédéric.
- Le thème du voyage, avec le bateau, souligne l'idée de commencement.
- Le brouillard symbolise ce qui est inconnu. Ce sont les incertitudes de Frédéric.
- Flaubert insiste sur la longueur de la route. Elle représente la vie de Frédéric qui va être pleine de difficultés.
- Il est jeune et innocent. Il ne connaît pas encore la vie.
En quoi cet incipit remplit-il son rôle ?
I. La situation spatio-temporelle
II. L'esquisse de l'intrigue
III. L'introduction à Frédéric
En quoi ce passage est-il réaliste ?
I. Une peinture du monde moderne
II. Des descriptions détaillées
III. Une opposition entre Paris et la province
En quoi cet incipit est-il original ?
I. L'exposition de l'intrigue
II. Les variations de points de vue
III. Une nouvelle esthétique
Comment le personnage principal est-il présenté ?
I. La composition du passage
II. Les variations de points de vue
III. Un héros de roman d'apprentissage