Sommaire
ILa tristesseIILa terreurIIIDes sensations fortesIVL'argumentation de VoltaireVUn poème destiné à marquer les hommesVILa dimension polémiqueÔ malheureux mortels ! ô terre déplorable !
Ô de tous les mortels assemblage effroyable !
D'inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez : "Tout est bien"
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours !
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix" ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes" ?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes
Partout environnés des cruautés du sort,
Des fureurs des méchants, des pièges de la mort
De tous les éléments éprouvant les atteintes,
Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes.
C'est l'orgueil, dites-vous, l'orgueil séditieux,
Qui prétend qu'étant mal, nous pouvions être mieux.
Allez interroger les rivages du Tage ;
Fouillez dans les débris de ce sanglant ravage ;
Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi
Si c'est l'orgueil qui crie "Ô ciel, secourez-moi !
Ô ciel, ayez pitié de l'humaine misère !"
Voltaire
Poème sur le désastre de Lisbonne
1756
La tristesse
- Le lyrisme du poème est visible par les expressions : "Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !", "Malheureux", " Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses".
- La douleur est évoquée : "D'inutiles douleurs éternel entretien !" ainsi que l'empathie pour les victimes avec l'hyperbole : "Cent mille infortunés que la terre dévore".
- Le thème de la lamentation est développé dans le poème : "Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours", "lamentable", "lamenter".
- On peut voir l'implication directe du poète : "Vous pleurez comme nous", "Ma plainte est innocente".
La terreur
- Le texte utilise le champ lexical de la terreur avec l'hyperbole "assemblage effroyable".
- La destruction provoquée, "ces ruines affreuses", est renforcée par la personnification du tremblement de terre : "que la terre dévore".
- La souffrance des victimes est grande : "palpitants encore".
- L'auteur rappelle l'écrasement de certains : "Enterrés sous leurs toits".
- La peur est renforcée par les expressions "Dans l'horreur des tourments", "horreurs", "tourments", mais aussi par l'hyperbole : "Au spectacle effrayant".
- Les cris rajoutent à la scène de terreur : "mes cris légitimes", "aux cris demi-formés".
Des sensations fortes
- Les sens sont importants. Ils sont tous présents :
- Ouïe : "aux cris demi-formés de leurs voix expirantes".
- Vue : "contemplez ces ruines affreuses".
- Toucher : "ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses", "quand vous sentez les coups".
- Odorat : "vous sentez les coups", "leurs cendres fumantes".
- Le goût : "plongés dans les délices".
- On remarque l'opposition de ces "délices" avec "Lisbonne est abîmée".
- Il en va de même pour l'opposition entre "entassés" et "dispersés".
L'argumentation de Voltaire
- Voltaire dénonce les philosophes optimistes. Il les pousse à prendre conscience du mal chez l'Homme. Il décrit pour cela un "spectacle effrayant" qui rend tout optimisme révoltant.
- L'auteur pose une question rhétorique : "Si Dieu est libre et bon" il n'aurait jamais fait ça. Ce massacre ne peut pas être voulu par Dieu.
- Les questions sont formulées de façon à ce que la réponse possible soit toujours non : "direz-vous".
- Voltaire présente une contradiction. Si c'est une punition divine, pourquoi Dieu a-t-il épargné "Paris" ou "Londres" ? Dans la Bible, Dieu a parfois rejeté la vengeance pour sauver "un seul juste". Pourquoi ici a-t-il frappé des enfants qui étaient innocents ? Il n'y a pas de justification au massacre à Lisbonne.
- Il use d'ironie : "intrépides esprits".
- Il dénonce l'Homme incapable d'être satisfait : "séditieux".
Un poème destiné à marquer les hommes
- C'est un poème qui est destiné aux hommes : "mortels".
- Les hommes sont les victimes et les coupables.
- Voltaire s'adresse aux philosophes optimistes : "Tout est bien".
- Il emploie l'adjectif démonstratif "ces" pour dénoncer les horreurs.
- Pour frapper l'opinion, il dresse une énumération des destructions : "ruines", "débris", "lambeaux", "cendres", "marbres rompus", "membres dispersés".
- Le registre pathétique est renforcé par le fait que les victimes soient innocentes : "femmes" et "enfants".
- L'amplification de l'horreur est rendue possible par les participes passés : "infortuné", "sanglants", "déchirés", "palpitants", enterrés".
- L'enjambement symbolise l'atrocité de la scène : "l'horreur des tourments".
La dimension polémique
- Par la répétition de "ô", Voltaire appelle à l'empathie.
- L'auteur dénonce la philosophie de Leibniz : "Philosophes trompés". On ne vit pas dans le meilleur des mondes.
- Ses accusations utilisent des arguments d'autorité : "Accourez, contemplez ces ruines affreuses".
- Voltaire se met à la place des philosophes pour mieux les critiquer : "Direz-vous", "le choix ?", "Direz-vous", "leurs crimes ?". Il répète "Direz-vous".
- Il pose des questions rhétoriques : "Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?", "Lisbonne [...] les délices ?".
- La métaphore filée du naufrage renforce le côté dramatique de la situation : "plongés", "abîmée", "naufrages".
- On note l'implication de l'auteur : "vous pleurez comme nous", "ma plainte". Il prend même parti : "Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes / Ma plainte est innocente et mes cris légitimes."
- La ponctuation soutenue donne du rythme, de l'impact.
Comment Voltaire dénonce-t-il le massacre de Lisbonne ?
I. Le lyrisme du poète
II. Le thème de la souffrance
III. La destruction et la mort
Comment Voltaire s'en prend-il aux philosophes optimistes ?
I. L'ironie de Voltaire
II. Des questions rhétoriques
III. L'injustice du massacre
Quelle description Voltaire fait-il du massacre de Lisbonne ?
I. La destruction de la ville
II. La souffrance
III. Un spectacle effrayant