Sommaire
IUne définition de l'autoritéALa sourceBAutorité naturelle et autorité non naturelleIIUne dénonciation de l'autorité par la forceIIILe divinIVL'objectivité de DiderotVLes outils de l'argumentationAutorité Politique
Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d'en jouir aussitôt qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l'état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter à l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils on déféré l'autorité.
La puissance qui s'acquiert par la violence n'est qu'une usurpation et ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que, si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu'ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l'autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l'autorité la défait alors : c'est la loi du plus fort.
Quelquefois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature ; c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu'on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être tyran.
La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve a un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C'est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu'ils obéissent à l'un d'eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature s'arroge pas les droit du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l'idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n'est qu'une cérémonie extérieur, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l'esprit ne se souvient guère qu'il abandonne à l'institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra des marques d'un culte civil et politique, ou d'un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l'esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n'a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie ce qu'on a voulu qu'il signifiât ; mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d'une pure créature, en faire l'unique et le dernier motif de ses actions c'est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef.
Denis Diderot
Encyclopédie
XVIIIe siècle
Une définition de l'autorité
La source
- Diderot affirme que dans la nature il n'y a pas de principe d'autorité. Les hommes naissent donc libres et égaux. Il y a un droit naturel de l'Homme à être libre.
- Il affirme cette idée de manière catégorique avec l'emploi de "aucun".
- La répétition du terme "droit" insiste sur le fait que l'autorité est une construction de l'Homme, elle n'est pas naturelle.
- Diderot réfute l'argument de l'adversaire : "aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres".
- Il affirme la liberté humaine : "la liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d'en jouir aussitôt qu'il en jouit de la raison".
- La source de l'autorité n'est donc pas naturelle.
Autorité naturelle et autorité non naturelle
- Diderot oppose autorité naturelle et autorité paternelle.
- Diderot admet que la nature est à l'origine de l'autorité paternelle : "Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle". Le terme "si" montre qu'il s'agit d'une hypothèse, ce n'est pas certain.
- Ceci dit, l'autorité du père est limitée. En effet, Diderot utilise le connecteur logique : "mais" qui oppose à cette autorité des "bornes". Cette autorité a une fin : "finirait".
- L'autorité paternelle prend fin quand les enfants sont grands : "aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire".
- Diderot affirme que toute autre autorité est détachée de la nature : "Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature".
- Diderot expose les deux autres sources de l'autorité. Celle illégitime, obtenue par la force et la violence, et celle légitime, l'autorité par le consentement qui sous-entend un contrat des peuples. Ces deux autorités ne sont pas naturelles, elles sont humaines.
Une dénonciation de l'autorité par la force
- Diderot dénonce l'autorité par la force et la violence.
- On trouve le champ lexical de la violence : "la violence", "la force", "commande", "les plus forts", "le joug", "la loi du plus fort".
- Il y a une opposition entre dominateur et opprimés : "celui qui"/"ceux qui". Cette idée est renforcée par l'antithèse "qui commande"/"obéissent".
- L'autorité par la force est contestable. Elle est illégitime. L'homme qui prend ainsi le pouvoir est un "tyran".
- Cette autorité a des limites. Si l'homme qui a pris le contrôle perd sa force ou rencontre un homme plus fort, il est renversé.
- Le pouvoir acquis par la force est pour Diderot une "usurpation".
- Cette autorité semble instable: "ne dure autant que", "deviennent à leur tour", "secouent", "fait" et "défait".
- Diderot oppose à cette autorité par la force l'autorité par le consentement : "du consentement exprès", "prince" (et plus tyran).
- On passe d'un pouvoir illégitime à un pouvoir légitime.
- L'autorité par le consentement a plus de force. Elle est plus juste. Elle est "utile à la société", "avantageux à la république".
Le divin
- Diderot légitime l'autorité par consentement en assurant que c'est celle que Dieu valide.
- Il est question de la présence du divin : "entièrement", "sans réserve", "maître supérieur".
- Dieu est supérieur à l'Homme, car l'Homme est sa créature : "pouvoir immédiat sur la créature".
- Dieu est associé à des termes négatifs : "maître aussi jaloux qu'absolu". C'est une façon pour Diderot de critiquer la monarchie absolue de droit divin. Jamais Dieu n'accepterait qu'un roi s'arroge ses pouvoirs : "ne perd jamais de ses droits et ne les communique point". Aucun homme ne peut donc prétendre égaler ou dépasser Dieu.
- Diderot assure que l'Homme est libre car Dieu l'a voulu ainsi : "l'homme ne peut ni se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui il appartient tout entier".
- La soumission totale à un autre Homme est donc impossible car Dieu règne sur tous les hommes.
- Il faut donc limiter le pouvoir du souverain, car personne ne doit remplacer Dieu. L'autorité par la force est donc une insulte à Dieu, une usurpation du pouvoir et de la place de Dieu.
- C'est une façon pour Diderot d'éviter la censure.
L'objectivité de Diderot
- Afin de renforcer son argumentation, Diderot tend à objectiver son propos.
- Il s'implique peu dans le texte. Ainsi, il y a peu de pronoms personnels, le ton est souvent détaché, les formules sont générales.
- Par le biais des pronoms personnels "il" et "on", l'auteur renvoie à l'universalité de la thèse.
- On peut noter l'utilisation d'un "je" impartial qui analyse, qui est un intermédiaire.
- Diderot envisage tous les cas de figure : "quelquefois", "qu'on examine bien". L'article est donc réfléchi, Diderot a bien étudié la situation.
- C'est le présent de l'indicatif qui est le plus utilisé. Il a une valeur de vérité générale.
- Les phrases sont toutes déclaratives. Il y a des phrases longues et en fin de paragraphe des phrases courtes qui concluent. On perçoit la logique implacable de Diderot.
- De cet extrait se dégage une impression de neutralité et donc d'objectivité.
Les outils de l'argumentation
- La construction " si... mais " induit un raisonnement concessif. Diderot feint de respecter le point de vue de l'adversaire pour mieux le démonter.
- On trouve de nombreux connecteurs logiques : "mais", "car", "aussitôt", "en sorte que", "quelque fois", "parce que", "alors", "dont".
- On peut remarquer des phrases de transition : "dont je vais parler".
- Diderot emploie différentes relations logiques pour justifier son propos.
- Pour expliquer, il se base sur la cause et la conséquence.
- Il fait de nombreuses comparaisons et des oppositions.
- Il illustre souvent ses propos par des exemples.
- On peut noter l'utilisation de modalisateurs : "aucun", "chaque", "toute autre autorité", "qu'on examine bien", "toujours", "nécessairement", "jamais", "point".
Comment Diderot construit-il son argumentation ?
I. Un raisonnement concessif
II. L'opposition entre deux autorités
III. L'universalité du propos
Que dénonce Diderot dans ce texte ?
I. L'autorité par la force
II. Le pouvoir absolu : une usurpation du droit divin
Que défend Diderot et comment ?
I. L'autorité par consentement
II. Dieu, le seul maître absolu de l'Homme
III. Vers l'universalité