Sommaire
IUne définition qui dénonce le fanatismeIIUne maladieIIIConvaincre et persuader le lecteur : les outils de l'argumentationIVUne critique de la religionVLa philosophie : un remède au fanatismeFanatisme
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances ; il pourra bientôt tuer pour l'amour de Dieu.
Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n'était encore qu'enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le Pape est l'antechrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le Pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère : il l'assassine ; voilà du parfait : et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.
Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d'Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d'autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.
Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n'allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l'ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde : mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n'ont d'autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d'autant plus coupables, d'autant plus dignes de l'exécration du genre humain, que, n'étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu'ils pourraient écouter la raison.
Il n'est d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent, pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l'esprit l'exemple d'Aod qui assassine le roi Églon ; de Judith qui coupe la tête d'Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel qui hache en morceaux le roi Agag ; du prêtre Joad qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc., etc., etc. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l'Antiquité, sont abominables dans le temps présent : ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Lorsqu'une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J'ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s'échauffaient par degrés parmi eux : leurs yeux s'enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tendre leurs membres et écumer. Ils criaient : "Il faut du sang". Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. Il n'y a eu qu'une seule religion dans le monde qui n'ait pas été souillée par le fanatisme, c'est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c'est à la folie des hommes qu'il faut s'en prendre.
Voltaire
Dictionnaire philosophique portatif
1764
Une définition qui dénonce le fanatisme
- Le début laisse supposer qu'il s'agit d'une définition. En effet, Voltaire commence par : "le fanatisme est".
- En vérité, Voltaire dénonce le fanatisme dans cet article. Il s'attaque aux fanatiques : "le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère."
- Voltaire associe "fanatisme" et "superstition" en utilisant un parallélisme. Le fanatisme devient ainsi la superstition poussée à son paroxysme.
- La superstition est le contraire de la raison. Le superstitieux ne peut pas penser par lui-même. Le fanatique est donc encore pire.
- Contrairement à une définition classique qui doit être objective, Voltaire est subjectif ici. Il y a un jugement de valeur.
- Les fanatiques sont désignés comme des hommes malades, incapables de réflexion posée et structurée : "Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties", "des convulsionnaires qui", "s'échauffaient par degrés".
- Le fanatique est un fou. Voltaire donne des exemples : Barthélemy Diaz ou Polyeucte.
Une maladie
- Le fanatisme est associé à une maladie.
- Dès le début, une analogie est faite entre le fanatisme et la maladie : "fanatisme"/ "transport" et "superstition"/ "fièvre".
- Le fanatisme est assimilé à une maladie grave et incurable : "gangrène", "maladie épidémique", "peste".
- Il est aussi présenté comme une maladie mentale : "un fou furieux", "rage", "folie", "fureur", "frénétique", "monomane".
- Le fanatique est impulsif, il ne sait pas réfléchir calmement. Voltaire évoque des convulsions.
Convaincre et persuader le lecteur : les outils de l'argumentation
- Le texte est construit pour convaincre le lecteur.
- Deux parties structurées en plusieurs paragraphes.
- D'abord, Voltaire explique ce qu'est le fanatisme des paragraphes un à cinq. Le fanatisme est associé à la superstition puis à la folie.
- Voltaire offre ensuite des remèdes au fanatisme. Il met en avant l'insuffisance de la religion et des lois, et prend l'exemple des savants de Chine.
- Le texte est une argumentation. On peut relever la présence de connecteurs logiques, donc d'adverbes et conjonctions de coordination ou de subordination : "comme si", "plus…que", "mais", "à condition que".
- L'auteur propose des exemples historiques, avec Polyeucte notamment.
- Voltaire veut aussi persuader le lecteur, s'adresser à ses sentiments.
- Il propose un exemple personnel : "J'ai vu".
- On peut remarquer l'expression d'un jugement subjectif : "un fanatique moins horrible, mais non moins sot", "des énergumènes malades de la même rage que Diaz".
- Voltaire utilise des hyperboles : "coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces".
- Il emploie parfois un vocabulaire dépréciatif : "fripon", "poison".
- Cette satire est marquée par l'exagération.
- Voltaire use de l'ironie : "qui la tua en effet pour l'amour de Dieu".
- On peut relever l'oxymore : "assassiner saintement".
Une critique de la religion
- Pour Voltaire, le fanatisme trouve ses racines dans la religion.
- Étymologiquement, "fanatisme" vient du latin "fanaticus" qui vient de "fanum", le temple. "Fanaticus" signifie "en délire". Dès le début, religion et folie sont donc liées, associées.
- Pour Voltaire, la religion ne peut pas être un remède. Au contraire, c'est un poison qui contrôle les cerveaux des hommes.
- Voltaire détourne des figures héroïques. En effet, il mentionne des personnages bibliques comme Aod et Judith, mais au lieu de mettre en avant leur héroïsme ou leur sacrifice, il s'en moque. Ainsi, Aod devient un assassin et Judith une prostituée, alors que Samuel est montré comme un boucher. Voltaire montre ainsi des faits religieux comme des actes cruels et fanatiques.
- Voltaire va même plus loin, accusant la religion d'être responsable de la violence, et relève un paradoxe : "Ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne". Ainsi, alors que la Bible condamne le meurtre, la religion pousse au meurtre.
- Voltaire dénonce les massacres commis au nom de la religion. Barthélemy Diaz a commis un fratricide au nom de la religion.
- Voltaire remet en question les lois. En effet, il les juge inefficaces pour lutter contre le fanatisme. On peut relever le champ lexical de la justice : "un arrêt du conseil", "la seule loi", "obéir aux hommes".
- L'intolérance est le fruit de la religion, du fanatisme. Elle peut être très violente : "Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n'allaient point à la messe."
La philosophie : un remède au fanatisme
- Pour Voltaire, le seul remède au fanatisme est la philosophie.
- Il prend pour exemple la philosophie des lettrés de la Chine. Cette philosophie s'oppose à la religion. Le philosophe est le contraire du fou.
- Voltaire décrit le philosophe comme un homme "éclairé". Il est réfléchi. Il est en quête de sagesse.
- Voltaire veut que les philosophes contrôlent la cité (idée de Platon). Le pouvoir devrait leur être confié.
- Pour Voltaire, les "lettrés de Chine" ne peuvent pas devenir fanatiques, car ils ont une grande sagesse.
- Voltaire dénonce la fanatique qui croit trouver le bonheur après la mort. Par opposition, le philosophe cherche la paix dans la vie, "la tranquillité qui apaise l'âme".
Que dénonce Voltaire ?
I. Le fanatisme : une maladie
II. La religion responsable du fanatisme
III. Les lois humaines inefficaces contre le fanatisme
Comment Voltaire dénonce-t-il le fanatisme ?
I. L'analogie entre "fanatisme" et "maladie"
II. Convaincre le lecteur : la religion responsable
III. Persuader le lecteur : une satire ironique
Comment peut-on lutter contre le fanatisme ?
I. Le fanatisme, une maladie
II. L'inefficacité des lois
III. La philosophie, un remède