Sommaire
IUne lettre ouverteIIL'appel à la jeunesseIIITravailler pour la justiceIVUn combat dans le tempsVUn rappel et une mise en gardeVIL'enjeu de la lettre : persuaderÔ jeunesse, jeunesse ! Je t'en supplie, songe à la grande besogne qui t'attend. Tu es l'ouvrière future, tu vas jeter les assises de ce siècle prochain, qui, nous en avons la foi profonde, résoudra les problèmes de vérité et d'équité, posés par le siècle finissant. Nous, les vieux, les aînés, nous te laissons le formidable amas de notre enquête, beaucoup de contradictions et d'obscurités peut-être, mais à coup sûr l'effort le plus passionné que jamais siècle ait fait vers la lumière, les documents les plus honnêtes et les plus solides, les fondements mêmes de ce vaste édifice de la science que tu dois continuer à bâtir pour ton honneur et pour ton bonheur. Et nous ne te demandons que d'être encore plus généreuse, plus libre d'esprit, de nous dépasser par ton amour de la vie normalement vécue, par ton effort mis entier dans le travail, cette fécondité des hommes et de la terre qui saura bien faire enfin pousser la débordante moisson de joie, sous l'éclatant soleil. Et nous te céderons fraternellement la place, heureux de disparaître et de nous reposer de notre part de tâche accomplie, dans le bon sommeil de la mort, si nous savons que tu nous continues et que tu réalises nos rêves.
Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l'exprimer publiquement, c'est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n'es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c'est que de se réveiller chaque matin avec la botte d'un maître sur la poitrine, tu ne t'es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères, et ne commets pas le crime d'acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l'intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.
Jeunesse, jeunesse ! Sois toujours avec la justice. Si l'idée de justice s'obscurcissait en toi, tu irais à tous les périls. Et je ne te parle pas de la justice de nos codes, qui n'est que la garantie des liens sociaux. Certes, il faut la respecter, mais il est une notion plus haute, la justice, celle qui pose en principe que tout jugement des hommes est faillible et qui admet l'innocence possible d'un condamné, sans croire insulter les juges. N'est-ce donc pas là une aventure qui doive soulever ton enflammée passion du droit ? Qui se lèvera pour exiger que justice soit faite, si ce n'est toi qui n'es pas dans nos luttes d'intérêts et de personnes, qui n'es encore engagée ni compromise dans aucune affaire louche, qui peux parler haut, en toute pureté et en toute bonne foi ?
Jeunesse, jeunesse ! Sois humaine, sois généreuse. Si même nous nous trompons, sois avec nous, lorsque nous disons qu'un innocent subit une peine effroyable, et que notre cœur révolté s'en brise d'angoisse. Que l'on admette un seul instant l'erreur possible, en face d'un châtiment à ce point démesuré, et la poitrine se serre, les larmes coulent des yeux. Certes, les gardes-chiourme restent insensibles, mais toi, toi, qui pleures encore, qui dois être acquise à toutes les misères, à toutes les pitiés ! Comment ne fais-tu pas ce rêve chevaleresque, s'il est quelque part un martyr succombant sous la haine, de défendre sa cause et de le délivrer ? Qui donc, si ce n'est toi, tentera la sublime aventure, se lancera dans une cause dangereuse et superbe, tiendra tête à un peuple, au nom de l'idéale justice ? Et n'es-tu pas honteuse, enfin, que ce soient des aînés, des vieux, qui se passionnent, qui fassent aujourd'hui ta besogne de généreuse folie ?
- Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui battez les rues, manifestant, jetant au milieu de nos discordes la bravoure et l'espoir de vos vingt ans ?
- Nous allons à l'humanité, à la vérité, à la justice !
Émile Zola
Lettre à la jeunesse
1897
Une lettre ouverte
- Zola choisit d'écrire une lettre ouverte. Elle est destinée à tous, mais adressée particulièrement aux jeunes gens.
- Zola s'exprime en son nom, il y a répétition de la première personne du singulier. Il parle aussi au nom des gens de sa génération : "nous, les vieux, les aînés". Cette expression est reprise en chiasme à la fin du texte : "des aînés, des vieux".
- Il emploie le présent d'énonciation, ce qui signifie que la lettre inscrite dans l'actualité immédiate. La fin de la lettre s'ouvre vers l'avenir.
- La lettre a été publiée dans une revue.
- Le titre de la lettre rappelle le destinataire : la jeunesse.
- À la fin de la lettre, on trouve un dialogue.
L'appel à la jeunesse
- La jeunesse est personnifiée, elle devient une entité à part entière : "tu". Le choix de ce pronom instaure une certaine familiarité entre Zola et elle.
- On retrouve l'apostrophe anaphorique à la jeunesse plusieurs fois dans le texte. Cela donne du rythme.
- Les expressions "jeunes gens" et "étudiants" sont répétées.
- Par l'emploi de l'impératif, Zola est l'aîné qui conseille les jeunes : "songe", "Souviens-toi", "Remercie", "Sois humaine, sois généreuse", "sois avec nous".
- Il l'use également en défense : "ne commets pas le crime".
- On observe plusieurs questions rhétoriques : "Qui donc si ce n'est toi".
- Certains passages sont au conditionnel : "si l'idée de justice s'obscurcissait en toi, tu irais à tous les périls."
- La jeunesse est idéalisée, Zola en fait un portrait valorisant, il faut que la jeunesse ait envie de lire la lettre. Zola lui attribue de nombreuses qualités : "vérité et équité", "ton honneur", "généreuse", "libre d'esprit", "amour de la vie", "ton enflammée passion du droit".
- Il lance un appel à se mobiliser avec l'antithèse : "toi qui n'est pas encore engagée dans nos luttes...".
Travailler pour la justice
- Zola met en avant plusieurs valeurs.
- Il oppose ce que les anciens ont déjà accompli à ce que les jeunes doivent accomplir.
- On note le champ lexical du travail, valeur la plus importante : "grande besogne", "ouvrière", "bâtir", "effort mis entier dans le travail", "la besogne", "notre enquête", "tâche accomplie".
- La jeunesse ne doit pas se reposer. Tout ce travail n'a qu'un but : atteindre la justice (dernier paragraphe).
Un combat dans le temps
- L'auteur met en opposition le passé le présent, mais également l'avenir. Cela prouve l'espoir que Zola place en la jeunesse.
- La jeunesse est la seule qui peut aider comme le montre la question rhétorique : "Qui donc si ce n'est toi...".
- Le passé est évoqué par : "le siècle finissant", "le formidable amas de notre enquête", "beaucoup de contradictions et d'obscurités".
- Le présent et l'avenir sont évoqués par : "l'effort le plus passionné", "ce siècle prochain", "l'éclatant soleil".
- La jeunesse va prolonger le combat. Il utilise le futur proche "tu vas", et le futur simple : "résoudra", "céderons".
- La métaphore de la moisson à la fin du premier paragraphe représente ce travail de culture qu'il faut entreprendre tous ensemble.
Un rappel et une mise en garde
- Zola rappelle les droits dont jouit la jeunesse grâce à sa génération : la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté de déplacement.
- Il évoque quel difficile combat ce fut pour acquérir ces droits en employant le champ lexical du combat avec "batailles", "vaincre", "conquérir", "leur sang", "battre".
- Zola met en garde la jeunesse contre la dictature : "si", "ne commets pas".
L'enjeu de la lettre : persuader
- Zola cherche à persuader la jeunesse. Il veut la pousser à se battre pour la justice. Il s'adresse à ses sentiments.
- Il flatte la jeunesse. Il fait son portrait comme d'un général courageux qui veut s'engager pour une "cause dangereuse et superbe". Il rappelle plusieurs fois son désir d'aventure.
- Il fait appel à sa compassion, registre pathétique : "une peine effroyable", "la poitrine se serre, les larmes coulent des yeux", "qui pleures encore", "toutes les misères, toutes les pitiés".
- Il oppose à la jeunesse les "gardes-chiourme".
Quel est le message de Zola à la jeunesse ?
I. Le rappel des combats gagnés
II. La lutte à poursuivre pour la justice
III. Un appel à l'engagement
Quelle image Zola donne-t-il de la jeunesse ?
I. Une jeunesse courageuse
II. Une jeunesse sensible
III. Une vision idéale
Comment Zola persuade-t-il les jeunes de s'engager ?
I. Une lettre ouverte
II. L'histoire du combat pour la justice
III. Un portrait flatteur de la jeunesse