Sommaire
ILa structure du texteIIUn double discoursIIIL'absurdité du système esclavagisteIVL'esclavage est motivé par l'argentVUne dénonciation de la culture européenneDe l'esclavage des Nègres
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une manière plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
Des petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains : car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.
Montesquieu
De l'esprit des lois
1748
La structure du texte
- Dans le premier paragraphe Montesquieu présente la situation. Il introduit son texte par une hypothèse avec "Si" et les temps de l'imparfait et du conditionnel.
- Cette formule est surprenante et ambiguë. En effet, Montesquieu semble jouer le jeu de l'adversaire. Il se place en position d'homme qui défend l'esclavage et le justifie.
- Le but de Montesquieu est que le lecteur lise ce passage comme une hypothèse. En vérité, il fait un réquisitoire, puisqu'il reprend les arguments du camp adverse pour mieux s'en moquer. Il fait donc semblant de faire un plaidoyer en faveur de l'esclavage pour mieux critiquer le système.
- Le texte est composé de neuf parties.
- Il y a d'abord les arguments adverses : deux arguments historiques et économiques.
- Puis, il y a les arguments d'ordre racial.
- Ensuite, il y a deux arguments fondés sur la sagesse des nations.
- On trouve ensuite un argument sociologique.
- Enfin, Montesquieu avance deux arguments religieux et politiques.
Un double discours
- Montesquieu utilise donc une argumentation fondée sur l'hypothèse. Il s'imagine défendre l'esclavage : "si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais". Il invite à se placer dans le camp adverse.
- On peut parler de renversement de perspective. C'est une façon pour Montesquieu d'éviter l'incompréhension que peut amener l'ironie. Dès le début, le lecteur sait que Montesquieu ne pense pas cela avec la mise en place de l'hypothèse.
- Choix du pronom personnel "on" : pour désigner les adversaires, les esclavagistes et ceux qui cautionnent le système.
- Implicitement, Montesquieu est très virulent. L'attaque est indirecte mais beaucoup plus violente que si elle était directe. Le ton qu'utilise l'auteur est en effet surprenant. Il parle de l'esclavage avec désinvolture, comme de quelque chose qui n'est pas très sérieux. Le lecteur est choqué par ce discours raciste et absurde, par l'insensibilité d'un énonciateur qui cherche à justifier tous ses droits.
- Montesquieu se moque en effet des esclavagistes, les peignant comme des hommes cruels et idiots.
L'absurdité du système esclavagiste
- Montesquieu attribue un raisonnement absurde aux esclavagistes : les chrétiens croient que tous les hommes sont frères, or nous ne traitons pas les Noirs comme nos frères, donc ils ne sont pas des hommes.
- Montesquieu sous-entend en vérité ici que les chrétiens qui sont esclavagistes ne sont pas de vrais chrétiens.
- De même, l'auteur avance que les princes d'Europe font beaucoup de conventions inutiles, mais ils ne font rien pour les esclaves, donc ce n'est pas important.
- Montesquieu sous-entend que les princes sont cruels.
- L'argumentation des esclavagistes apparaît donc comme étant vide, absurde, illogique. L'argument le plus ridicule est le suivant : "et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre". Le lien de cause à effet est absolument idiot.
- L'argumentation est fondée sur le non-sens : "On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux". L'exemple que donne ensuite Montesquieu est celui des Égyptiens qui ont tué les roux. Les roux sont souvent occidentaux : choquer le lecteur qui trouve anormal de tuer les roux (Montesquieu fait donc une analogie entre les roux et les Noirs). Par ailleurs, il justifie l'esclavage en le comparant à un massacre barbare des Égyptiens : il invalide donc le bien-fondé de l'esclavage.
- L'absurdité et l'incohérence marquent donc le discours. Montesquieu ridiculise les arguments de l'adversaire. Il fait des esclavagistes des hommes idiots, non chrétiens et cruels.
L'esclavage est motivé par l'argent
- Montesquieu a réfuté les arguments humains et sociaux utilisés par les esclavagistes pour légitimer l'esclavage.
- Il s'attaque ensuite aux arguments économiques. Il rappelle d'abord un argument historique : "les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique". Ici, Montesquieu condamne la colonisation de l'Amérique, rappelant l'extermination des Indiens. Le verbe "exterminer" est utilisé, violence du discours.
- Montesquieu oppose ainsi les Occidentaux aux Indiens et aux Noirs. Les Occidentaux sont violents, ils massacrent. Les Indiens et les Noirs sont des victimes.
- Les Européens sont attachés à l'esclavage pour des raisons économiques. Pour eux, l'argent est plus important que le bien-être d'autres êtres humains. L'auteur propose une peinture terrifiante de la société occidentale.
- Montesquieu oppose les souffrances des esclaves aux bénéfices dérisoires qu'elles apportent aux Européens : "le sucre serait trop cher". Les Européens asservissent les Noirs pour ne pas payer le sucre trop cher. Cet argument est terrifiant.
- Montesquieu dénonce l'importance de l'argent pour les Européens, qui sont tellement cupides qu'ils n'arrivent pas à comprendre qu'on puisse ne pas s'intéresser à l'or (il y a une opposition entre les Noirs qui aiment les colliers de verres et les Européens qui n'aiment que l'or).
- Montesquieu nous donne donc à voir l'argumentation infondée et inefficace des esclavagistes.
Une dénonciation de la culture européenne
- Tout en s'opposant à l'esclavage, Montesquieu dénonce la culture européenne.
- La construction de son argumentation est une suite d'arguments fallacieux qui n'ont aucune logique les uns par rapport aux autres. Il anéantit ainsi totalement les arguments de l'adversaire.
- Montesquieu fait ici la caricature d'un esclavagiste européen, et dénonce ainsi son hypocrisie. Les Européens estiment ainsi que les autres peuples sont barbares (Indiens et Noirs) car ils ne s'intéressent pas à l'or. Pourtant, ce sont les Occidentaux qui massacrent les autres.
- Les valeurs morales des Occidentaux reposent sur la religion. Mais les Occidentaux sont tellement égocentriques qu'ils osent se mettre à la place de Dieu : "On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps noir".
- Les Occidentaux se cachent derrière de belles idées : "injustice", "miséricorde", "pitié". Mais en vérité, ils sont cupides et ne pensent qu'à des valeurs matérielles (or et sucre).
- La fin du texte est une dénonciation de la politique européenne en général, et de l'inaction des princes européens. Montesquieu utilise une question rhétorique : "ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et la pitié ?" L'auteur ne critique donc pas simplement les valeurs européennes, mais le fonctionnement de l'Europe. Ils dénoncent l'hypocrisie généralisée des Occidentaux.
Quelle est la stratégie argumentative de Montesquieu ?
I. Le renversement de perspective
II. Des arguments fallacieux
III. L'ironie de Montesquieu
Que dénonce Montesquieu ?
I. L'absurdité du système esclavagiste
II. La cupidité des Européens
III. Une critique de la société occidentale
En quoi ce texte est-il un double discours ?
I. Montesquieu dans la tête d'un esclavagiste
II. L'ironie derrière les arguments fallacieux
III. Une dénonciation de l'esclavage et de la société occidentale
Quels sont les arguments de Montesquieu contre l'esclavage ?
I. Les Noirs sont des êtres humains
II. L'esclavage est motivé par l'argent
III. La culture occidentale est hypocrite et cruelle