Sommaire
IUne société égoïsteIILe labeur de l'ouvrierIIILa révolte de LamartineIVUn plaidoyerVLe droit au travail, un droit à la vieCes hommes se marient, ont des femmes et des enfants que l'industrie saisit au berceau et emploie selon leur force ; tout ce peuple vit, multiplie, consomme, prospère pendant que le salaire les rétribue. Que le salaire s'arrête ou décroisse, tout ce peuple chôme, souffre, maigrit, mendie, s'exténue et tombe en haillons1 et en pourriture humaine. Peuple du salaire, né du salaire, ne vivant que par le salaire, il périt avec le salaire, et s'insurge2 dans son cœur contre une société qui le condamne par sa condition au travail et qui lui refuse le travail. Or, le travail pour lui c'est la vie. La société impassible et égoïste, peut-elle voir tout cela et détourner les yeux en renvoyant ce peuple à la concurrence pour toute réponse et pour tout secours ? Nous disons : non ! Le dernier mot d'une société bien faite à un peuple qui périt ne peut pas être la mort ! Le dernier mot d'une société bien faite doit être du travail et du pain. Le droit au travail n'est pas dans ce cas autre chose que le droit de vivre. Si vous reconnaissez le droit de vivre, vous devez reconnaître à ce peuple le droit au travail ! L'Assemblée constituante dans tous les droits à l'homme qu'elle a proclamés, n'en a oublié qu'un seul : le droit de vivre. Mais c'est sans doute parce qu'il était d'une telle évidence qu'il n'avait pas besoin d'être écrit ! Les phénomènes, les vicissitudes3, les catastrophes, les ruines soudaines, les interruptions de salaire dans une société devenue industrielle, nous imposent la nécessité d'écrire ce droit de plus.
Les anciennes sociétés n'avaient pas ce problème à examiner. Nul ne pouvait y mourir de faim légalement. Le maître y nourrissait l'esclave, le seigneur y nourrissait le serf, le gouvernement y nourrissait le peuple, l'église y nourrissait le mendiant. Mais l'industriel qui liquide sa fortune et qui ferme ses ateliers ne nourrit personne. La vie du peuple et des ouvriers est remise au hasard. L'ouvrier renvoyé de son usine fermée, ne trouvant pas de place dans une autre, sans toit, sans pain pour loger et nourrir lui sa femme et ses enfants, n'a pas le droit d'aller à un magistrat de la Providence publique4, et de lui dire : Voilà mes bras, occupez-les ; occupez-les à un salaire aussi minime que vous voudrez, mais occupez-les pour que je vive de mon travail en attendant que l'industrie privée me rouvre ses ateliers et me rende mon salaire. Voilà le droit que nous voulons que la société reconnaisse à tout individu qui la compose.
1 Haillons : vieux vêtements déchirés, loques
2 S'insurge : se révolte
3 Vicissitudes : variations, changements
4 La Providence publique : sage gouvernement de l'État protecteur
Alphonse de Lamartine
Le Bien public, "Du droit au travail et de l'organisation du travail"
1844
Une société égoïste
- Lamartine dénonce une société injuste : "société impassible et égoïste".
- Les adjectifs dépréciatifs rappellent que la société est indifférente aux malheurs des ouvriers. Elle est tournée sur elle-même et n'a pas d'empathie.
- La société est hypocrite, elle préfère ne pas voir les problèmes : "détourner les yeux en renvoyant ce peuple à la concurrence pour toute réponse et pour tout secours".
- C'est une société qui préfère oublier les soucis et se concentrer sur elle-même. C'est une féroce attaque de Lamartine.
Le labeur de l'ouvrier
- Lamartine fait une peinture des souffrances de l'ouvrier.
- L'ouvrier est au chômage, comme le souligne cette énumération de la souffrance : "chôme, souffre, maigrit, mendie, s'exténue et tombe en haillons et en pourriture".
- Le présent de vérité générale souligne la véracité du propos.
- Les souffrances sont sociales, physiques et morales.
- Lamartine insiste avec l'idée que les ouvriers travaillent dès l'enfance : "l'industrie [les] saisit au berceau et [les] emploie selon leur force".
- Par l'anaphore de "tout le peuple", il suggère l'ampleur du problème.
- La métaphore "tombe en haillons et en pourriture" explicite la dégradation complète.
La révolte de Lamartine
- Le texte révèle l'opposition et la révolte de Lamartine face à cette société.
- Il se place en porte-parole de ceux qui souffrent : "Nous disons : non !". Il réclame pour eux du "pain".
- L'emploi de la première personne du pluriel "nous" renforce l'adhésion de l'écrivain aux souffrances du peuple.
- Il fait un parallèle avec le passé où les plus riches aidaient les plus pauvres : "le maître", "le seigneur", "le gouvernement", "l'église", associés au verbe "nourrir". Ils nourrissaient : "le serf", "le peuple", "le mendiant".
- Il utilise l'imparfait pour souligner que cela avait été une habitude jusqu'à l'époque de Lamartine.
Un plaidoyer
- Lamartine signe ici un plaidoyer pour l'ouvrier. C'est un homme qui n'est pas feignant, il demande du travail. Lamartine enjoint les autres à leur donner du travail : anaphore "occupez-les".
- On note la valorisation du travail manuel : "voilà mes bras".
- Le salaire permet à l'ouvrier de vivre : "société qui le condamne par sa condition au travail et qui lui refuse le travail". Or, il dresse un paradoxe car l'ouvrier ne peut exister qu'en travaillant mais on l'empêche d'avoir du travail.
- Lamartine insiste sur le salaire : "tout ce peuple vit, multiplie, consomme, prospère pendant que le salaire les rétribue". Payer l'ouvrier c'est faire prospérer la société. On peut relever l'antithèse entre "vivre" et "chômer", entre "consommer" et "maigrir".
- Le peuple est défini par la nécessité du salaire : "Peuple du salaire, né du salaire, ne vivant que par le salaire, il périt avec le salaire", "ne vivant que par le salaire".
Le droit au travail, un droit à la vie
- Ainsi, Lamartine lie intrinsèquement travail et vie.
- Le "droit au travail" est donc un "droit de vivre" : "le droit au travail n'est pas dans ce cas autre chose que le droit de vivre. Si vous reconnaissez le droit de vivre, vous devez reconnaître à ce peuple le droit au travail !".
- Lamartine demande un droit supplémentaire dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Il faut le droit au travail.
- Il exprime son indignité face à une société qui ne laisse pas l'ouvrier travailler : "sans toit, sans pain pour loger et nourrir lui, sa femme et ses enfants".
Pourquoi Lamartine demande-t-il le droit au travail ?
I. La misère des ouvriers
II. Le lien entre droit au travail et droit de vivre
III. La condamnation d'une société injuste
Comment Lamartine décrit-il la société de son temps ?
I. Une société égoïste et hypocrite
II. La misère des ouvriers
III. Vers une société digne
Comment Lamartine décrit-il l'ouvrier ?
I. La misère sociale
II. La déchéance
III. L'absence de salaire