Sommaire
ILa forme originale du poèmeIILe thème de la religionIIILes Djinns, des monstres terrifiantsIVLe bruitVUne atmosphère inquiétanteVIUne situation d'énonciation mystérieuseLes Djinns
Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.
La rumeur approche.
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond.
Déjà, s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.
C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l'enfer ! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle, penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon.
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde ;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe ;
L'espace
Efface
Le bruit.
Victor Hugo
Les Orientales
1829
La forme originale du poème
- Le poème est composé de strophes contenant huit vers.
- Les vers sont libres. Le nombre de syllabes varie.
- Dans la première strophe, les vers sont formés de deux syllabes : "Murs, ville"/"Et port"
- Dans la seconde strophe, les vers passent à trois syllabes : "Dans la plaine"/"Naît un bruit".
- Plus on avance dans le poème, plus le nombre de syllabes augmente. Le poème débute dans le calme et la tranquillité et va crescendo.
- Le climax est atteint avec : "C'est l'essaim des Djinns qui passe" à la cinquième strophe.
- Puis les vers rétrécissent. La dernière strophe a le même nombre de syllabes que la première. On peut percevoir un effet de crescendo/decrescendo.
Le thème de la religion
- Le poème commence de façon assez floue, avec "Murs, ville". On ne sait pas vraiment ce qui se passe. Puis, le poète évoque une ville apparemment orientale jusqu'au vers 8.
- Enfin, il est fait mention de Dieu dans la cinquième strophe : "Dieu, la voix sépulcrale".
- Les Djinns font peur au poète qui s'adresse donc à Dieu et au prophète.
Dans la religion musulmane, les Djinns sont des petits êtres malfaisants. - Il est question de l'enfer : "Cris de l'enfer ! voix qui hurle et qui pleure !".
- Une adresse est faite au prophète : "Prophète ! si ta main me sauve.".
- On peut remarquer le champ lexical de la religion : "couvent", "sainte", "Dieu", "prophète", "encensoirs".
Les Djinns, des monstres terrifiants
- Les Djinns sont décrits de manière hyperboliques, avec de nombreuses métaphores.
- Le terme "essaim" est répété deux fois : "essaim des Djinns", "horrible essaim". Les Djinns ne forment qu'une masse, ce qu'on retrouve avec l'idée de "troupeau" et de "nuage livide".
- Les Djinns sont présentés comme étant sanguinaires : "Hideuse armée", "De vampires et de dragon", "impurs démons".
- On peut remarquer une image violente et terrifiante qui est soulignée par l'emploi de termes qui les associent à la mort : "mort", "nuit", "fils du trépas".
Le bruit
- Le poème est bâti sur un crescendo et un decrescendo associés au bruit.
- D'abord, c'est le silence : "mort", "asile", "tout dort", "mort grise", "brise". Autant d'idées assez sombres qui rappellent tout de même que le silence règne.
- Dans ce calme surgit un "bruit". Cela va ensuite aller crescendo : "bruit", "voix", "grelot", "rumeur", "écho", "bruit de foule", "tonne", "voix sépulcrale", "sifflant", "fracasse", "quel bruit !", "craquent", "cris de l'enfer", "qui hurle et qui pleure".
- On arrive à un véritable bruit apocalyptique.
Puis le calme revient : "battement", "décroît", "plainte", "éteinte", "faible", "voix grêle", "chant", "tout passe", "efface/le bruit". - Le son est personnifié par le biais de la rumeur qui "approche" et de l'écho qui "redit".
- L'idée de danse est associée au bruit, qui évidemment représente les Djinns : "cadence", "danse".
Une atmosphère inquiétante
- Le poème a un caractère énigmatique.
- On peut percevoir une atmosphère inquiétante, accentuée par l'idée de la mort : "asile/de mort", "tout dort", "s'éteint la lampe".
- La nuit est personnifiée : "haleine / de la nuit".
- L'oxymore "couvent maudit" est à noter.
- L'ombre est personnifiée : "l'ombre rampe".
- Il faut remarquer l'idée d'effondrement de la maison : "la poutre ploie", "porte rouillée", "mur fléchit", "la maison crie et chancelle".
Une situation d'énonciation mystérieuse
- Le poète apparaît dans l'énonciation du poème.
- Il se manifeste d'abord par le biais de possessifs : "ma lampe", "ma demeure", "mon front".
- On peut remarquer l'idée qu'il y a plusieurs personnes dans : "nous le narguons". "Nous" est répété plusieurs fois et apparaît aussi dans "fuyons", "tenons".
- Il faut noter la présence d'un enfant : "l'enfant". Il est présenté comme dormant, faisant des "rêves d'or".
Les Djinns sont-ils un cauchemar ? - Le pronom indéfini "on" est utilisé.
- À la fin du poème, le poète intervient clairement : "j'écoute".
En quoi ce poème est-il inquiétant ?
I. La présence des Djinns
II. La maison qui s'écroule
III. Une atmosphère pesante
En quoi ce poème est-il original ?
I. Un poème bâti sur un crescendo/decrescendo
II. Une situation d'énonciation floue
III. Une atmosphère inquiétante
En quoi ce poème est-il romantique ?
I. La forme originale du poème
II. Le thème de la religion
III. Le mélange des registres