Sommaire
IUne réécritureIIUne parodieIIIDes personnages symboliquesIVDeux conceptions de la vieVUne condamnation du roseauLe Chêne et le Roseau
Le chêne un jour dit au roseau :
"N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop
Le pli de l'humaine nature ?"
"Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands."
Le vent se lève sur ces mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
"Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé
- Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant.)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ?"
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : "Je suis encore un chêne".
Jean Anouilh
Fables
1962
Une réécriture
- Cette fable est une réécriture de celle de La Fontaine du même nom.
- Anouilh reprend la structure : le récit et la morale.
- Ici, la morale est originale, c'est une question de rhétorique et pas une affirmation. De plus, c'est le chêne qui la formule.
- La réécriture suit le même schéma narratif, deux végétaux discutent de leur résistance face aux intempéries. Comme dans la fable originale, ils sont personnifiés : "le chêne fier qui le narguait", "On sentait dans sa voix sa haine", "mon compère".
- On note le champ lexical de la nature : "vos ramures", "roseau".
- On retrouve la même dramatisation avec le présent de narration : "dit le roseau", "le vent qui secoue".
Une parodie
- Le texte est une parodie de la fable du même nom de La Fontaine.
- Anouilh inverse la situation par rapport à la fable de La Fontaine. C'est le roseau qui parle beaucoup plus que le chêne.
- Une référence est faite à La Fontaine : "cette fable", "N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?"
- Le chêne dénonce la morale de la fable qu'il trouve "détestable".
- Anouilh utilise un langage familier, terme "marmots" ; c'est une parodie.
- Anouilh imite La Fontaine et reprend son style, avec des vers, des alexandrins, mais il se moque. Il reconnaît les qualités de l'auteur, mais dénonce l'attitude du roseau.
Des personnages symboliques
- Les personnages sont des symboles.
- Le chêne représente la fierté, il ne veut pas plier. Il reproche aux autres de toujours se soumettre.
- Le roseau représente la petitesse et la fragilité : "Que nous autres, petites gens, / Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents".
- L'adverbe d'intensité "si" souligne cette fragilité.
- L'adjectif "petit" s'apparente aussi à la petitesse morale du roseau.
- On note que l'adjectif "prudent" est péjoratif ici. Il veut se protéger.
- Le roseau se moque : "mon compère", "Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé".
- Il reste "courbé par un reste de vent", montrant sa soumission.
- Le chêne ne se soumet jamais : "je suis encore un chêne. Il continue de sourire. Il est valorisé : "le géant", "beau".
- Le champ lexical de la souffrance décrit le chêne, le lecteur est de son côté : "triste", "souffrait", "blessé", "morts", "peines". Il emploie aussi l'hyperbole "mille".
Deux conceptions de la vie
- La fable présente deux conceptions de la vie, Anouilh veut montrer qu'une d'elle est plus valorisante : "Pourrait vous prouver d'aventure".
- Face aux intempéries, la vraie nature de l'homme est révélée.
- Il utilise le champ lexical des intempéries : "tempêtes du monde", "orage", "souffle profond qui dévaste les bois".
- Par métaphore, il explicite des difficultés de la vie.
- La question posée par Anouilh est : faut-il se soumettre ? Ou rester soi-même ? Le chêne est valorisé, Anouilh choisit son côté.
Une condamnation du roseau
- C'est une dénonciation de la bassesse. On note le rejet du terme "satisfaite". Le roseau se montre vengeur, sentiment appuyé par l'utilisation de "haine" à la rime.
- Les rimes entre "haine" et "peines" montrent que le roseau n'a pas de compassion.
- La fable souligne la jalousie du roseau qui se sent facilement victorieux : "Il ne se fût jamais permis ce mot avant".
- Le roseau se montre lâche.
- Il n'est pas très intelligent, idée qu'on trouve avec l'expression "petite vie".
- Les allitérations en "s" traduisent son persiflage.
- C'est un opportuniste.
En quoi cette fable est-elle une réécriture de celle de La Fontaine ?
I. Une reprise de l'histoire et du style
II. Une parodie
III. Une morale différente
Quelle est la morale d'Anouilh ?
I. Le roseau, fragile mais lâche
II. Le chêne, prétentieux mais courageux
III. Une dénonciation de la petitesse humaine
Comment Anouilh dramatise-t-il sa fable ?
I. Des personnages symboliques
II. Le présent de narration
III. La morale