Sommaire
IL'imitation du style d'une lettre officielleIIUne parodie du genreIIILe caractère comique de la lettreIVLe thème de la surveillanceLettre officielle
J'ai l'honneur de vous informer des faits suivants dont j'ai pu être le témoin aussi impartial qu'horrifié.
Ce jour même, aux environs de midi, je me trouvais sur la plate-forme d'un autobus qui remontait la rue de Courcelles en direction de la place Champerret. Ledit autobus était complet, plus que complet même, oserai-je dire, car le receveur avait pris en surcharge plusieurs impétrants, sans raison valable et mû par une bonté d'âme exagérée qui le faisait passer outre aux règlements et qui, par suite, frisait l'indulgence. À chaque arrêt, les allées et venues des voyageurs descendants et montants ne manquaient pas de provoquer une certaine bousculade qui incita l'un de ces voyageurs à protester, mais non sans timidité. Je dois dire qu'il alla s'asseoir dès que la chose fut possible.
J'ajouterai à ce bref récit cet addendum : j'eus l'occasion d'apercevoir ce voyageur quelque temps après en compagnie d'un personnage que je n'ai pu identifier. La conversation qu'ils échangeaient avec animation semblait avoir trait à des questions de nature esthétique. Étant données ces conditions, je vous prie de vouloir bien, monsieur, m'indiquer les conséquences que je dois tirer de ces faits et l'attitude qu'ensuite il vous semblera bon que je prenne dans la conduite de ma vie subséquente. Dans l'attente de votre réponse, je vous assure, monsieur, de ma parfaite considération empressée au moins.
Raymond Queneau
Exercices de style
1947
L'imitation du style d'une lettre officielle
- Plusieurs marques sont prises au style d'une lettre officielle.
- Les formulations sont très polies : "j'ai l'honneur", "monsieur", "je vous prie", "dans l'attente de votre réponse", "je vous assure", "ma parfaite considération".
- L'auteur s'adresse au destinataire avec utilisation du "vous" et du "monsieur".
- On voit plusieurs occurrences du "je" de l'auteur.
- Le langage est très soutenu.
Une parodie du genre
- Raymond Queneau exagère ici le style officiel. Il s'agit d'une parodie de lettre officielle.
- Les phrases se font de plus en plus longues et alambiquées. Le lecteur ne suit plus forcément le récit : "À chaque arrêt, les allées et venues des voyageurs descendants et montants ne manquaient pas de provoquer une certaine bousculade qui incita l'un de ces voyageurs à protester, mais non sans timidité". Les propositions se superposent constamment.
- C'est une imitation du style officiel qui doit être "impartial" (utilisation du terme dans la lettre). Mais au final, cette volonté d'impartialité prend des proportions grotesques. En refusant de nommer simplement les choses, l'auteur finit par écrire des expressions bien compliquées : "avait pris en surcharge plusieurs impétrants" au lieu d'écrire simplement qu'il y avait trop de monde.
- La lettre se démarque par l'abondance de précisions sur le temps et les lieux : "ce jour même", "aux environs de midi", "qui remontait la rue de Courcelles en direction de la place Champerret".
Le caractère comique de la lettre
- L'auteur emploie un grand nombre d'adjectifs, ce qui finit par devenir comique.
- L'auteur assure qu'il est "impartial", mais finalement il ne peut pas s'empêcher de donner son ressenti : "aussi impartial qu'horrifié", "oserai-je dire", "bonté d'âme exagérée", "je dois dire", "ma parfaite considération empressée au moins".
- L'auteur raconte dans la première partie de la lettre une simple bousculade en utilisant des expressions compliquées : "passer outre aux règlements". Il tourne en ridicule la situation.
- La lettre devient absurde, avec l'auteur qui demande conseil au destinataire et engage sa vie sur un élément insignifiant : "m'indiquer les conséquences que je dois tirer de ces faits et l'attitude qu'ensuite il vous semblera bon que je prenne dans la conduite de ma vie subséquente".
- Raymond Queneau se moque ici du sérieux de l'administration et de tout ce qui est officiel. Il dénonce ironiquement le caractère pompeux et solennel.
Le thème de la surveillance
- On trouve aussi dans cette lettre le thème de l'espionnage.
- Avec la répétition de "faits": "faits suivants", "ces faits", on a l'impression que l'auteur de la lettre fait un rapport.
- L'auteur emploie un vocabulaire que l'on peut lier à la surveillance : "témoin", "règlements", "apercevoir", "personnage que je n'ai pu identifier".
- On a le sentiment que l'homme observe les autres, les surveille, fait un rapport.
En quoi cette lettre est-elle comique ?
I. L'imitation du style officiel
II. Une parodie
III. Une situation comique
En quoi cette lettre est-elle originale ?
I. Une parodie de lettre officielle
II. L'absurdité de la situation
III. L'importance du thème de la surveillance