Sommaire
ICréon, un homme autoritaireIILe thème du crime et de la punitionIIIAntigone, figure de la résistanceIVLa question de l'honneur et de la familleVUne dénonciation de la tyrannieCréon, qui dirige Thèbes, a édicté un décret interdisant que l'on enterre Folynice, frère d'Antigone et d'Ismène, parce qu'il a porté les armes contre sa cité. Antigone a transgressé cette loi.
CRÉON :
Apprends que c'est le manque de souplesse, le plus souvent, qui nous fait trébucher. Le fer massif, si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se rompre. Mais je sais aussi qu'un léger frein a bientôt raison des chevaux rétifs. Oui, l'orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d'autrui. Celle-ci savait parfaitement ce qu'elle faisait quand elle s'est mise au-dessus de la loi. Son forfait accompli, elle pèche une seconde fois par outrecuidance lorsqu'elle s'en fait gloire et sourit à son œuvre. En vérité de nous deux, c'est elle qui serait l'homme si je la laissais triompher impunément. Elle est ma nièce, mais me touchât-elle par le sang de plus près que tous les miens, ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment capital. Car j'accuse également Ismène d'avoir comploté avec elle cette inhumation. Qu'on l'appelle : je l'ai rencontrée tout à l'heure dans le palais l'air égaré, hors d'elle. Or ceux qui trament dans l'ombre quelque mauvais dessein se trahissent toujours par leur agitation... Mais ce que je déteste, c'est qu'un coupable, quand il se voit pris sur le fait, cherche à peindre son crime en beau.
ANTIGONE :
Je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort que te faut-il de plus ?
CRÉON :
Rien, ce châtiment me satisfait.
ANTIGONE :
Alors pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu me dis m'est odieux, - je m'en voudrais du contraire - et il n'est rien en moi qu ne te blesse. En vérité, pouvais-je m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît.
CRÉON :
Tu es seule, à Thèbes, à professer de pareilles opinions.
ANTIGONE (désignant le chœur) :
Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres.
CRÉON :
Ne rougis-tu pas de t'écarter du sentiment commun?
ANTIGONE :
Il n'y a point de honte à honorer ceux de notre sang.
Sophocle
Antigone
441 avant J.-C.
Créon, un homme autoritaire
- Créon est le roi. Il se montre autoritaire dans cette scène.
- C'est lui qui domine la scène en termes de temps de parole. Sa première réplique est longue, elle peut être considérée comme une tirade.
- Il utilise le présent de vérité générale qui généralise ses propos, il énonce des grandes vérités qui peuvent sembler des proverbes : "c'est le manque de souplesse, le plus souvent, qui nous fait trébucher".
- Le proverbe est imagé, avec la comparaison violente au métier de forgeron : "Le fer massif, si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se rompre".
- Il donne des ordres en utilisant l'impératif : "Apprends".
- Il se montre sûr de lui : "Mais je sais aussi qu'un léger frein a bientôt raison des chevaux rétifs".
Le thème du crime et de la punition
- Créon évoque le crime d'Antigone avec une certaine distance, en utilisant le déterminant "cette" : "cette inhumation".
- On retrouve le champ lexical du crime et de la justice : "loi", "forfait", "impunément", "châtiment capital", "j'accuse", "crime", "coupable", "pris sur le fait".
- Le crime d'Antigone est aussi, pour Créon, la trahison : "comploté", "trament", "mauvais dessein", "trahissent".
- Le mot "châtiment" est répété.
Antigone, figure de la résistance
- Antigone parle moins que Créon. Pourtant, c'est elle qui domine la scène. Elle est très jeune, mais elle se montre courageuse et forte. Elle est le symbole de la résistance.
- Elle provoque Créon : "Je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort que te faut-il de plus ?"
- Créon associe le courage d'Antigone à l'orgueil : "orgueil", "outrecuidance".
- Antigone est condamnée avant tout parce qu'elle ose s'opposer à Créon.
- Antigone parle pour ceux qui ne peuvent pas le faire : "tous ceux qui m'entendent oseraient m'approuver", "ne leur fermait pas la bouche", "ils se mordent les lèvres", "ils pensent comme moi". Cela s'oppose à l'idée de Créon qu'Antigone s'écarte du "sentiment commun". Au contraire, elle est un porte-parole.
- Antigone est une figure féminine très forte, Créon l'associe même à un homme : "c'est elle qui serait l'homme si je la laissais triompher".
La question de l'honneur et de la famille
- Le thème de la famille domine, Créon est l'oncle d'Antigone. Le champ lexical de la famille est employé : "nièce", "sœur", "frère".
- Antigone est punie, car elle a enterré le corps de son frère. Elle refusait de le laisser pourrir au soleil. C'est donc l'honneur de sa famille qu'elle voulait protéger : répétition avec "honneur" et "honorer".
- Antigone oppose l'honneur à la "honte".
- On retrouve l'idée de famille avec l'expression : "notre sang".
Une dénonciation de la tyrannie
- Antigone est une figure qui se dresse contre la tyrannie de Créon.
- Créon est un tyran pour plusieurs raisons. D'une part, il accuse Ismène d'avoir comploté avec sa sœur sans autre preuve que l'attitude d'Ismène. Il l'a vue "égarée", "hors d'elle" et estime que : "ceux qui trament [...] quelque mauvais dessein se trahissent toujours par leur agitation".
- Il est prêt à mettre à mort sa nièce, la famille est moins importante que le pouvoir : "mais me touchât-elle par le sang de plus près de tous les miens, ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment capital."
- Antigone le dénonce comme étant un tyran, elle utilise d'ailleurs le mot "tyrannie" pour parler de son gouvernement.
- Le peuple a peur : "oserait", ils n'osent rien dire, "la crainte" leur "ferm[e] la bouche". "ils se mordent les lèvres".
- L'extrait fait une dénonciation des "privilèges".
Qui domine l'affrontement ?
I. Créon, un homme autoritaire
II. La dénonciation d'un tyran
III. Antigone, une figure de la résistance
Quels thèmes sont abordés dans cette scène ?
I. Le crime et la punition
II. L'honneur et la famille
III. La résistance contre la tyrannie
En quoi cette scène est-elle basée sur des oppositions ?
I. La tyrannie et la résistance
II. Le pouvoir et la famille
III. Créon et Antigone