Sommaire
ILa transformation d'ElvireIILa persuasion d'ElvireIIIUne tirade maîtriséeIVLa FemmeVL'échecVIUne scène tragiqueRAGOTIN :
Monsieur, voici une dame voilée qui vient vous parler.
DOM JUAN :
Que pourrait-ce être ?
SGANARELLE :
Il faut voir.
DONE ELVIRE :
Ne soyez point surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage. C'est un motif pressant qui m'oblige à cette visite, et ce que j'ai à vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j'ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j'étais ce matin. Ce n'est plus cette Done Elvire qui faisait des vœux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetait que menaces, et ne respirait que vengeance. Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements d'un amour terrestre et grossier, et il n'a laissé dans mon cœur pour vous qu'une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre intérêt.
DOM JUAN (à Sganarelle) :
Tu pleures, je pense.
SGANARELLE :
Pardonnez-moi.
DONE ELVIRE :
C'est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d'un avis du Ciel, et tâcher de vous retirer du précipice où vous courez. Oui, Dom Juan, je sais tous les dérèglements de votre vie, et ce même Ciel qui m'a touché le cœur, et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m'a inspiré de vous venir trouver, et de vous dire de sa part que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère redoutable est prête de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'éviter par un prompt repentir, et que peut-être vous n'avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde. Je suis revenue, grâces au Ciel, de toutes mes folles pensées, ma retraite est résolue, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai faite, et mériter par une austère pénitence le pardon de l'aveuglement où m'ont plongée les transports d'une passion condamnable ; mais, dans cette retraite, j'aurais une douleur extrême qu'une personne que j'ai chérie tendrement, devînt un exemple funeste de la justice du Ciel, et ce me sera une joie incroyable, si je puis vous porter à détourner de dessus votre tête, l'épouvantable coup qui vous menace. De grâce, Dom Juan, accordez-moi pour dernière faveur cette douce consolation, ne me refusez point votre salut, que je vous demande avec larmes, et si vous n'êtes point touché de votre intérêt ; soyez-le au moins de mes prières, et m'épargnez le cruel déplaisir de vous voir condamner à des supplices éternels.
SGANARELLE :
Pauvre femme !
DONE ELVIRE :
Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m'a été si cher que vous, j'ai oublié mon devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous, et toute la récompense que je vous en demande, c'est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour l'amour de moi. Encore une fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes, et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher.
SGANARELLE :
Cœur de tigre !
DONE ELVIRE :
Je m'en vais après ce discours, et voilà tout ce que j'avais à vous dire.
DOM JUAN :
Madame, il est tard, demeurez ici, on vous y logera le mieux qu'on pourra.
DONE ELVIRE :
Non, Dom Juan, ne me retenez pas davantage.
DOM JUAN :
Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure.
DONE ELVIRE :
Non, vous dis-je, ne perdons point de temps en discours superflus, laissez-moi vite aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement à profiter de mon avis.
Molière
Dom Juan
1665
La transformation d'Elvire
- Dans cette scène, Done Elvire apparaît bien différente de la femme qu'elle a été avant. On peut parler de transformation du personnage qui s'explique par la religion.
- Done Elvire ne veut plus de l'amour charnel.
- Done Elvire ne veut plus se venger.
- Elle se sent chargée d'une mission. Elle a trouvé Dieu. Répétition du terme "ciel" dans le texte.
- Son amour est spirituel. Elle veut aider Dom Juan. Elle parle calmement : "je ne suis plus la furie de ce matin - je voudrais vous sauver - sauvez vous".
- Son discours est enthousiaste, elle exagère beaucoup. Ses phrases sont longues et complexes. Elle a fait une expérience mystique.
La persuasion d'Elvire
- Done Elvire tente de persuader Dom Juan de renoncer au mauvais chemin.
- Elle veut lui faire peur. Il faut qu'il sache que Dieu va le punir : "colère redoutable du ciel".
- Elle lui rappelle des détails de leurs précédentes conversations.
- Elle rappelle son amour passé pour attendrir : "Je vous ai aimé".
- Elle supplie : "De grâce".
- Elle assure qu'elle a peur pour Dom Juan : "Pour moi", "coup qui vous menace".
- Pour persuader, elle utilise le registre pathétique. Elle répète "je". Elle utilise des hyperboles et des antithèses : "cruel désespoir", "joies incroyables".
- Elle fait aussi un discours moral, une leçon, où elle condamne le péché.
Une tirade maîtrisée
- Dans la première phrase de la tirade d'Elvire, l'hémistiche est une apostrophe à Dom Juan.
- Il y a des constructions binaires avec des propositions liées entre elles par le "et".
- Elle reprend souvent les mêmes conjonctions.
- On remarque l'anaphore de "Je".
- Il y a l'utilisation de l'épiphore de "vous".
- "Oui, Dom Juan" est repris.
- Il y a un langage imagé avec des métaphores : "précipice où vous courez", "coup qui vous menace".
- Le procédé de personnification est utilisé : "sa colère est prête de tomber sur vous".
La Femme
- Elvire a plusieurs facettes dans cette scène.
- C'est une femme bafouée. Elle rappelle ce que Dom Juan lui a fait et "l'égarement de sa conduite".
- Elle symbolise toutes les femmes séduites par Dom Juan avec la périphrase : "les dérèglements de votre conduite".
- Elle est une envoyée du Ciel. Elle est voilée. Elle se fait le porte-parole de Dieu : "vous venir trouver, et de vous dire, de sa part, que vos offenses ont
épuisé sa miséricorde."
L'échec
- Elvire ne parvient pas à convaincre Dom Juan.
- Sganarelle est un spectateur qui est touché par le pathétique d'Elvire. Il montre son émotion.
- Dom Juan par contre continue d'être ironique. Il l'invite à dîner. Il est attiré par cette nouvelle Elvire qui lui semble de nouveau intouchable. Mais il n'est absolument pas touché par son discours. Il demande d'abord à Sganarelle s'il pleure (se moque du discours touchant d'Elvire) puis l'invite à dîner (se moque de sa foi renouvelée et veut la séduire).
- L'échec par contre n'est pas total. En effet, Elvire a convaincu le spectateur et Sganarelle.
Une scène tragique
- Le discours d'Elvire est marqué par le tragique.
- Elle semble touchée par la grâce et est choisie par Dieu pour sauver Dom Juan.
- Son langage est pathétique. Elle supplie : "Je vous le demande avec larmes".
- Elle utilise la ponctuation expressive.
- Elvire se montre noble et impressionnante.
- C'est son discours qui domine la scène.
- Elle use d'impératif : "Ne soyez pas".
- Elle utilise un vocabulaire religieux.
- Elvire prédit que si Dom Juan ne change pas, il mourra. Elle prédit en vérité la fin de la pièce. Dom Juan, insensible au discours de repentance, se dirige vers la mort.
Quel portrait est fait d'Elvire ?
I. Une femme changée
II. L'envoyée de Dieu
III. Une allégorie de toutes les femmes
Comment Elvire tente-t-elle de persuader Dom Juan ?
I. Une supplique
II. Le registre pathétique
III. La promesse de châtiment
En quoi cette scène est-elle tragique ?
I. Une Elvire digne
II. Le registre pathétique
III. Dom Juan se condamne