Sommaire
ILes formes de réécritureALes insertions1La citation2L'épigraphe3L'allusionBLes transformations ludiques1Le pastiche2La parodieCLes adaptations1Dans un autre genre littéraire2Dans un autre domaine artistiqueIISources des réécrituresALes textes fondateurs1Mythes gréco-romains2La mythologie biblique3D'autres mythesBLes épopées1Homère2Les romans de chevalerieCLes apologues1Les fables2Les contesDLes classiques du théâtre1Sources antiques2Sources médiévalesIIIHistoire des réécrituresAAu XVIe siècle : des hypotextes pour s'affirmerBAu XVIIe siècle : la naissance d'une querelleCÀ partir du XVIIIe siècle : des hésitations et des transgressionsLes formes de réécriture
Réécriture
La réécriture est un acte de reprise d'un texte (nommé hypotexte) dans un autre texte.
L'Avare de Molière est une réécriture d'une pièce de Plaute, intitulée La Marmite (son hypotexte).
La réécriture met donc en œuvre une double lecture : celle du texte énoncé, mais également celle du texte auquel il est fait référence. Pour qu'une réécriture soit identifiée, le lecteur doit donc être pourvu d'une certaine culture littéraire.
Il convient de différencier les réécritures selon leurs modes opératoires.
Les insertions
La citation
La citation est l'insertion la plus explicite d'un hypotexte.
Citation
La citation est l'insertion d'un texte court de manière directe et fidèle.
Dans ses Essais, Montaigne insère de nombreuses citations d'auteurs grecs et latins.
La citation peut servir à :
- Appuyer un propos
- Illustrer un discours
- Rappeler une thèse soutenue ou dénoncée
Que ne dirait-on, que ne ferait-on pour échapper à d'aussi vives douleurs ?
Etiam innocentes cogit mentiri dolor [La souffrance force à mentir même les innocents.]
Il arrive que celui que le juge a torturé afin de ne pas le faire mourir innocent, il le fasse mourir et innocent et torturé. À cause de la torture des milliers de gens se sont chargés de fausses confessions.
Michel de Montaigne
"De la conscience", Essais, Bordeaux, éd. Simon Millanges
1580
Dans cet extrait, Montaigne a recours à une phrase de Publius Syrus, tirée de ses Sentences. Cette citation permet à Montaigne d'appuyer la validité de son argument : ce dernier n'est pas nouveau, d'autres auteurs, en particulier celui cité, sont déjà parvenus aux mêmes conclusions.
L'épigraphe
Épigraphe
Une épigraphe est une citation placée en début (parfois en fin) d'ouvrage, de partie ou de chapitre.
Dans La Chartreuse de Parme, Stendhal a inséré une épigraphe en italien : "Gia mi fur dolci inviti a empir le carte i luoghi ameni". Il s'agit d'une phrase de L'Arioste (extraite des Satires), qui signifie : "jadis des lieux charmants me furent de douces invitations à écrire". Cette épigraphe annonce d'une certaine manière les origines du roman : l'évocation de lieux agréables, sources de rêveries.
L'allusion
Allusion
L'allusion est une évocation d'un passage très court extrait d'un hypotexte. Par extension, l'allusion peut désigner un hypotexte de manière implicite.
Dans son poème "El Desdichado", Gérard de Nerval fait de nombreuses allusions. Dans son titre, il évoque le personnage d'Ivahoé, dont le titre est le surnom.
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gérard de Nerval
"El Desdichado", Les Filles du feu, Paris, éd. Michel Lévy frères (1856)
1854
Dans ce poème, le "je" lyrique s'assimile à différentes figures d'hommes illustres, tantôt historiques, tantôt fictifs. Ces allusions permettent au lecteur de définir le poète, qui s'assimile à des personnalités aux amours malheureuses.
L'allusion a donc pour fonction de créer un lien implicite entre les deux textes. Seul le lecteur initié en perçoit la présence. L'allusion relève de la confidence, du secret littéraire.
Les transformations ludiques
Le pastiche
Pastiche
Le pastiche est un exercice d'écriture qui consiste à composer un texte en imitant les structures d'un hypotexte.
Dans le poème "Fête galante" extrait de son recueil Album Zutique, Arthur Rimbaud pastiche les Fêtes galantes de Paul Verlaine.
Les personnes qui, pour se rendre de l'avenue de Messine à la rue de Courcelles ou au boulevard Haussmann, prennent la rue appelée Monceau, du nom d'un de ces grands seigneurs de l'Ancien Régime dont les parcs privés sont devenus nos jardins publics, et que les temps modernes feraient certes bien de lui envier si l'habitude de dénigrer le passé sans avoir essayé de le comprendre n'était pas une incurable manie des soi-disant esprits forts d'aujourd'hui, les personnes, dis-je, qui prennent la rue Monceau au point où elle coupe l'avenue de Messine, pour se diriger vers l'avenue Friedland, ne manquent pas d'être frappées d'une de ces particularités archaïques, d'une de ces survivances, pour parler le langage des physiologistes, qui font la joie des artistes et le désespoir des ingénieurs. Vers le moment, en effet, où la rue Monceau s'approche de la rue de Courcelles, l'œil est agréablement chatouillé, et la circulation rendue assez difficile par une sorte de petit hôtel, de dimensions peu élevées, qui, au mépris de toutes les règles de la voirie, s'avance d'un pied et demi sur le trottoir de la rue qu'il rend à peine assez large pour se garer des voitures fort nombreuses à cet endroit, et avec une sorte de coquette insolence, dépasse l'alignement, cet idéal des ronds de cuir et des bourgeois, si justement exécré au contraire des connaisseurs et des peintres. Malgré les petites dimensions de l'hôtel qui comprend un bâtiment à deux étages donnant immédiatement sur la rue, et un grand hall vitré, sis au milieu de lilas arborescents qui embaument dès le mois d'avril à faire arrêter les passants, on sent tout de suite que son propriétaire doit être une de ces personnes étrangement puissantes devant le caprice ou les habitudes de qui tous les pouvoirs doivent fléchir, pour qui les ordonnances de la préfecture de police et les décisions des conseils municipaux restent lettre morte [...].
Hypotexte : Honoré de Balzac, Le Père Goriot, Paris, éd. Edmond Werdet, coll. "Scènes de la vie privée", 1835
La maison où s'exploite la pension bourgeoise appartient à madame Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l'endroit où le terrain s'abaisse vers la rue de l'Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent ou la descendent rarement. Cette circonstance est favorable au silence qui règne dans ces rues serrées entre le dôme du Val-de-Grâce et le dôme du Panthéon, deux monuments qui changent les conditions de l'atmosphère en y jetant des tons jaunes, en y assombrissant tout par les teintes sévères que projettent leurs coupoles. Là, les pavés sont secs, les ruisseaux n'ont ni boue ni eau, l'herbe croît le long des murs. L'homme le plus insouciant s'y attriste comme tous les passants, le bruit d'une voiture y devient un événement, les maisons y sont mornes, les murailles y sentent la prison. Un Parisien égaré ne verrait là que des pensions bourgeoises ou des institutions, de la misère ou de l'ennui, de la vieillesse qui meurt, de la joyeuse jeunesse contrainte à travailler. Nul quartier de Paris n'est plus horrible, ni, disons-le, plus inconnu. La rue Neuve-Sainte-Geneviève surtout est comme un cadre de bronze, le seul qui convienne à ce récit, auquel on ne saurait trop préparer l'intelligence par des couleurs brunes, par des idées graves ; ainsi que, de marche en marche, le jour diminue et le chant du conducteur se creuse, alors que le voyageur descend aux Catacombes. [...]
La façade de la pension donne sur un jardinet, en sorte que la maison tombe à angle droit sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où vous la voyez coupée dans sa profondeur. Le long de cette façade, entre la maison et le jardinet, règne un cailloutis en cuvette, large d'une toise, devant lequel est une allée sablée, bordée de géraniums, de lauriers-roses et de grenadiers plantés dans de grands vases en faïence bleue et blanche. [...] Pendant le jour, une porte à claire-voie, armée d'une sonnette criarde, laisse apercevoir au bout du petit pavé, sur le mur opposé à la rue, une arcade peinte en marbre vert par un artiste du quartier. Sous le renforcement que simule cette peinture s'élève une statue représentant l'Amour. À voir le vernis écaillé qui le couvre, les amateurs de symboles y découvriraient peut-être un mythe de l'amour parisien qu'on guérit à quelques pas de là. [...]
À la nuit tombante, la porte à claire-voie est remplacée par une porte pleine. Le jardinet, aussi large que la façade est longue, se trouve encaissé par le mur de la rue et par le mur mitoyen de la maison voisine, le long de laquelle pend un manteau de lierre qui la cache entièrement et attire les yeux des passants par un effet pittoresque dans Paris.
Marcel Proust
"La cour aux lilas et l'atelier des roses", dans Chroniques, Paris, éd. Gallimard NRF (1927)
1903
Proust reprend les caractéristiques de l'écriture balzacienne : la description ordonnée et faussement objective d'un bâtiment extérieur, son emplacement géographique et sa description connotée en lien avec la personnalité de son propriétaire.
Le pastiche a souvent été pratiqué par les écrivains pour rendre hommage à leurs modèles littéraires, mais aussi pour maîtriser leur style, afin de le dépasser.
Si dans son recueil L'Olive, Joachim du Bellay pastiche le Canzoniere de Pétrarque, il s'en détache dans les recueils suivants.
La parodie
Parodie
La parodie est une imitation satirique d'un hypotexte. Le discours peut être tantôt burlesque, tantôt héroï-comique.
Dans Virgile travesti, Paul Scarron imite l'Énéide de Virgile. Le récit se fait burlesque : les personnages, de noble condition, s'abaissent à des actes et des paroles prosaïques.
Je chante les combats, et ce prélat terrible
Qui par ses longs travaux et sa force invincible,
Dans une illustre église exerçant son grand cœur,
Fit placer à la fin un lutrindans le chœur.
C'est en vain que le chantre, abusant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
Ce prélat, sur le banc de son rival altier
Deux fois le reportant, l'en couvrit tout entier.
Muse redis-mois donc quelle ardeur de vengeance
De ces hommes sacrés rompit l'intelligence,
Et troubla si longtemps deux célèbres rivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots !
Hypotexte : Virgile, Énéide, trad. Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. "Folio Classique" (1991), vers 421 - 449 av. J.-C.
Je chante les combats du héros qui fuit les rivages de Troie
et qui, prédestiné, parvint le premier en Italie, aux bords de Lavinium ;
il fut longtemps malmené sur terre et sur mer par les dieux tout puissants,
à cause de la colère tenace de la cruelle Junon ;
la guerre aussi l'éprouva beaucoup, avant de pouvoir fonder sa ville
et introduire ses dieux au Latium, berceau de la race latine,
des Albains nos pères et de Rome aux altières murailles.
Muse, rappelle-moi pour quelle cause, quelle offense à sa volonté, quel chagrin
la reine des dieux poussa un héros d'une piété si insigne
à traverser tant d'aventures, à affronter tant d'épreuves ?
Est-il tant de colères dans les âmes des dieux ?
Nicolas Boileau
Chant I, Le Lutrin, s.l., Imprimerie générale (1872)
1674
Dans cet extrait, Boileau transpose l'incipit de l'Énéide de manière comique. Il raconte de manière épique une anecdote mettant en œuvre deux musiciens, qui appartiennent au quotidien, à l'ordinaire. Cet extrait est donc héroï-comique.
La parodie relève du registre satirique. Mais derrière la critique se cache en réalité un hommage à une œuvre que l'histoire littéraire a retenue.
Les adaptations
Le premier travail d'adaptation est celui qui transpose un texte d'une langue à l'autre. Si beaucoup de traducteurs proposent une traduction scrupuleuse de l'hypotexte (on parle alors de traduction) certains traducteurs, devenus auteurs, ont choisi de réécrire le texte. Ils conservent les unités de sens, mais emploient leur propre style pour produire leur texte.
Denis Diderot avait pour projet initial de traduire la Cyclopaedia de l'anglais Chambers. Mais au fil de ses travaux de préparation, cette démarche de traduction s'est changée en celle d'une réécriture plus personnelle du texte. Cette réflexion l'a conduit, finalement, à diriger la rédaction de l'Encyclopédie.
Outre le changement de langue, la transposition peut opérer de deux manières différentes.
Dans un autre genre littéraire
Un auteur peut d'une part choisir d'adapter un texte littéraire dans un autre genre. Les adaptations les plus répandues sont :
- Du roman au théâtre
- De la nouvelle au roman (parfois, plus rarement, au théâtre)
- De la poésie en vers à la poésie en prose
- Émile Zola a proposé une transposition de Thérèse Raquin au théâtre.
- Alfred de Musset a composé Lorenzaccio à partir d'une nouvelle de George Sand.
- Charles Baudelaire a composé deux versions de "L'Invitation au voyage", l'une en vers dans Les Fleurs du Mal, l'autre en prose, dans Le Spleen de Paris.
Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu'on pourrait appeler l'Orient de l'Occident, la Chine de l'Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s'y est donné carrière, tant elle l'a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.
Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d'où le désordre, la turbulence et l'imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.
Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir !
Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations. Un musicien a écrit l'Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l'Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d'élection ? [...]
Hypotexte : Charles Baudelaire, "L'Invitation au voyage", Le Spleen de Paris
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles Baudelaire
"L'Invitation au voyage", Le Spleen de Paris, in Œuvres complètes, 4e volume, Paris, éd. Michel Lévy
1869 (posthume)
Cette réécriture du poème en vers propose les mêmes thématiques, les mêmes figures, mais aussi les mêmes mots-clés que son hypotexte. Ainsi, le poète crée un véritable lien entre le poème en prose et sa source.
Dans un autre domaine artistique
Mais, très souvent, le travail de l'adaptation dépasse le champ littéraire. Ainsi, de nombreuses œuvres littéraires sont les adaptations d'œuvres d'autres domaines artistiques :
- Des toiles
- Des sculptures
- Des œuvres musicales
- Plus récemment, des œuvres cinématographiques
Dans La Prisonnière, Marcel Proust s'inspire du tableau Vue de Delft de Vermeer pour composer un passage du roman dans lequel un des personnages redécouvre le tableau.
Cependant, il existe encore davantage d'œuvres artistiques s'inspirant d'un texte littéraire. Tous les domaines sont représentés. On rencontre notamment des exemples d'adaptation dans :
- La peinture
- La photographie
- La sculpture
- La musique (et l'opéra)
- Le cinéma
Le compositeur Georges Bizet signe un opéra composé à partir du roman Carmen de Prosper Mérimée.
Sources des réécritures
Les textes fondateurs
Mythes gréco-romains
Les mythes et textes de l'Antiquité gréco-latine sont une première source de réécriture. En effet, ces textes sont connus et diffusés depuis leur création, de manière plus ou moins continue. Ainsi, de nombreuses traductions et adaptations ont été proposées au fil de l'histoire littéraire française.
On a notamment réécrit les mythes de :
- Œdipe (Corneille, Jean Cocteau, Alain Robbe-Grillet dans Les Gommes, etc.) et sa descendance (Jean Racine, Jean Anouilh)
- Électre (Voltaire, Jean Giraudoux, Jean-Paul Sartre dans Les Mouches) et sa sœur Iphigénie (Jean Racine)
- Médée (Jean Racine, Pierre Corneille, José-Maria Heredia, Jean Anouilh)
- La guerre de Troie (Jean Giraudoux) et l'exil d'Andromaque (Jean Racine)
- Phèdre (Pierre Corneille dans Antiochus, Jean Racine, opéra de Jean Massenet)
Si certaines œuvres sont des réécritures qui s'étendent sur l'ensemble du texte, beaucoup d'auteurs proposent également des allusions aux mythes à des moments ponctuels du texte.
Deux personnages de La Curée d'Émile Zola, Renée et Maxime, assistent à une représentation de Phèdre de Jean Racine. Cette tragédie entre en résonance avec le destin de ces personnages.
La mythologie biblique
La Bible, ouvrage le plus lu en France, est une autre source très ancienne pour les réécritures. De nombreux passages ont fait l'objet de réécritures, comme notamment :
- La Création (Marguerite Yourcenar dans Fleuve profond, Dino Buzzatti)
- La mort d'Abel (Victor Hugo dans la Légende des siècles, Michel Tournier dans Le Roi des Aulnes)
- L'Arche de Noé (Jules Supervielle)
- La Tour de Babel (Franz Kafka dans "Les Armes de la ville", Jorge Luis Borges dans "La Bibliothèque de Babel)
- Salomé (Gustave Flaubert avec Herodias, Huysmans avec un extrait d'À rebours, toile de Gustave Moreau Salomé dansant devant Hérode)
Dans un contexte social qui ne permettait pas de plaisanter avec la religion chrétienne, certains auteurs se sont malgré tout risqués à la subversion des mythes bibliques :
- Guillaume Apollinaire dans son poème "Salomé".
- Victor Hugo dans "Et nox facta est".
- Georges Bernanos dans Sous le soleil de Satan.
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin
Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid
Sire marchez devant trabants marchez derrière
Nous creuserons un trou et l'y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire
Le curé son bréviaire
Guillaume Apollinaire
"Salomé", Alcools, Paris, éd. Mercure de France, 1913
1913
Dans cette réécriture de la figure de Salomé, le personnage apparaît dans une ambigüité inquiétante. Elle est à la fois joyeuse (elle est vengée du dédain de Jean Baptiste) et en deuil. Ce personnage apparaît ainsi fou et cruel, tandis que l'extrait biblique insistait essentiellement sur sa cruauté.
D'autres mythes
D'autres mythes peuvent avoir été repris depuis le XVIIe siècle. Souvent, ces derniers appartiennent à la littérature moyenâgeuse européenne. Parmi ces mythes se trouvent notamment les figures de :
- Don Quichotte (Marivaux, Sterne, Daudet)
- Dom Juan (Molière, Henry de Montherlant, Éric-Emmanuel Schmitt, Barbey d'Aurevilly, opéra de Mozart)
- Faust (Honoré de Balzac, Paul Valéry, Jean Giono)
- Robinson Crusoé (Michel Tournier, Saint John Perse, Umberto Eco)
Michel Tournier propose deux réécritures du mythe de Robinson Crusoé : d'abord un récit philosophique, Vendredi ou les limbes du Pacifique, puis une réécriture pour la jeunesse, intitulée Vendredi ou la Vie sauvage.
Les épopées
Homère
L'Iliade et l'Odyssée d'Homère ont inspiré de nombreuses réécritures.
Parmi les réécritures de l'Iliade, on dénombrera notamment :
- La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux
- Une parodie dans la fable "Les Deux coqs de Jean de La Fontaine"
Parmi les réécritures de l'Odyssée, on retiendra :
- Le roman anglais Ulysse de James Joyce
- La Naissance de l'Odyssée de Jean Giono
- Germinal d'Émile Zola (descente d'Étienne et Catherine dans la mine).
- Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (notamment l'épisode des toilettes publiques à New York, décrit comme une descente aux enfers)
Les romans de chevalerie
Les romans de chevalerie ont inspiré de nombreuses réécritures comme :
- Le roman parodique Don Quichotte de l'espagnol Cervantès
- L'opéra Tristan et Isolde de Richard Wagner
- "Le Mariage de Roland" dans La Légende des siècles de Victor Hugo (en particulier le combat de Roland et Olivier)
Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle.
Durandal heurte et suit Closamont ; l'étincelle
Jaillit de toutes parts sous leurs coups répétés.
L'ombre autour d'eux s'emplit de sinistres clartés.
Ils frappent ; le brouillard du fleuve monte et fume ;
Le voyageur s'effraye et croit voir dans la brume
D'étranges bûcherons qui travaillent la nuit.
Le jour naît, le combat continue à grand bruit ;
La pâle nuit revient, ils combattent ; l'aurore
Reparaît dans les cieux, ils combattent encore.
Nul repos. Seulement, vers le troisième soir,
Sous un arbre, en causant, ils sont allés s'asseoir ;
Puis ont recommencé.
Victor Hugo
"Le Mariage de Roland", La Légende des siècles, Paris, éd. Pierre-Jules Hetzel
1859
Le poème épique de Victor Hugo reprend toutes les caractéristiques du roman de chevalerie et du mythe des personnages, tels qu'ils sont évoqués dans La Chanson de Roland. On notera les détails sanglants, l'emploi du présent de l'indicatif, et la durée interminable du combat, qui signifie la grande valeur des deux chevaliers : aucun d'eux ne faiblit ni n'abandonne.
Les apologues
Les fables
La fable est un genre propice à la réécriture. De nombreux auteurs ont réécrit des récits antérieurs :
- Au XVIIe Jean de la Fontaine, reprend les fables antiques d'Ésope et de Phèdre.
- Au XIXe siècle, Tristan Corbière détourne La Fontaine (comme '"La Cigale et la Fourmi" qui devient "Le Poète et la Cigale").
- Jean Anouilh réécrit certaines fables de La Fontaine.
- Raymond Queneau détourne certaines fables de La Fontaine, mais aussi "La Mort du loup" d'Alfred de Vigny.
- Pierre Perret détourne quelques fables de La Fontaine (comme "La Cigale et la Fourmi") en les réécrivant en argot.
Le poète ayant chanté,
Déchanté,
Vit sa Muse, presque bue,
Rouler en bas de sa nue
De carton, sur des lambeaux
De papiers et d'oripeaux.
Il alla coller sa mine
Aux carreaux de sa voisine,
Pour lui peindre ses regrets
D'avoir fait - Oh : pas exprès ! -
Son honteux monstre de livre !...
— "Mais : vous étiez donc bien ivre ?
— Ivre de vous !... Est-ce mal ?
— Écrivain public banal !
Qui pouvait si bien le dire...
Et, si bien ne pas l'écrire !
— J'y pensais, en revenant...
On n'est pas parfait, Marcelle...
— Oh ! c'est tout comme, dit-elle,
Si vous chantiez, maintenant !"
Tristan Corbière
"Le Poète et la Cigale", Les Amours jaunes, Paris, éd. Glady frères
1873
Dans ce poème, Corbière reprend les structures de la fable de La Fontaine : le même nombre de vers, une progression narrative similaire, l'introduction du discours, les sonorités rimées, et même quelques mots. Le lecteur entend ainsi en résonance la fable hypotexte.
Les contes
La forme littéraire du conte, dans sa définition, peut être considérée comme une forme innée de réécriture. En effet, le conte est issu d'une tradition orale ancestrale, où chaque transmission du récit est une réinvention de ce dernier.
Ce mode de transmission explique en soi les multiples variations, arrangées à des préférences locales, de contes existantes d'un même mythe un peu partout dans le monde.
Dans "Le Petit Chaperon rouge" de Charles Perrault, la petite fille apporte à sa grand-mère une galette et un petit pot de beurre tandis que dans la version traditionnelle racontée dans le Nivernais, elle apporte du pain et du lait.
Ces variantes ne sont pas des réécritures. Comme le texte reste ouvert, il n'est pas définitif. Or, la réécriture nécessite la répétition d'un cadre.
Puis le genre est devenu écrit, grâce à de nombreux auteurs, parmi lesquels on retiendra :
- Charles Perrault
- Madame Leprince de Beaumont
- Jacob et Wilheim Grimm
- Hans Christian Andersen
Les récits se sont fixés. À leur suite, ils ont fait l'objet de nombreuses réécritures.
En 2006, Joël Pommerat réécrit le conte du "Petit Chaperon rouge" de Charles Perrault.
Les classiques du théâtre
Sources antiques
Le théâtre antique a beaucoup inspiré les auteurs de théâtre français, en particulier les auteurs classiques Molière, Pierre Corneille et Jean Racine. Outre les mythes précédemment évoqués, ces auteurs ont réécrit :
- Des tragédies politiques
- Des comédies de mœurs
Dans Bajazet, Jean Racine réécrit une pièce du tragédien grec Eschyle intitulée Les Perses.
De son côté, Molière reprend un très grand nombre de comédies des auteurs latins Plaute et Térence, qui eux-mêmes avaient parfois trouvé l'inspiration dans des comédies grecques. Ainsi :
- L'Avare est inspiré par La Marmite de Plaute.
- Les Fourberies de Scapin sont en partie inspirées du Phormion de Térence.
Sources médiévales
Plusieurs textes classiques et contemporains sont inspirés de récits médiévaux. Ces sources sont très répandues dans le théâtre baroque (en particulier de Pierre Corneille) et le théâtre romantique (notamment d'Alfred de Musset et de Victor Hugo).
Alfred de Musset s'est inspiré entre autres des Chroniques de l'Italien Benedetto Varchi pour composer Lorenzaccio.
Histoire des réécritures
Au XVIe siècle : des hypotextes pour s'affirmer
Au XVIe siècle, les membres de la Pléiade veulent s'inspirer des auteurs antiques pour produire leurs oeuvres. Les formes poétiques antiques (l'ode, l'hymne, l'élégie, etc.) sont réactualisées.
Par ailleurs, certains auteurs comme Montaigne, dans ses Essais, ont recours à la citation d'auteurs latins.
Au XVIIe siècle : la naissance d'une querelle
Au XVIIe siècle, le mouvement baroque, fait d'instabilités, est l'occasion pour les auteurs de proposer des détournements de textes sérieux.
Scarron détourne l'Énéide de Virgile dans son roman en vers Virgile travesti.
Cependant, le mouvement classique entend rationaliser la littérature. Pour cela, certains de ses théoriciens s'appuient sur les auteurs antiques, qu'ils invitent à imiter.
Cependant, l'imitation des Anciens n'est pas du goût de tous. D'autres auteurs s'insurgent contre ce diktat du passé et invitent à un renouvellement des formes et des thèmes.
La belle Antiquité fut toujours vénérable,
Mais je ne crus jamais qu'elle fut adorable.
Je vois les Anciens, sans plier les genoux.
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
Et l'on peut comparer, sans craindre d'être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d'Auguste…
Charles Perrault
"Le Siècle de Louis-le-Grand", dans Œuvres choisies de Charles Perrault, texte établi par Collin de Plancy, éd. Peytieux (1826)
1687
Dans ce début de poème, Perrault estime que les auteurs de son temps sont en mesure d'égaler les auteurs illustres qui les ont précédés. Il appuie son propos en rappelant l'humanité de ces Anciens.
Ainsi, la querelle des Anciens et des Modernes oppose notamment :
- Dans le camp des Anciens, La Fontaine, Boileau, La Bruyère et Bossuet
- Dans le camp des Modernes, Perrault, Thomas Corneille (fils du tragédien Pierre Corneille) et Fontenelle
À partir du XVIIIe siècle : des hésitations et des transgressions
Les réécritures n'ont pas disparu aux XVIIIe et XIXe siècles mais ces dernières sont souvent critiquées.
Finalement, les réécritures redeviennent une mode au début du XXe siècle et se multiplient. La littérature s'est peu à peu libérée de ses usages. Ainsi, non seulement les auteurs réécrivent et transposent des textes sources, mais ils les détournent également davantage.
Dans Sous le Soleil de Satan, Georges Bernanos attaque une figure mythique de manière dérangeante. Il détourne la figure biblique du bon samaritain pour en faire un homme pervers et séducteur, à l'image d'un Lucifer incarné.
L'imitation pousse à s'interroger sur la légitimité des réécritures, sur la différence entre imitation et plagiat. Autrefois toléré, le plagiat est devenu un délit, critiqué par tous.
Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé.
Paul Valéry
"Choses tues", Tel quel, Paris, éd. Gallimard, coll. "Folio essais" (n° 292) (1996)
1941
Paul Valéry donne une définition du plagiat. Il le présente comme une répétition sans processus de transformation.
Mais la réécriture semble pourtant encouragée par la critique, en particulier chez certains théoriciens des années 1960 nommés les structuralistes.
Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes, dont il est à la fois la relecture, l'accentuation, la condensation, le déplacement.
Philippe Sollers
"Écriture et révolution", dans Tel Quel. Théorie d'ensemble, Paris, éd. Le Seuil ; rééd. coll. "Points"
1968
Philippe Sollers revendique l'existence d'hypotextes dans tout processus de création littéraire. Il définit également ce processus comme celui d'une longue maturation de leur lecture.