Nouvelle-Calédonie, 2012, voie L
Vous appuierez votre réflexion sur des exemples empruntés aux oeuvres que vous avez lues ou étudiées en classe.
À la lumière du corpus, pensez-vous que l'usage d'un topos est révélateur d'une faiblesse littéraire ou la marque d'un écrivain de génie ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, extrait de la quatrième partie, "L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint Denis", livre troisième, "La maison de la rue Plume"
1862
Victor Hugo décrit ici le jardin qui sera le témoin des premières rencontres amoureuses de Marius et Cosette, en 1832.
III
FOLIIS AC FRONDIBUS1
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants d'il y a quarante ans s'arrêtaient dans cette rue pour le contempler, sans se douter des secrets qu'il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. Plus d'un songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée pénétrer indiscrètement à travers les barreaux de l'antique grille cadenassée, tordue, branlante, scellée à deux piliers verdis et moussus, bizarrement couronnée d'un fronton2 d'arabesques3 indéchiffrables.
Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages4 décloués par le temps pourrissant sur le mur ; du reste plus d'allées ni de gazon ; du chiendent5 partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées6 y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l'effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s'étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s'épanouit dans l'air, ce qui flotte au vent s'était penché vers ce qui se traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l'œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cent pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin n'était plus un jardin, c'était une broussaille colossale ; c'est-à-dire quelque chose qui est impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant comme une foule.
1 Folliis ac frondibus (expression latine) : s'enveloppant de feuilles et de branches (Lucrèce, De Natura rerum, V)
2 Fronton : couronnement d'un édifice ou d'une partie d'édifice consistant en deux éléments de corniches obliques
3 Arabesques : ornement (à la manière arabe) formé de lettres, de lignes, de feuillages entrelacés
4 Treillages : structures de bois soutenant les plantes grimpantes le long d'un mur
5 Chiendent : mauvaise herbe
6 Giroflées : fleurs colorées
Texte B : Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitres V et IX
1857
Emma, qui rêve d'amours romanesques et splendides, vient d'épouser Charles Bovary, médecin de la petite ville de Tostes. Elle découvre le jardin et la maison dans lesquels elle devra vivre.
Le jardin, plus long que large, allait, entre deux murs de bauge1 couverts d'abricots en espalier2, jusqu'à une haie d'épines qui le séparait des champs. Il y avait au milieu un cadran solaire en ardoise, sur un piédestal de maçonnerie ; quatre plates-bandes garnies d'églantiers maigres entouraient systématiquement le carré plus utile des végétations sérieuses. Tout au fond, sous les sapinettes, un curé de plâtre lisait son bréviaire3.
Extrait de la première partie, chapitre V.
Le temps passant, Emma continue d'aller au jardin.
Les jours qu'il faisait beau, elle descendait dans le jardin. La rosée avait laissé sur les choux des guipures4 d'argent avec de longs fils clairs qui s'étendaient de l'un à l'autre. On n'entendait pas d'oiseaux, tout semblait dormir, l'espalier couvert de paille et la vigne comme un grand serpent malade sous le chaperon5 du mur, où l'on voyait, en s'approchant, se traîner des cloportes à pattes nombreuses. Dans les sapinettes, près de la haie, le curé en tricorne qui lisait son bréviaire avait perdu le pied droit et même le plâtre, s'écaillant à la gelée, avait fait des gales6 blanches sur sa figure.
Extrait de la première partie, chapitre IX.
1 Bauge : mélange de terre et de paille utilisé en construction
2 Espaliers : arbres dont les branches sont étirées le long d'un mur
3 Bréviaire : livre de prière du prêtre
4 Guipures : dentelles ajourées et délicates
5 Chaperon : protection du sommet d'un mur contre le ruissellement de la pluie
6 Gales : marques laissées par une maladie de peau
Texte C : Gérard de Nerval, Les Filles du feu, "Sylvie"
1854
Le narrateur décide de retrouver Sylvie, son amie d'enfance, en revenant au pays dont il est originaire. Sur le chemin, il fait un détour par le parc du château d'Ermenonville où avaient lieu les fêtes de sa jeunesse.
Ermenonville
Lorsque je vis briller les eaux du lac à travers les branches des saules et des coudriers, je reconnus tout à fait un lieu où mon oncle, dans ses promenades, m'avait conduit bien des fois : c'est le Temple de la philosophie, que son fondateur n'a pas eu le bonheur de terminer. Il a la forme du temple de la sibylle Tiburtine1, et, debout encore, sous l'abri d'un bouquet de pins, il étale tous ces grands noms de la pensée qui commencent par Montaigne et Descartes, et qui s'arrêtent à Rousseau. Cet édifice inachevé n'est déjà plus qu'une ruine, le lierre le festonne avec grâce, la ronce envahit les marches disjointes. Là, tout enfant, j'ai vu des fêtes où les jeunes filles vêtues de blanc venaient recevoir des prix d'étude et de sagesse. Où sont les buissons de roses qui entouraient la colline ? L'églantier et le framboisier en cachent les derniers plants, qui retournent à l'état sauvage. - Quant aux lauriers, les a-t-on coupés, comme le dit la chanson des jeunes filles qui ne veulent plus aller au bois ? Non, ces arbustes de la douce Italie ont péri sous notre ciel brumeux. Heureusement le troëne de Virgile2 fleurit encore, comme pour appuyer la parole du maître inscrite au-dessus de la porte : Rerum cognoscere causas ! - Oui, ce temple tombe comme tant d'autres, les hommes oublieux ou fatigués se détourneront de ses abords, la nature indifférente reprendra le terrain que l'art lui disputait ; mais la soif de connaître restera éternelle, mobile de toute force et de toute activité.
Voici les peupliers de l'île, et la tombe de Rousseau, vide de ses cendres. Ô sage ! tu nous avais donné le lait des forts, et nous étions trop faibles pour qu'il pût nous profiter. Nous avons oublié tes leçons que savaient nos pères, et nous avons perdu le sens de ta parole, dernier écho des sagesses antiques. Pourtant ne désespérons pas, et, comme tu fis à ton suprême instant, tournons nos yeux vers le soleil !
J'ai revu le château, les eaux paisibles qui le bordent, la cascade qui gémit dans les roches, et cette chaussée réunissant les deux parties du village, dont quatre colombiers marquent les angles, la pelouse qui s'étend au-delà comme une savane, dominée par des coteaux ombreux ; la tour de Gabrielle se reflète de loin sur les eaux d'un lac factice étoilé de fleurs éphémères ; l'écume bouillonne, l'insecte bruit... Il faut échapper à l'air perfide qui s'exhale en gagnant les grès poudreux du désert et les landes où la bruyère rose relève le vert des fougères. Que tout cela est solitaire et triste ! Le regard enchanté de Sylvie, ses courses folles, ses cris joyeux, donnaient autrefois tant de charme aux lieux que je viens de parcourir ! C'était encore une enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs. Nous allions boire du lait à la ferme suisse, et l'on me disait : "Qu'elle est jolie, ton amoureuse, petit Parisien !" Oh ! Ce n'est pas alors qu'un paysan aurait dansé avec elle ! Elle ne dansait qu'avec moi, une fois par an, à la fête de l'arc.
1 Temple de la sibylle Tiburtine : temple romain situé à Tivoli en Italie
2 Virgile : Poète latin du 1er siècle après J.-C. ; la phrase latine citée est extraite du recueil des Géorgiques, et signifie "connaître la raison des choses".
À quel courant littéraire appartient ce texte ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, extrait de la quatrième partie, "L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint Denis", livre troisième, "La maison de la rue Plume"
1862
Victor Hugo décrit ici le jardin qui sera le témoin des premières rencontres amoureuses de Marius et Cosette, en 1832.
III
FOLIIS AC FRONDIBUS1
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants d'il y a quarante ans s'arrêtaient dans cette rue pour le contempler, sans se douter des secrets qu'il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. Plus d'un songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée pénétrer indiscrètement à travers les barreaux de l'antique grille cadenassée, tordue, branlante, scellée à deux piliers verdis et moussus, bizarrement couronnée d'un fronton2 d'arabesques3 indéchiffrables.
Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages4 décloués par le temps pourrissant sur le mur ; du reste plus d'allées ni de gazon ; du chiendent5 partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées6 y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l'effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s'étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s'épanouit dans l'air, ce qui flotte au vent s'était penché vers ce qui se traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l'œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cent pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin n'était plus un jardin, c'était une broussaille colossale ; c'est-à-dire quelque chose qui est impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant comme une foule.
1 Folliis ac frondibus (expression latine) : s'enveloppant de feuilles et de branches (Lucrèce, De Natura rerum, V)
2 Fronton : couronnement d'un édifice ou d'une partie d'édifice consistant en deux éléments de corniches obliques
3 Arabesques : ornement (à la manière arabe) formé de lettres, de lignes, de feuillages entrelacés
4 Treillages : structures de bois soutenant les plantes grimpantes le long d'un mur
5 Chiendent : mauvaise herbe
6 Giroflées : fleurs colorées
Quel registre Flaubert utilise-t-il dans ce texte ?
Texte B : Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitres V et IX
1857
Emma, qui rêve d'amours romanesques et splendides, vient d'épouser Charles Bovary, médecin de la petite ville de Tostes. Elle découvre le jardin et la maison dans lesquels elle devra vivre.
Le jardin, plus long que large, allait, entre deux murs de bauge1 couverts d'abricots en espalier2, jusqu'à une haie d'épines qui le séparait des champs. Il y avait au milieu un cadran solaire en ardoise, sur un piédestal de maçonnerie ; quatre plates-bandes garnies d'églantiers maigres entouraient systématiquement le carré plus utile des végétations sérieuses. Tout au fond, sous les sapinettes, un curé de plâtre lisait son bréviaire3.
Extrait de la première partie, chapitre V.
Le temps passant, Emma continue d'aller au jardin.
Les jours qu'il faisait beau, elle descendait dans le jardin. La rosée avait laissé sur les choux des guipures4 d'argent avec de longs fils clairs qui s'étendaient de l'un à l'autre. On n'entendait pas d'oiseaux, tout semblait dormir, l'espalier couvert de paille et la vigne comme un grand serpent malade sous le chaperon5 du mur, où l'on voyait, en s'approchant, se traîner des cloportes à pattes nombreuses. Dans les sapinettes, près de la haie, le curé en tricorne qui lisait son bréviaire avait perdu le pied droit et même le plâtre, s'écaillant à la gelée, avait fait des gales6 blanches sur sa figure.
Extrait de la première partie, chapitre IX.
1 Bauge : mélange de terre et de paille utilisé en construction
2 Espaliers : arbres dont les branches sont étirées le long d'un mur
3 Bréviaire : livre de prière du prêtre
4 Guipures : dentelles ajourées et délicates
5 Chaperon : protection du sommet d'un mur contre le ruissellement de la pluie
6 Gales : marques laissées par une maladie de peau
Quel registre Nerval utilise-t-il dans ce texte ?
Texte C : Gérard de Nerval, Les filles de feu, "Sylvie"
1854
Le narrateur décide de retrouver Sylvie, son amie d'enfance, en revenant au pays dont il est originaire. Sur le chemin, il fait un détour par le parc du château d'Ermenonville où avaient lieu les fêtes de sa jeunesse.
Ermenonville
Lorsque je vis briller les eaux du lac à travers les branches des saules et des coudriers, je reconnus tout à fait un lieu où mon oncle, dans ses promenades, m'avait conduit bien des fois : c'est le Temple de la philosophie, que son fondateur n'a pas eu le bonheur de terminer. Il a la forme du temple de la sibylle Tiburtine1, et, debout encore, sous l'abri d'un bouquet de pins, il étale tous ces grands noms de la pensée qui commencent par Montaigne et Descartes, et qui s'arrêtent à Rousseau. Cet édifice inachevé n'est déjà plus qu'une ruine, le lierre le festonne avec grâce, la ronce envahit les marches disjointes. Là, tout enfant, j'ai vu des fêtes où les jeunes filles vêtues de blanc venaient recevoir des prix d'étude et de sagesse. Où sont les buissons de roses qui entouraient la colline ? L'églantier et le framboisier en cachent les derniers plants, qui retournent à l'état sauvage. - Quant aux lauriers, les a-t-on coupés, comme le dit la chanson des jeunes filles qui ne veulent plus aller au bois ? Non, ces arbustes de la douce Italie ont péri sous notre ciel brumeux. Heureusement le troëne de Virgile2 fleurit encore, comme pour appuyer la parole du maître inscrite au-dessus de la porte : Rerum cognoscere causas ! - Oui, ce temple tombe comme tant d'autres, les hommes oublieux ou fatigués se détourneront de ses abords, la nature indifférente reprendra le terrain que l'art lui disputait ; mais la soif de connaître restera éternelle, mobile de toute force et de toute activité.
Voici les peupliers de l'île, et la tombe de Rousseau, vide de ses cendres. Ô sage ! tu nous avais donné le lait des forts, et nous étions trop faibles pour qu'il pût nous profiter. Nous avons oublié tes leçons que savaient nos pères, et nous avons perdu le sens de ta parole, dernier écho des sagesses antiques. Pourtant ne désespérons pas, et, comme tu fis à ton suprême instant, tournons nos yeux vers le soleil !
J'ai revu le château, les eaux paisibles qui le bordent, la cascade qui gémit dans les roches, et cette chaussée réunissant les deux parties du village, dont quatre colombiers marquent les angles, la pelouse qui s'étend au-delà comme une savane, dominée par des coteaux ombreux ; la tour de Gabrielle se reflète de loin sur les eaux d'un lac factice étoilé de fleurs éphémères ; l'écume bouillonne, l'insecte bruit... Il faut échapper à l'air perfide qui s'exhale en gagnant les grès poudreux du désert et les landes où la bruyère rose relève le vert des fougères. Que tout cela est solitaire et triste ! Le regard enchanté de Sylvie, ses courses folles, ses cris joyeux, donnaient autrefois tant de charme aux lieux que je viens de parcourir ! C'était encore une enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs. Nous allions boire du lait à la ferme suisse, et l'on me disait : "Qu'elle est jolie, ton amoureuse, petit Parisien !" Oh ! Ce n'est pas alors qu'un paysan aurait dansé avec elle ! Elle ne dansait qu'avec moi, une fois par an, à la fête de l'arc.
1 Temple de la sibylle Tiburtine : temple romain situé à Tivoli en Italie
2 Virgile : Poète latin du 1er siècle après J.-C. ; la phrase latine citée est extraite du recueil des Géorgiques, et signifie "connaître la raison des choses".
Qu'est-ce qu'un topos en littérature ?
À quel terme ci-dessous peut-on associer le mot "topos" ?
Pourquoi les mêmes thèmes reviennent-ils en littérature ?
À quelle époque le topos devient-il synonyme de faiblesse littéraire ?