Sommaire
ILes prouesses technologiques humainesALe mythe de ProméthéeBLa technologie pour acquérir la libertéCLa technologie pour augmenter les capacités humainesIIL'envers du progrès humainALes limites du progrèsBL'humanité menacée par ses propres avancéesCLa peur d'un futur apocalyptiqueIIILa crise écologique : une crise sans précédentALa destruction de la nature par l'hommeBLe devoir de protection de la natureLe XXe siècle est celui des plus grandes inventions et avancées technologiques et scientifiques, dont le développement du numérique, de la génétique et de l'intelligence artificielle. C'est également le siècle des horreurs humaines les plus frappantes : la science et le progrès sont mis au service d'idéologies comme le nazisme ou le stalinisme. Par ailleurs, le monde capitaliste fondé sur la surexploitation des ressources terrestres et des animaux déshumanise l'humain et détruit la planète. Ainsi, aujourd'hui, l'une des questions majeures est de savoir si l'humain n'a pas franchi les limites de l'acceptable, s'il n'y a pas un frein à mettre, si le progrès humain ne conduit pas, finalement, à la perte de l'humanité et de la Terre.
Les prouesses technologiques humaines
L'être humain est capable de prouesses technologiques impressionnantes. Dans la mythologie, Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes, ce qui leur permet d'accéder aux savoirs et de développer la technique. Au fur et à mesure des siècles, les hommes se perfectionnent, ils créent et recréent sans cesse, dans le but d'acquérir plus de liberté et d'augmenter leurs capacités, voire de les dépasser.
Le mythe de Prométhée
Selon la mythologie grecque, l'humain est une espèce qui se distingue des dieux dans la mesure où il est mortel et dépourvu de dons ou d'attributs qui lui permettrait de se développer. Cependant, le titan Prométhée tente de rééquilibrer la balance en dérobant le feu aux dieux et en l'offrant aux hommes.
Mythe
Le mot mythe vient du grec muthos (« récit épique, fable, conte »). Les mythes existent depuis que les hommes existent et ont une valeur fondatrice, dans le sens où ils permettent d'expliquer des aspects fondamentaux du monde ou de la vie en société. Les mythes sont variables en fonction des sociétés dans lesquelles ils apparaissent et sont transmis oralement.
Dans le Protagoras, Platon évoque le mythe de Prométhée. Les dieux chargent Promethée de répartir les atouts entre les animaux pour assurer leur survie, et confient à son frère Épiméthée la tâche de répartir les qualités et les défauts entre les êtres lors de la création du monde. Épiméthée oublie d'attribuer des qualités aux hommes. Pour compenser ce manque, Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes.
« Il fut jadis un temps où les dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les façonnèrent dans les entrailles de la terre d'un mélange de terre et de feu et des éléments qui s'allient au feu et à la terre. Quand le moment de les amener à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de les pourvoir et d'attribuer à chacun des qualités appropriées. […] Dans cet embarras, Prométhée vient pour examiner le partage ; il voit les animaux bien pourvus, mais l'homme nu, sans chaussures, ni couvertures ni armes, et le jour fixé approchait où il fallait l'amener du sein de la terre à la lumière. Alors Prométhée, ne sachant qu'imaginer pour donner à l'homme le moyen de se conserver, vole à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu ; car, sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile ; et il en fait présent à l'homme. »
Platon
Protagoras
Le feu symbolise l'intelligence, il permet aux hommes de créer des outils. C'est grâce à ce vol que les hommes peuvent se développer et parfaire leurs techniques. L'être humain peut devenir agriculteur, tisserand, forgeron.
La technologie pour acquérir la liberté
L'homme utilise la technologie pour acquérir sa liberté. Cette idée est notamment développée par des philosophes comme Bergson.
Selon Bergson, l'homme est depuis toujours un technicien au sens étymologique du terme. C'est un Homo faber, c'est-à-dire un être susceptible de fabriquer des outils et d'en varier indéfiniment la fabrication. Dans L'Évolution créatrice, Bergson cherche à démontrer que la nature est en perpétuelle création, et que c'est à l'homme que revient la tâche de créer et d'utiliser la technologie pour devenir, par la suite, plus libre.
« L'instinct trouve à sa portée l'instrument approprié : cet instrument, qui se fabrique et se répare lui-même, qui présente, comme toutes les œuvres de la nature, une complexité de détail infinie et une simplicité de fonctionnement merveilleuse, fait tout de suite, au moment voulu, sans difficulté, avec une perfection souvent admirable, ce qu'il est appelé à faire. En revanche, il conserve une structure à peu près invariable, puisque sa modification ne va pas sans une modification de l'espèce. L'instinct est donc nécessairement spécialisé, n'étant que l'utilisation, pour un objet déterminé, d'un instrument déterminé. Au contraire, l'instrument fabriqué intelligemment est un instrument imparfait. Il ne s'obtient qu'au prix d'un effort. Mais, comme il est fait d'une matière inorganisée, il peut prendre une forme quelconque, servir à n'importe quel usage, tirer l'être vivant de toute difficulté nouvelle qui surgit et lui conférer un nombre illimité de pouvoirs. Inférieur à l'instrument naturel pour la satisfaction des besoins immédiats, il a d'autant plus d'avantages sur celui-ci que le besoin est moins pressant. »
Henri Bergson
L'Évolution créatrice
1907
Bergson montre une distinction entre l'homme et l'animal lorsqu'il s'agit de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Il distingue de fait « l'instrument approprié » de « l'instrument fabriqué ». En effet, le premier est issu de la nature et utilisé par les animaux, tandis que le deuxième est fabriqué par l'homme et lui permet de se sortir de n'importe quelle difficulté nouvelle qui surgit et lui confère « un nombre illimité de pouvoirs ».
L'être humain ne se contente pas de créer des choses pour vivre ou améliorer son habitat. Il va également chercher à égaler Dieu, à devenir un nouveau démiurge pour montrer sa surpuissance.
Démiurge
Démiurge est le nom donné au dieu qui a créé le monde et les êtres par les platoniciens. Ainsi, on nomme « démiurge » toute personne qui crée quelque chose d'important, à l'image d'un dieu.
La maîtrise technique permet à l'homme d'être plus libre puisqu'il se trouve libéré de toute contrainte, qui est le fait des machines. Dans son œuvre, Du mode d'existence des objets techniques, Gilbert Simondon soutient que la philosophie peut étudier le rapport éthique entretenu par les hommes avec les objets techniques.
« Le désir de puissance consacre la machine comme moyen de suprématie, et fait d'elle le philtre moderne. L'homme qui veut dominer ses semblables suscite la machine androïde. Il abdique alors devant elle et lui délègue son humanité. Il cherche à construire la machine à penser, rêvant de pouvoir construire la machine à vouloir, la machine à vivre, pour tester derrière elle sans angoisse, libéré de tout danger, exempt de tout sentiment de faiblesse, et triomphant immédiatement par ce qu'il a inventé. »
Gilbert Simondon
Du mode d'existence des objets techniques
© Éditions Aubier-Montaigne, 1958
Dans cet extrait, Simondon met en avant la capacité créatrice de l'homme qui devient un nouveau démiurge, un être capable de fabriquer des « machines androïdes » qui lui ressemblent. À travers la métaphore du « philtre moderne » et l'énumération « la machine à penser, la machine à vouloir, la machine à vivre », on perçoit d'emblée la volonté de l'homme : se sentir puissant et libre.
La technologie pour augmenter les capacités humaines
Les avancées scientifiques ne cessent d'étonner. L'être humain est maintenant capable de créer des organes artificiels ou de rallonger l'espérance de vie grâce à sa maîtrise de la technologie. L'être humain agit sur l'évolution et change les lois de l'univers. Il est capable de transformer la machine au point qu'elle parvient à augmenter, voire remplacer, les capacités intellectuelles de l'être humain.
Michel Serres évoque dans Petite Poucette un monde changeant, un monde dans lequel les hommes ont développé la capacité d'envoyer des messages avec leurs pouces.
« Petite Poucette ouvre son ordinateur. Si elle ne se souvient pas de cette légende, elle considère toutefois, devant elle et dans ses mains, sa tête elle-même, bien pleine en raison de la réserve énorme d'informations, mais aussi bien faite, puisque des moteurs de recherche y activent, à l'envi, textes et images, et que, mieux encore, dix logiciels peuvent y traiter d'innombrables données, plus vite qu'elle ne le pourrait. Elle tient là, hors d'elle, sa cognition jadis interne, comme saint Denis tint son chef hors du cou. Imagine-t-on Petite Poucette décapitée ? Miracle ?
Récemment, nous devînmes tous des saints Denis, comme elle. De notre tête osseuse et neuronale, notre tête intelligente sortit. Entre nos mains, la boîte-ordinateur contient et fait fonctionner, en effet, ce que nous appelions jadis nos « facultés » : une mémoire, plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d'icônes par millions, une raison aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n'eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boîte cognitive objectivée. »
Michel Serres
Petite Poucette
© Le Pommier, 2012
Dans cet extrait, Serres utilise le terme « Petite Poucette » pour désigner l'homme contemporain, qui utilise toutes les nouvelles technologies. Il raconte l'histoire de saint Denis qui, alors qu'il venait d'être décapité, se serait relevé pour ramasser sa tête et aurait continué à marcher, tenant sa tête entre ses mains. Avec cette métaphore, Michel Serres cherche à mettre en avant l'idée selon laquelle l'intelligence humaine a été supplantée par l'intelligence numérique.
Dans la littérature, les auteurs s'intéressent aux avancées scientifiques et technologiques et imaginent les futures prouesses techniques.
« — Ce qu'on a trouvé au point 612, poursuivit l'orateur, permet en effet de supposer qu'une civilisation très avancée, se sachant menacée par un cataclysme qui risquait de la détruire entièrement, a mis à l'abri, avec un luxe de précautions qui a peut-être épuisé toutes ses richesses, un homme et une femme susceptibles de faire renaître la vie après le passage du fléau. Il n'est pas logique de penser que ce couple ait été choisi uniquement pour ses qualités physiques. L'un ou l'autre, ou les deux, doit posséder assez de science pour faire renaître une civilisation équivalente à celle dont ils sont issus. C'est cette science que le monde d'aujourd'hui doit songer à partager, avant toute autre chose. Pour cela, il faut ranimer ceux qui la possèdent et leur faire place parmi nous. »
René Barjavel
La Nuit des temps
© Presses de la Cité, 1968
Dans cet extrait, Barjavel imagine une incroyable découverte scientifique : les corps d'un homme et d'une femme en état d'hibernation, seuls survivants d'une civilisation disparue. Les humains de cette civilisation avancée mais disparue ont trouvé le moyen de faire perdurer leur espèce grâce à la technologie, malgré le cataclysme qui devait les mener à leur perte.
L'envers du progrès humain
Au XXe siècle, les crises se succèdent et amènent une remise en question. Le progrès humain n'a pas empêché les deux guerres mondiales ; au contraire, il a permis de tuer en grand nombre des êtres humains lors des conflits. L'humanité est désormais menacée par ses propres avancées. L'idée d'une fin apocalyptique est de plus en plus présente dans l'imaginaire collectif.
Les limites du progrès
Au XXe siècle, les horreurs des deux guerres mondiales, la montée des totalitarismes et l'utilisation des technologies dans un but de destruction mettent fin à l'idée du progrès humain. La confiance en la science et la technologie s'étiole.
Des intellectuels comme Theodor W. Adorno et Max Horkheimer s'engagent dans une critique de la « raison » ou des « Lumières » : l'idée de progrès humain régresse. Dans Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt dénonce le progrès et notamment l'automatisation du travail qui éloigne l'être humain de sa condition humaine.
« Les limitations de la loi n'offrent pas de garanties absolues contre une action venue de l'intérieur de la nation, de même que les frontières du territoire ne sont pas des sauvegardes toujours sûres contre une action venue de l'extérieur. L'infinitude de l'action n'est que l'autre aspect de sa formidable capacité d'établir des rapports, qui est sa productivité spécifique ; c'est pourquoi l'antique vertu de modération, du respect des limites, est bien l'une des vertus politiques par excellence, de même que la tentation politique par excellence est certainement l'hubris (comme le savaient bien les Grecs, grands connaisseurs des possibilités de l'action) et non pas la volonté de puissance comme nous penchons à le croire. »
Hannah Arendt
Condition de l'homme moderne
1958
Dans cet extrait, Hannah Arendt met en garde contre la volonté de toute-puissance de l'homme et sa croyance qu'il peut tout.
L'humanité menacée par ses propres avancées
Les progrès technologiques peuvent montrer les limites des êtres humains dans la mesure où les hommes peuvent être dépassés par ce qu'ils ont créé et se retrouvent esclaves et prisonniers de leurs créations.
La figure de l'être humain dépassé par sa création est très présente en littérature. Le progrès technologique est perçu comme une menace pour l'humanité.
Le golem, créé par l'humain, attaque la ville de Prague.
Le docteur Frankenstein met au point une créature qui finit par commettre des horreurs.
Asimov imagine une conversation entre un robot, Cutie, et son créateur, Powell, dans Les Robots. Cutie n'arrive pas à concevoir d'avoir été créé par un homme, tant il se sent supérieur à l'espèce humaine.
« — Regardez-vous, dit-il enfin. Je ne parle pas avec un esprit de dénigrement, mais regardez-vous. Les matériaux dont vous êtes faits sont mous et flasques, manquent de force et d'endurance, et dépendent pour leur énergie de l'oxydation inefficace de tissus organiques... Comme ceci. Vous tombez périodiquement dans le coma, et la moindre variation de température, de pression d'air, d'humidité ou d'intensité de radiations diminue votre efficacité. En un mot, vous n'êtes qu'un pis-aller. Moi, au contraire, je constitue un produit parfaitement fini. J'absorbe directement l'énergie électrique et je l'utilise avec un rendement voisin de cent pour cent. Je suis composé de métal résistant, je jouis d'une conscience sans éclipses, et je puis facilement supporter des conditions climatiques extrêmes. Tels sont les faits qui, avec le postulat évident qu'aucun être ne peut créer un autre être supérieur à lui-même, réduisent à néant votre stupide hypothèse. »
Isaac Asimov
Les Robots
1967
Dans cet extrait, le robot s'amuse à mettre en avant tous les défauts humains : « mous et flasques, manquent de force et d'endurance », « Vous tombez périodiquement dans le coma ». Il montre la suprématie de la robotique à travers l'hyperbole « je constitue un produit parfaitement fini ».
Le XXe siècle voit certes se produire les plus grandes avancées technologiques, néanmoins il s'avère que certaines ont rendu l'homme esclave de ses propres avancées. En effet, les recherches d'Einstein sont à l'origine de la création des armes de destruction massive, qui vont coûter la vie à des millions de personnes. Dans ce cas, peut-on encore accepter la création de machines destructrices qui limitent l'homme à un rôle de simple spectateur ? C'est le thème abordé par Günther Anders dans Le Temps de la fin. Il évoque les conséquences de la bombe atomique lancée sur l'espèce humaine à Hiroshima, en 1945.
« Des événements de la taille d'Hiroshima n'attendent pas de savoir si nous voulons bien condescendre à les envisager et à nous mesurer à eux. Ce sont eux qui décident qui est transformé. D'où la question : qu'est-ce que l'événement Hiroshima a transformé en nous ? Notre statut métaphysique. Dans quelle mesure l'a-t-il transformé ? Jusqu'en 1945, nous n'avons tenu qu'un second rôle dans une pièce sans fin, dans une pièce dont nous ne nous sommes du moins pas cassé la tête pour savoir si elle avait ou non une fin. La pièce dans laquelle nous jouons désormais des hommes sans puissance est elle-même devenue secondaire. – D'une façon non imagée, maintenant : jusqu'en 1945 nous n'avons été que les membres mortels d'un genre conçu comme intemporel, d'un genre face auquel nous ne nous sommes du moins jamais vraiment posé la question : « Est-il mortel ou immortel ? » Maintenant, nous appartenons à un genre qui, en tant que tel, est mortel. « Mortel » (il est inutile de dissimuler cette distinction). Nous sommes passés du rang de « genre des mortels » à celui de « genre mortel ». »
Günther Anders
Le Temps de la fin
1960
Dans cet extrait, Anders revient sur les conséquences de l'invention de la bombe atomique et de ce que l'homme en a fait. Pour faire prendre conscience aux hommes de leurs actes, il utilise des questions rhétoriques : « qu'est-ce que l'événement Hiroshima a transformé en nous ? Notre statut métaphysique. Dans quelle mesure l'a-t-il transformé ? ». Il se demande quel est l'avenir de l'homme dans ce nouveau monde, qu'il compare à une pièce de théâtre : « La pièce dans laquelle nous jouons ». Il pose également la question du nouveau rôle que doit jouer l'homme. Il fait une distinction entre « genre des mortels » et « genre mortel ». La bombe sur Hiroshima a changé radicalement les hommes et la perception qu'ils avaient jusque-là de leur espèce.
La peur d'un futur apocalyptique
Au XXe siècle, on voit se développer de nombreux récits d'anticipation, qui ont pour but de mettre en garde l'humanité contre l'oppression scientifique et technologique.
Dystopie
La dystopie est le contraire de l'utopie. Elle raconte une histoire qui se déroule dans une société imaginaire où l'homme vit difficilement à cause des nombreux défauts et contraintes qu'elle contient.
De nombreux écrivains vont imaginer un monde futur en proie à une catastrophe naturelle ou technologique qui ravage la Terre. L'humanité doit trouver le moyen de survivre à ses propres erreurs. Ces récits d'anticipation évoquent des événements qui pourraient réellement se produire si l'on ne change pas notre manière de vivre.
Récit d'anticipation
Le récit d'anticipation naît à la fin du XIXe siècle, c'est un genre romanesque qui appartient à la science-fiction. Il s'agit d'imaginer la société dans un futur proche, où la science ou la technologie auraient eu un impact particulièrement néfaste sur notre civilisation.
René Barjavel publie un roman de science-fiction, Ravage, dont l'intrigue se passe après un cataclysme survenu en 2052. Le peu d'hommes ayant survécu ont été obligés de bannir les inventions modernes, responsables de leur perte.
Les écrivains imaginent une société dystopique imaginaire, dans laquelle les hommes sont amenés à se surveiller les uns les autres et à se dénoncer. Huxley imagine ainsi une société qui serait totalement hiérarchisée avec des castes supérieures (Alpha et Bêta) et inférieures (Delta et Epsilon).
« Un jeune mécanicien Bêta-Moins était occupé à travailler avec un tournevis et une clef anglaise à la pompe à pseudo-sang d'un flacon qui passait. Le ronflement du moteur électrique devenait plus grave, par fractions de ton, tandis qu'il vissait les écrous... Plus grave, plus grave... Une torsion finale, un coup d'œil sur le compteur de tours, et il eut terminé. Il avança de deux pas le long de la rangée et recommença la même opération sur la pompe suivante.
Il diminue le nombre de tours à la minute, expliqua Mr. Foster. Le pseudo-sang circule plus lentement ; il passe par conséquent dans les poumons à intervalles plus longs ; il donne par suite à l'embryon moins d'oxygène. Rien de tel que la pénurie d'oxygène pour maintenir un embryon au-dessous de la normale. De nouveau, il se frotta les mains.
— Mais pourquoi voulez-vous maintenir l'embryon au-dessous de la normale ? demanda un étudiant ingénu.
— Quel âne ! dit le Directeur, rompant un long silence. Ne vous est-il jamais venu à l'idée qu'il faut à un embryon d'Epsilon un milieu d'Epsilon, aussi bien qu'une hérédité d'Epsilon ?
Cela ne lui était évidemment pas venu à l'idée. Il fut couvert de confusion.
— Plus la caste est basse, dit Mr. Foster, moins on donne d'oxygène. Le premier organe affecté, c'est le cerveau. Ensuite le squelette. À soixante-dix pour cent d'oxygène normal, on obtient des nains. À moins de soixante-dix pour cent, des monstres sans yeux. »
Aldous Huxley
Le Meilleur des mondes
1932
Dans cet extrait, l'être humain est capable de contrôler les embryons humains pour conserver une société hiérarchisée, comme le montre la question rhétorique du directeur : « Ne vous est-il jamais venu à l'idée qu'il faut à un embryon d'Epsilon un milieu d'Epsilon, aussi bien qu'une hérédité d'Epsilon ? ».
La crise écologique : une crise sans précédent
Aux XXe et XXIe siècles, les crises écologiques se multiplient et provoquent le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. La question écologique est au cœur des préoccupations.
La destruction de la nature par l'homme
Écrivains et philosophes ont montré l'attitude néfaste de l'homme sur la nature.
Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau prône les bienfaits d'une vie en harmonie avec la nature, tandis que bon nombre de ses contemporains ne la voient que comme un instrument nécessaire pour poursuivre de plus grands projets. Aux XIXe et XXe siècles, la nature (animaux, végétation, minéraux) est utilisée dans le seul but de produire et reproduire. Les ressources s'amenuisent, mais au-delà du manque de ressources, l'être humain réalise qu'en détruisant la nature, il se détruit lui-même.
Heidegger, dans le chapitre « La Question de la technique » d'Essais et conférences, montre les dangers de la technique moderne qui cherche à maîtriser la nature.
« La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme de livrer sa pression hydraulique qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission. Dans le domaine de ses conséquences s'enchaînent l'une l'autre à partir de la mise en place de l'énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre. C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est par l'essence de la centrale. Afin de voir et de mesurer, ne fût-ce que de loin, l'élément monstrueux qui domine ici, arrêtons-nous un instant sur l'opposition qui apparaît entre les deux intitulés : "Le Rhin", muré dans l'usine d'énergie, et "Le Rhin", titre de cette œuvre d'art qu'est un hymne d'Hölderlin. »
Martin Heidegger
« La Question de la technique », Essais et conférences
1958
Dans cet extrait, le philosophe personnifie la centrale hydraulique qui donne des ordres au fleuve : « Elle le somme de livrer sa pression hydraulique », pour mettre en avant le fait que l'homme maltraite la nature et se sert volontiers de toutes les ressources qu'elle lui offre, et ce jusqu'à épuisement. Heidegger juge que le Rhin est « muré dans l'usine d'énergie ». Pourtant, un fleuve ne peut en rien être emmuré. Il montre ainsi que l'homme a capturé le Rhin pour son profit personnel. Il perçoit cela comme un acte de cruauté, car il le voit comme « une œuvre d'art » (en témoigne la référence au poème d'Hölderlin, « Le Chant du Rhin »).
Le devoir de protection de la nature
Face à la crise écologique, un nouveau devoir doit être imposé à l'être humain : celui de protéger la nature et de choisir l'écologie, seule capable de sauver le monde.
Dans l'Antiquité, le mythe de l'âge d'or décrit par Hésiode et Ovide montrait les bienfaits d'une vie respectueuse de la nature. Durant les siècles qui ont suivi, l'homme a su, dans une certaine mesure, conserver cet équilibre environnemental. Mais au XXe siècle, il a privilégié les avancées technologiques au détriment de l'environnement. Certains écrivains imaginent un monde idéal, respectueux de l'environnement, prônant l'écologie ; malheureusement, ce monde n'est qu'une utopie, c'est-à-dire un monde qui n'existe pas, mais qui doit permettre à l'homme d'ouvrir les yeux et de faire changer les choses.
Utopie
Étymologiquement, utopie mot vient du grec u-topos, qui signifie « le lieu qui n'existe pas ». Il s'agit de la représentation d'un monde idéal, sans aucun défaut, ayant un système politique parfait et une société sans injustices.
Dans le roman d'Ernest Callenbach, Écotopia, le narrateur, William Weston, est envoyé en Écotopia. Il rencontre alors les écotopiens et en profite pour poser diverses questions sur le fonctionnement de cette cité. D'emblée, le titre indique que cette cité est régie par une règle d'or : l'écologie.
« Après quelques verres, la conversation est devenue plus vivante et personnelle. J'en ai profité pour faire quelques sondages :
"Cette obsession de l'état d'équilibre n'est-elle pas affreusement statique ? Il y a de quoi te rendre cinglé au bout d'un moment, non ?"
Bert m'a considéré d'un air amusé avant de me renvoyer la balle.
"Eh bien, n'oublie pas que les individus que nous sommes sont dispensés de stabilité. Le système fournit la stabilité et nous pouvons y vagabonder à notre guise. Nous n'essayons pas d'être parfaits, simplement d'atteindre un équilibre général – en additionnant tous les hauts et les bas."
"Mais ça revient à renoncer à toute notion de progrès. Vous désirez seulement trouver ce point de stabilité et y rester, comme une masse inerte." […]
"Ah bon ? Mais nous avons bel et bien réussi une chose qu'on peut appeler la stabilité. Notre système oscille paisiblement, alors que le vôtre est sans cesse saisi de convulsions. Je vois le nôtre comme une prairie au soleil. Il y a beaucoup de changements en cours – des plantes grandissent, d'autres meurent, des bactéries les décomposent, les souris mangent les graines, des faucons mangent les souris, un arbre ou deux entament leur croissance et ombragent l'herbe. Mais le pré perdure sur une base équilibrée, à condition que les hommes ne viennent pas tout foutre en l'air." »
Ernest Callenbach
Écotopia
1975
Dans cet extrait, l'accent est mis sur les principes fondamentaux d'Écotopia, à savoir l'écologie et l'équilibre. L'insertion du dialogue polémique (c'est-à-dire un dialogue où les personnages sont en désaccord sur un point) permet à Callenbach de critiquer le monde actuel : « Notre système oscille paisiblement, alors que le vôtre est sans cesse saisi de convulsions ».
Michel Serres, dans son essai Le Contrat naturel, défend l'idée selon laquelle les hommes puissants de la planète devraient signer un contrat naturel avec le monde pour vivre en symbiose avec lui.
« Retour donc à la nature ! Cela signifie : au contrat exclusivement social ajouter la passation d'un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l'écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect, où la connaissance ne supposerait plus la propriété ni l'action la maîtrise, ni celle-ci leurs résultats ou conditions stercoraires. Contrat de d'armistice dans la guerre objective, contrat de symbiose : le symbiote admet le droit de l'hôte, alors que le parasite - notre statut actuel condamne à mort celui qu'il pille et qu'il habite sans prendre conscience qu'à terme il se condamne lui-même à disparaître. »
Michel Serres
Le Contrat naturel
© Le Pommier, 1990
Michel Serres intime les hommes à revenir exclusivement à la nature et à être respectueux de l'environnement pour sauver le monde. Il utilise pour cela la phrase exclamative : « Retour donc à la nature ! ». Il imagine alors un « contrat » (mot répété à quatre reprises dans cet extrait), c'est-à-dire un rapport de réciprocité entre l'homme et la nature, et emploie la métaphore de la « symbiose » (association biologique de deux organismes vivants). C'est ce qui permettrait à l'homme d'agir sur la nature sans pour autant la polluer, comme l'indique l'adjectif « stercoraires ».
Dans son œuvre L'Éthique de la terre, Aldo Leopold s'interroge sur le rôle que doit tenir l'homme en ce qui concerne l'environnement et propose de mettre en place une véritable éthique de la terre.
Éthique
L'éthique est un concept philosophique et moral qui régit des valeurs et des règles de conduite de la société dans laquelle on vit. En d'autres termes, l'éthique suppose une réflexion sur des conditions de vie et des valeurs à appliquer au sein d'une société.
« L'éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l'eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre. Cela paraît simple : ne chantons-nous pas déjà l'amour et les devoirs qui nous lient à notre sol patriotique, terre de liberté ? Oui, mais qui et quoi au juste aimons-nous ?
Certainement pas le sol, que nous envoyons à vau-l'eau, au fil des fleuves. Certainement pas ces fleuves eux-mêmes, dont nous pensons qu'ils n'ont d'autre fonction que de faire tourner nos turbines, porter nos péniches et charrier nos déchets. Certainement pas les plantes, que nous exterminons sans ciller par communautés entières. Certainement pas les animaux, dont nous avons déjà exterminé bien des espèces, parmi les plus grandes et les plus belles. Une éthique de la terre ne saurait bien entendu prévenir l'altération ni l'exploitation de ces « ressources », mais elle firme leur droit à continuer d'exister et, par endroits du moins, à continuer d'exister dans un état naturel.
En bref, une éthique de la terre fait passer l'Homo sapiens du rôle de conquérant de la communauté-terre à celui de membre et citoyen parmi d'autres de cette communauté. Elle implique le respect des autres membres, et aussi le respect de la communauté en tant que telle. »
Aldo Leopold
Almanach d'un comté des sables
1949
Dans cet extrait, Leopold invite à repenser le rôle de l'homme face à la nature. L'être humain doit devenir un « membre et citoyen parmi d'autres » de la communauté-terre. C'est la raison pour laquelle il demande l'application d'un principe de respect vis-à-vis de la planète. Il utilise une argumentation bien ficelée et commence par poser des questions rhétoriques qui ont pour but d'inviter le lecteur à la réflexion. Puis il emploie la répétition de la négative « certainement pas » pour mettre en avant les méfaits de l'homme contre la terre et les engager à changer de manière d'agir.