Dans chacun des extraits suivants, pourquoi peut-on parler de double énonciation et que permet-elle ?
SCAPIN :
Cachez-vous : voici un spadassin qui vous cherche. (En contrefaisant sa voix) "Quoi ? Jé n'aurai pas l'abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu'un par charité né m'enseignera pas où il est ?" (à Géronte avec sa voix ordinaire) Ne branlez pas. (Reprenant son ton contrefait) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre," (à Géronte avec son ton naturel) Ne vous montrez pas. (Tout le langage gascon est supposé de celui qu'il contrefait, et le reste de lui) "Oh, l'homme au sac !" Monsieur. "Jé té vaille un louis, et m'enseigne où put être Géronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! Jé lé cherche." Et pour quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ?" Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n'est pas un homme à être traité de la sorte. "Qui, cé fat dé Geronte, cé maraut, cé velître ?" Le seigneur Géronte, Monsieur, n'est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon. "Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?" Je défends, comme je dois, un homme d'honneur qu'on offense. "Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ?" Oui, Monsieur, j'en suis. "Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac) "Tiens. Boilà cé qué jé té vaille pour lui." Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! Tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! "Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon ! Ah !
En se plaignant et remuant le dos, comme s'il avait reçu les coups de bâton.
(Molière, Les Fourberies de Scapin)
TARTUFFE (apercevant Dorine) :
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine.
Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j'ai partager les deniers.
DORINE :
Que d'affectation et de forfanterie !
TARTUFFE :
Que voulez-vous ?
DORINE :
Vous dire.
TARTUFFE (Il tire un mouchoir de sa poche) :
Ah ! mon Dieu, je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.
DORINE :
Comment ?
TARTUFFE :
Couvrez ce sein que je ne saurais voir :
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
(Molière, Tartuffe)
AGAMEMNON :
Tu es un heureux vieillard : traverser les jours
En refusant la gloire, en vivant calmement,
C'est ce destin que j'aime et non pas les honneurs.
LE VIEILLARD :
C'est pourtant le succès qui rend la vie splendide.
AGAMEMNON :
C'est la même splendeur qui se montre nocive :
La grandeur est flatteuse et distille un poison
Qui nous mine aussitôt que nous l'avons goûté.
Il suffit d'une faute et voilà notre vie
Ruinée à tout jamais. Ou bien ce sont les hommes !
Ils vivent du mensonge et rien ne les contente :
Ils nous nuisent !
LE VIEILLARD :
Ces mots sont indignes d'un chef.
Ô roi, tu n'es pas né pour une joie constante ;
Tu te dois d'accepter à la fois le bonheur
Et la douleur. Tu n'es qu'un mortel, et les Dieux
Font comme bon leur semble, et toi, tu n'y peux rien.
(Euripide, Iphigénie à Aulis)
CAMILLE (cachée, à part) :
Que veut dire cela ? Il la fait asseoir près de lui ? Me demande-t-il un rendez-vous pour y venir causer avec une autre ? Je suis curieuse de savoir ce qu'il lui dit.
PERDICAN (à haute voix, de manière que Camille l'entende) :
Je t'aime, Rosette ! toi seule au monde tu n'as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n'est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton cœur, chère enfant ; voilà le gage de notre amour.
(Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour)
LISETTE (à part.) :
Tant d'abaissement n'est pas naturel ! (Haut.)
D'où vient me dites-vous cela ?
ARLEQUIN :
Eh ! voilà où gît le lièvre.
LISETTE :
Mais encore ? vous m'inquiétez. Est-ce que vous n'êtes pas ?…
ARLEQUIN :
Aïe ! aïe ! vous m'ôtez ma couverture.
LISETTE :
Sachons de quoi il s'agit.
ARLEQUIN (à part.) :
Préparons un peu cette affaire-là… (Haut.) Madame, votre amour est-il d'une constitution bien robuste ? Soutiendra-t-il bien la fatigue que je vais lui donner ? Un mauvais gîte lui fait-il peur ? Je vais le loger petitement.
LISETTE :
Ah ! tirez-moi d'inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?
ARLEQUIN :
Je suis… N'avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savez-vous ce que c'est qu'un louis d'or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.
(Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard)