Sommaire
IDifférents types de réécrituresIIQuelques sources célèbresALes sources antiquesBLes mythes modernesCLes contesIIIRegards sur les réécrituresDifférents types de réécritures
La réécriture est une pratique littéraire très répandue. Elle peut prendre différentes formes.
Dans ses Essais, Montaigne insère de nombreuses citations d'auteurs grecs et latins. On retiendra en particulier la sentence "Etiam innocentes cogit mentiri dolor" ("La souffrance force à mentir même les innocents") de Publius Syrus, que Montaigne cite dans son chapitre "De la conscience".
Dans La Peste, Albert Camus a inséré une épigraphe en début de roman : "Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d'emprisonnement par une autre que de représenter n'importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n'existe pas".
Il s'agit d'une phrase de Daniel Defoe (extraite de son roman Robinson Crusoé), qui signifie qu'il y a toujours plusieurs interprétations possibles pour une même chose. Camus invite ici le lecteur à penser le titre de son roman comme quelque chose de symbolique. La peste peut en effet être la maladie, mais également l'occupation allemande de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, et enfin la condition humaine marquée par la mort.
Dans le sonnet XVI des Amours, Pierre de Ronsard fait allusion au personnage d'Ajax, un héros de l'Iliade d'Homère. Alors que le héros vient d'être tué en combat singulier par Achille, il sort du sang répandu de ce dernier une fleur qui porte les initiales de son nom.
Dans "Chapelain décoiffé", Jean Racine, Nicolas Boileau et Antoine Furetière s'allient pour pasticher une tirade célèbre du Cid de Corneille, celle où Don Diègue commence par les paroles "Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! " et qui devient dans un pastiche "Ô rage ! ô désespoir ! ô Perruque m'amie !"
Dans sa fable "Les Deux Coqs", Jean de La Fontaine parodie le genre de l'épopée, transformant les deux volatiles en deux héros glorieux.
Denis Diderot avait pour projet initial de traduire la Cyclopaedia de l'anglais Chambers. Mais au fil de ses travaux de préparation, cette démarche de traduction s'est changée en celle d'une réécriture plus personnelle du texte. Cette réflexion l'a conduit, finalement, à diriger la rédaction de L'Encyclopédie.
Lorenzaccio de Musset est adapté de la pièce de George Sand intitulée Une conspiration en 1537, elle-même tirée des Chroniques florentines de Benedetto Varchi.
Quelques sources célèbres
Les sources antiques
Les textes antiques sont souvent des sources pour les auteurs qui font des réécritures.
Dans Les Gommes, Alain Robbe-Grillet réécrit le mythe d'Œdipe à la manière d'un roman policier dont la narration est décousue.
Dans La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Jean Giraudoux imagine quelles auraient pu être les négociations des deux camps avant l'ouverture des hostilités.
Dans son roman La Curée, Émile Zola fait allusion à la tragédie Phèdre de Jean Racine. Renée et Maxime assistent à une représentation de Phèdre. Cette tragédie entre en résonance avec le destin de ces personnages.
Dans Herodias, Gustave Flaubert réécrit le mythe de Salomé. Dans le récit biblique, la jeune femme obtient, par sa danse envoûtante, la tête de saint-Jean-Baptiste.
Les mythes modernes
Les mythes connaissent souvent des réécritures, même les mythes plus modernes.
Dans Tartarin de Tarascon, Alphonse Daudet réécrit le mythe de Don Quichotte. Ce personnage naïf et crédule part en Algérie chasser le lion. Il fait la rencontre de nombreux personnages peu scrupuleux qui abusent de sa naïveté, tout comme dans le roman de Cervantès.
Parmi plusieurs auteurs et compositeurs, Molière réécrit le mythe de Don Juan dans une pièce du même nom. Ce personnage, immortalisé par l'espagnol Tirso de Molina, se moque de la morale et abuse de son pouvoir social et de ses dispositions à la séduction, en particulier auprès des femmes.
Dans son roman La Peau de chagrin, Honoré de Balzac réécrit le mythe de Faust, qu'avait déjà exploité le poète allemand Goethe, dans une pièce du même nom. Les deux récits mettent en œuvre un pacte diabolique entre un pauvre jeune homme et le monde des enfers, afin de permettre au jeune homme d'obtenir le cœur de la femme qu'il aime. Mais en définitive, le jeune homme perd son âme et périt.
Le cadre spatio-temporel du roman L'Île du jour d'avant d'Umberto Eco renvoie au mythe de Robinson Crusoé, créé à l'issue de la publication du roman de Daniel Defoe.
Les contes
Les contes sont très souvent des réécritures. Il existe de nombreuses versions d'une même histoire.
En 2006, Joël Pommerat présente au festival d'Avignon une réécriture d'une version populaire du "Petit Chaperon Rouge" proche de celle des frères Grimm : le loup, après avoir dévoré la petite fille et la grand-mère, croise le chemin d'un homme qui lui ouvre le ventre et délivre ses victimes. Par ailleurs la pièce respecte la forme du conte en mettant en scène un personnage narrateur.
Dans sa pièce Belle des eaux jouée pour la première fois en 1990, Bruno Castan reprend le conte "La Belle et la Bête" de Madame Leprince de Beaumont de manière détournée. Les personnages évoluent dans un monde entouré d'eaux sombres où pullulent des anguilles. Par ailleurs, Belle n'a pas deux sœurs mais un frère, une sœur, et une nourrice.
Autre réécriture célèbre du conte de "La Belle et la Bête", l'adaptation cinématographique de Jean Cocteau fut diffusée pour la première fois en 1946, avec Josette Day et Jean Marais. Dans cette adaptation, la magie s'exprime de différentes manières, en particulier par le biais de la musique et des effets spéciaux. Le triple rôle attribué à Jean Marais (le prétendant, la bête et le jeune homme qu'était la bête) donne à la représentation du conte une dimension psychanalytique implicite.
Regards sur les réécritures
Il n'y a point de doute que la plus grande part de l'artifice ne soit contenue en l'imitation : et tout ainsi que ce fut le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus utile de bien imiter, même à ceux dont la langue n'est encore bien copieuse et riche.
Joachim Du Bellay
La Deffence, et illustration de la langue françoyse, Paris, éd. Francis Goyet et Olivier Millet, Champion (2003)
1549
Du Bellay affirme sa conviction qu'une imitation des Anciens est esthétiquement nécessaire à la création littéraire.
J'avais copié mes personnages d'après le plus grand peintre de l'Antiquité, je veux dire d'après Tacite. Et j'étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu'il n'y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m'ait donné l'idée.
Jean Racine
"Seconde préface", Britannicus, Paris, éd. Claude Barbin (1670)
1669
Cette citation montre à quel point Racine se sent redevable à Tacite dans son travail de réécriture de la biographie de Britannicus.
La belle Antiquité fut toujours vénérable,
Mais je ne crus jamais qu'elle fût adorable.
Je vois les Anciens, sans plier les genoux.
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
Et l'on peut comparer, sans craindre d'être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d'Auguste…
Charles Perrault
"Le Siècle de Louis-le-Grand", dans Œuvres choisies de Charles Perrault, texte établi par Collin de Plancy, éd. Peytieux (1826)
1687
Cette citation, probablement à l'origine de la querelle des Anciens et des Modernes, montre la détermination de l'auteur à se détacher des textes antiques, qui, à son sens, ne sont pas les seuls à pouvoir faire preuve de perfection esthétique.
Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé.
Paul Valéry
"Choses tues", Tel quel, Paris, éd. Gallimard, coll. "Folio essais" (n° 292) (1996)
1941
Paul Valéry donne une définition du plagiat. Il le présente comme une répétition sans processus de transformation.
Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l'accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur.
Philippe Sollers
"Écriture et révolution", dans Tel Quel. Théorie d'ensemble, Paris, éd. Le Seuil ; rééd. coll. "Points"
1968
Philippe Sollers prétend l'existence d'hypotextes dans tout processus de création littéraire. Il définit également ce processus comme celui d'une longue maturation de leur lecture.