Sommaire
IPerception et monde extérieurIIPerception et connaissanceAPercevoir n'est pas connaîtreBLes illusions des sensIIIPerception et apprentissageALa perception suppose un apprentissageBLa perception esthétiquePerception et monde extérieur
Il ne faut donc pas se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons.
Maurice Merleau-Ponty
Phénoménologie de la perception, Paris, éd. Gallimard, coll. "Tel" (2005)
1945
Dans cette citation, Merleau-Ponty met en évidence le fait qu'il n'y a de monde que pour un sujet conscient qui le perçoit. La perception est donc ce qui fait exister le monde pour un individu singulier. Il n'est donc pas pertinent de se demander si la perception est objective.
Exister c'est être perçu ou percevoir.
George Berkeley
Principes de la connaissance humaine, (A Treatise Concerning the Principles of Human Knowledge), trad. Charles Renouvier, texte établi par André Lalande et Georges Beaulavon, Paris, éd. Armand Collin (1920)
1710
Si Berkeley affirme qu'exister, c'est être perçu, c'est parce que pour lui les réalités du monde n'existent pas en dehors du fait qu'elles sont perçues par un sujet. Le monde n'existe qu'à travers nos perceptions : nous ne pouvons affirmer qu'il existe indépendamment de ce que nous en percevons.
Perception et connaissance
Percevoir n'est pas connaître
La perception porte nécessairement sur une réalité singulière, tandis que la science consiste dans le fait de connaître l'universel.
Aristote
Seconds analytiques, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1995)
IVe siècle av. J.-C.
Aristote souligne ici la différence entre la connaissance, qui porte toujours sur une réalité universelle, et la perception, qui porte sur des réalités singulières, perçues ici et maintenant. La perception ne peut pas constituer une forme de connaissance, car elle n'est pas universelle : elle n'est pas valable en tout temps et en tout lieu.
Les illusions des sens
Les sens nous trompent souvent. C'est le cas lorsqu'un sujet, regardant un bâton droit à demi plongé dans l'eau, voit ce bâton brisé, ou bien lorsque de loin, un individu voit une tour de forme ronde, alors que lorsqu'il s'en rapproche il se rend compte qu'elle est en réalité carrée. Enfin, le cas des mirages dans le désert, et des autres formes d'hallucinations, montre bien que les sens peuvent nous donner une vision faussée de la réalité.
Perception et apprentissage
La perception suppose un apprentissage
Les chapeaux aperçus de la fenêtre
Descartes, dans les Méditations métaphysiques, nous rapporte l'expérience suivante :
"Si par hasard je regarde d'une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, je ne manque pas de dire que je vois des hommes. Et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ?"
Ce que montre Descartes par cet exemple, c'est le fait que toute perception suppose un acte de l'entendement, c'est-à-dire que toute perception est accompagnée d'un jugement du sujet percevant. Ainsi, lorsque de la fenêtre un individu aperçoit des chapeaux et des manteaux, il en conclut qu'il s'agit d'hommes qui marchent dans la rue.
La perception de la table
Edmund Husserl, dans Idées directrices pour une phénoménologie, propose cette expérience :
Je prends une table. Je regarde la table, je fais le tour de la table, je me positionne de façon différente par rapport à la table. Où que je sois, j'ai toujours la même conscience de la table. Pourtant, j'ai de multiples perceptions de cette table. Mais je sais qu'il s'agit de la même table.
Husserl affirme donc qu'il n'y a pas une seule perception de la table, c'est la table qui est la même pendant toute l'expérience. La raison pour laquelle je sais qu'il n'y a qu'une seule table, c'est parce que l'expérience est définie dans le temps.
Si l'on peut dire que les sens ne trompent pas, ce n'est point parce qu'ils jugent toujours juste mais qu'ils ne jugent point du tout.
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure, (Kritik der reinen Vernunft), trad. A. Tremesaygues et C. Pacaud, Paris, éd. PUF (2012)
1781
Puisque toute perception suppose un acte de l'esprit, et donc une forme de jugement, il ne faut pas dire que les sens nous trompent, mais que notre jugement est erroné. En ce sens, les informations transmises par les sens ne sont ni vraies ni fausses : seuls les jugements sont susceptibles d'être vrais ou faux.
La perception est déjà une fonction de l'entendement.
Alain
Éléments de philosophie, Paris, éd. Gallimard, coll. "Folio essais" (1990)
1916
Pour Alain, la perception est le fruit d'une réflexion, d'un savoir. L'éducation précède la perception des choses.
La perception esthétique
L'art n'est sûrement qu'une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de perception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience.
Henri Bergson
Le Rire : essai sur la signification du comique, Paris, éd. Félix Alcan
1900
Bergson souligne ici la différence entre l'usage ordinaire de la perception, qui est utilitaire et tourné vers l'action, et la perception propre à l'artiste, qui se caractérise par un rapport plus immédiat à la réalité. Ainsi, lorsqu'un individu se trouve face à une œuvre d'art, il doit en un sens réapprendre à percevoir ce que la réalité offre de singulier, et d'inaperçu. Il faut donc apprendre à ne plus regarder le monde en vue d'une action à entreprendre.