Sommaire
ILa connaissance d'autruiIILa relation à AutruiALe besoin de l'autreBL'ambivalence de la relation à l'autreCL'expérience du dialogueIIIAutrui, source de l'obligation moraleLa connaissance d'autrui
Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Blaise Pascal
Pensées, publié dans Revue des deux Mondes
1669
Pascal souligne que lorsque l'on dit aimer une personne, nous n'aimons en réalité pas un moi, une autre conscience, mais seulement un ensemble de qualités, et principalement des qualités physiques. En effet, pour Pascal, il est impossible de saisir le moi d'autrui : tout ce à quoi l'Homme a accès est l'extérieur de l'autre.
Dans les Méditations métaphysiques, Descartes montre qu'il est possible de douter de l'existence d'autrui. Prenant l'exemple d'un homme qui se mettrait à la fenêtre et regarderait les passants marcher dans la rue, il souligne ainsi qu'à proprement parler, la seule chose que pourrait voir cet homme serait des chapeaux et des manteaux qui défilent en bas de son immeuble. Rien ne l'assure donc qu'il s'agit bien là d'autres consciences : cet homme peut aussi bien imaginer qu'il ne s'agit que de mannequins qui défilent. Pour Descartes, l'existence d'autrui est aussi douteuse au même titre que les autres réalités extérieures à mon esprit, c'est-à-dire saisies par l'intermédiaire des sens.
La relation à Autrui
Le besoin de l'autre
L'histoire de Robinson Crusoé illustre bien le besoin qu'a l'Homme de ses semblables pour vivre. En effet, unique rescapé du naufrage de son navire, Robinson Crusoé se retrouve seul sur une île déserte. Or, la première chose qu'il fait est de reconstruire une altérité, en écrivant un journal ainsi qu'en perpétuant les habitudes sociales de l'Angleterre contemporaine (par exemple, le dimanche reste un jour non travaillé et consacré à la Bible). Dans sa version de cette histoire, Michel Tournier insiste tout particulièrement sur cet aspect : le héros, privé d'une altérité, sombre dans la "souille" et voit sa propre personnalité désagrégée (il ne se lave plus, ne se nourrit plus, passe son temps à dormir, etc.). Le livre évoque donc l'impossibilité de rester humain dans un monde où l'altérité n'existe plus : sans autrui, l'Homme perd jusqu'à son identité.
Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, coll. "Pensées"
1946
Pour se connaître et prendre conscience de qui l'on est, autrui est nécessaire. C'est ce que montre Sartre, en insistant sur l'importance de connaître et d'interroger l'image qu'autrui se fait de moi.
Je n'appréhende pas l'autre tout simplement comme mon double. Je ne l'appréhende ni pourvu de ma sphère originale ou d'une sphère pareille à la mienne, ni pourvu de phénomènes spatiaux qui m'appartiennent en tant que liés à l'ici. Mais, à considérer la chose de plus près, c'est son corps qui est constitué d'une manière originelle et est donné dans le mode d'un "hic absolu", centre fonctionnel de son action.
Edmund Husserl
Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, (Der cartesianischen Meditatione), trad. Gabrielle Pfeifer, Emmanuel Levinas, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des textes philosophiques" (1986)
1929
Pour Husserl, l'Homme n'existe pas sans les liens qu'il entretient avec les autres. Ce qui permet à l'Homme de s'associer à autrui, c'est l'analogie qu'il fait entre son corps et le corps de l'autre, qui sont semblables. Cela lui permet de comprendre qu'autrui a une vie psychique intérieure au même titre que la sienne.
L'ambivalence de la relation à l'autre
Autrui est d'abord pour moi l'être pour qui je suis objet.
Jean-Paul Sartre
L'Être et le Néant, Paris, éd. Gallimard, coll. "Bibliothèque des idées"
1943
Dans cette citation, Sartre pointe l'ambiguïté de la relation à l'autre. En effet, si je suis un sujet pour qui les choses du monde sont autant d'objets que je saisis par ma conscience, et qu'autrui est une autre conscience, alors je suis un objet pour autrui. Autrui peut donc faire de moi quelque chose que je ne suis pas, en me donnant une identité qui m'est étrangère.
Pour illustrer cette relation ambiguë à l'autre, Sartre utilise, dans l'Être et le Néant, l'exemple du sentiment de la honte. En effet, le sentiment de honte est toujours honte par rapport à quelqu'un. Ainsi, un geste qui m'apparaît dénué de toute signification sera pour l'autre un geste vulgaire ou maladroit. Prenant conscience qu'autrui me voit alors comme un être maladroit ou vulgaire, j'ai honte de cette image qu'autrui se fait de moi.
Par conséquent, à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c'est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu'un ami est un autre soi-même.
Aristote
Éthique à Nicomaque, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1990), (1re éd. 1959)
IVe siècle av. J.-C.
Pour Aristote, l'ami incarne la figure privilégiée de cette connaissance de soi par l'autre. En effet, l'ami, comme alter ego, est bienveillant à notre égard : il est celui qui, nous connaissant parfaitement, nous aide à mieux nous connaître nous-mêmes.
L'expérience du dialogue
Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le créateur.
Maurice Merleau-Ponty
Phénoménologie de la perception, Paris, éd. Gallimard, coll. "Tel" (2005)
1945
Le dialogue est ce qui permet au sujet de ne pas rester enfermé dans sa subjectivité. En effet, par le dialogue, l'autre peut me communiquer son expérience du monde, et par là même enrichir la mienne. C'est pourquoi Merleau-Ponty affirme que le dialogue est ce qui donne au monde son épaisseur : il me fait accéder à un univers de sens distinct du mien, mais qu'il m'est possible de comprendre.
Autrui, source de l'obligation morale
Vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'Homme qu'elle précède en lui tout usage de la réflexion, et si naturelle que même les bêtes en donnent quelques fois des signes sensibles.
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, éd. GF Flammarion (2016)
1755
La pitié est un sentiment naturel chez l'Homme, qui le pousse à compatir avec la souffrance des autres hommes. Selon Rousseau, cette identification à la souffrance n'est pas limitée aux autres hommes, puisque certains animaux semblent la ressentir aussi.
Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais seulement comme un moyen.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
À travers cet impératif catégorique, Kant souligne qu'autrui est avant tout un sujet dont je dois reconnaître et respecter l'humanité. C'est pourquoi il ne faut jamais traiter l'autre comme un moyen en vue d'une fin. Autrui est, comme moi, un sujet doué de raison et libre : je dois donc le traiter comme une fin, c'est-à-dire comme un sujet d'égale dignité.
Le moi, devant autrui, est infiniment responsable.
Emmanuel Levinas
Éthique et Infini, Paris, éd. Fayard, coll. "Espace intérieur"
1982
Levinas développe une philosophie avant tout éthique, fondée sur la responsabilité de l'Homme envers tous ses semblables. Le sujet n'existe pas sans les autres, et il a un devoir moral, celui de prendre soin d'autrui.