Sommaire
ILes différentes définitions du sujetALes différents sens du sujet dans le langage courantBLe sujet en philosophie1Un être avec une subjectivité et une unité2Un être conscient de lui-même capable de dire « je »IILa question de l'unité du sujet et sa permanence dans le tempsALa remise en question de l'unité du sujet dans le tempsBLe pouvoir unificateur de la mémoire pour assurer la permanence du sujet dans le tempsIIILes éléments influençant le sujet au cours de son existenceAL'importance des circonstances extérieuresBLe rôle de l'inconscientIVLa négation de l'existence du sujetALes risques de la dépossession de soiBLe sujet, une illusion produite par la subjectivité du discoursLa notion de sujet, en philosophie, se distingue du sens du langage courant : elle recouvre la capacité d'un individu à avoir conscience de lui-même et de son identité. Or, s'il y a pour l'homme une évidence du sentiment de son existence, il n'est pas certain que l'on puisse affirmer une toute-puissance du sujet sur ses pensées et ses actes.
Les différentes définitions du sujet
Les différents sens du sujet dans le langage courant
Avant de travailler sur la notion philosophique de sujet, on peut d'abord se demander de quoi on parle lorsque l'on utilise ce terme dans le langage courant.
- Au sens grammatical, le sujet d'une phrase est le terme qui donne son sens à la phrase.
- Au sens de thème, le sujet d'une conversation, d'un tableau ou d'un film est ce dont on parle.
- Au sens politique, le sujet est une personne qui se soumet à une autorité, à une instance supérieure.
Le terme « sujet » est donc utilisé dans le langage commun dès que l'on évoque une substance ou un support : on parle de sujet d'un verbe, de sujet d'un examen, de sujet d'une discussion, etc.
Le mot « sujet » vient du latin subjectum qui signifie « ce qui est dessous ». Dans les textes du Moyen Âge, il ne désigne pas uniquement l'être humain. Le sujet, c'est ce qui est en dessous, le support : c'est ce qui reste d'une chose malgré les changements et qui permet de définir l'identité de cette chose.
Le sujet en philosophie
Un être avec une subjectivité et une unité
En philosophie, le sujet a deux sens précis. Dans la philosophie moderne, il désigne plus précisément ce qui s'oppose à l'objet.
Le sujet suppose l'existence d'une âme ou d'une subjectivité. C'est pour cette raison que l'on distingue le sujet de l'objet, mais aussi de l'animal. On retrouve également cette opposition entre sujet et objet en grammaire.
La subjectivité ne désigne pas ici la manière personnelle de voir les choses, ce qui caractérise une personne en propre et qui la distingue des autres. La subjectivité correspond au fait que l'homme, contrairement aux animaux et aux choses, est conscient de lui-même.
Un être conscient de lui-même capable de dire « je »
Le sujet en philosophie, c'est également la définition d'un être conscient de lui-même capable de dire « je ».
L'homme qui dit « je » est libre et responsable de ses actes, conscient de son existence.
Il est à l'origine et au fondement de ses représentations, de ses actions, de ses jugements et de ses croyances.
C'est la conscience de soi qui permet de dire « je » et d'unifier les différentes représentations de soi. La conscience est la faculté réflexive de l'esprit humain, c'est-à-dire la capacité de faire un retour sur soi-même. Elle permet à l'homme de se prendre lui-même comme objet de pensée.
Conscience
La conscience est la faculté réflexive de l'esprit humain, c'est-à-dire la capacité de « faire retour » sur soi-même. C'est la conscience qui permet à l'homme de se prendre lui-même comme objet de pensée.
Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations.
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure, (Kritik der reinen Vernunft), trad. A. Tremesaygues et C. Pacaud, Paris, éd. PUF
1781
Être sujet, pour Kant, c'est avoir la capacité de dire « je » pour unifier toutes ses représentations.
L'homme est le seul être à posséder une conscience : lui seul, à partir d'un certain âge, a le pouvoir de dire « je ». L'utilisation de ce simple pronom est la concrétisation de la capacité du sujet à se représenter comme un sujet unifié.
Au-delà du fait qu'il est possible pour l'homme de dire « je », il y a une certitude de l'existence du sujet qui peut se saisir comme être pensant. La certitude d'exister comme sujet viendrait de la capacité à se saisir pensant. Descartes met en évidence cette capacité de l'homme à travers l'expérience de pensée du cogito. Recherchant une première certitude, René Descartes en vient à mettre en doute toute chose existante, jusqu'à l'existence du monde extérieur. C'est au cours de ce doute généralisé que Descartes découvre la première certitude : même lorsqu'il va jusqu'à douter de sa propre existence, il sait qu'il est en train de douter.
En effet, quand l'individu doute de son existence, il peut toujours dire « je doute », ce qui prouve qu'il pense et donc qu'il existe. Le cogito cartésien est le raisonnement de Descartes démontrant que la certitude première est celle de la conscience de soi, d'où l'affirmation : « Je pense donc je suis. »
Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-même.
René Descartes
Les Principes de la philosophie, (Principia philosophiae), trad. Claude Picot, Paris, éd. frères Delalain (1885)
1644
La conscience de soi est immédiate : il n'y a pas de médiation entre l'homme et sa conscience.
C'est la conscience qui permet à l'homme de s'affirmer comme sujet qui existe, et plus spécifiquement comme chose pensante. La conscience a la particularité de n'avoir besoin d'aucune médiation pour rendre compte d'elle-même : elle peut être définie comme une relation immédiate à elle-même.
La question de l'unité du sujet et sa permanence dans le temps
La remise en question de l'unité du sujet dans le temps
L'unité du sujet est le plus souvent présupposée. Il serait évident qu'un individu soit toujours la même personne. Pourtant, la question peut se poser de savoir ce qui assure la permanence de l'identité dans le temps.
On peut par exemple se demander si quelqu'un est la même personne à 1 an et à 70 ans : dans ce cas, il faut se demander sur quoi repose l'identité du moi.
Plus généralement, c'est la question de l'identité personnelle et de sa persistance dans le temps qui se pose. Peut-on s'assurer qu'une personne reste toujours la même personne dans le temps ? On ne peut parler de sujet que s'il y a persistance d'un fond qui demeure identique. Or, l'homme connaît dans sa vie beaucoup de changements et sa personne est constituée de multiples pensées, réactions ou goûts.
Le pouvoir unificateur de la mémoire pour assurer la permanence du sujet dans le temps
L'identité de telle personne s'étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée ; c'est le même soi maintenant qu'alors, et le soi qui a exécuté cette action est le même que celui qui, à présent, réfléchit sur elle.
John Locke
Essai sur l'entendement humain, (An Essay Concerning Human Understanding), trad. Pierre Coste, Amsterdam, éd. Pierre Mortier (1735)
1689
Ce qui fait d'un individu une personne, c'est-à-dire un individu qui peut revendiquer une subjectivité, c'est le fait qu'il ait conscience de ses actions passées, ainsi que de lui-même dans le présent. La conscience de soi est donc déterminante pour l'identité du sujet.
La mémoire assure donc la permanence de l'identité d'une personne dans le temps, en participant à la conscience de soi que chaque individu a de lui-même. La mémoire lui permet de s'identifier à ses actions passées comme constitutives de son identité.
Les éléments influençant le sujet au cours de son existence
L'importance des circonstances extérieures
L'individu ne vivant pas seul mais au sein d'une société donnée, il est soumis à un certain nombre de déterminations extérieures qui influencent la construction de son identité.
De ce point de vue, le sujet peut être considéré comme le produit de ces circonstances plutôt que comme principe ou origine de sa conscience. Ainsi, pour Karl Marx, le sujet est un produit de sa « classe » sociale et de ses « conditions matérielles d'existence ».
Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.
Karl Marx
Critique de l'économie politique, (Zur Kritik der politischen Ökonomie), trad. Kostas Papaïoannou, Paris, éd. Allia (2007)
1859
Pour Karl Marx, la conscience individuelle n'est pas transparence de l'individu à lui-même : en ce sens, l'homme n'est pas maître de son existence. Au contraire, ce sont les conditions matérielles de son existence, déterminées par la classe sociale à laquelle il appartient, qui déterminent la conscience qu'il a de sa propre existence.
Tout sujet est donc soumis à des déterminismes majeurs. Il n'est pas entièrement libre de ses pensées ni de ses actions.
Le rôle de l'inconscient
Mais les conditions matérielles d'existence ne sont pas les seuls éléments influençant le sujet sans qu'il en ait conscience.
Au niveau psychologique, de nombreux phénomènes ont lieu sans que l'homme en ait immédiatement connaissance. Ainsi, Freud, inventeur de la psychanalyse, remet en question la conception d'un sujet souverain par le biais du concept d'inconscient.
Inconscient
L'inconscient désigne, pour la psychanalyse, une entité psychique autonome intérieure à chacun et inaccessible à la conscience. Le sujet y refoule des images et des idées qui correspondent à ses pulsions inconscientes et les expriment par ce que Freud appelle les « formations de l'inconscient » (rêves, actes manqués, etc.).
En chaque être humain se déroulent un certain nombre de processus qui ne sont pas accessibles à la conscience et qui relèvent de l'inconscient. Ces processus trouvent souvent leur origine dans l'histoire antérieure de l'individu et ses relations avec les autres, éléments qui sont conservés à son insu. L'inconscient met donc en évidence qu'un grand nombre de processus psychiques échappent à la conscience de l'individu.
Le sujet ne peut donc pas avoir une connaissance transparente ni une véritable maîtrise de lui-même. Arthur Rimbaud souligne lui aussi cette idée.
C'est faux de dire : je pense ; on devrait dire on me pense. Pardon du jeu de mots. Je est un autre.
Arthur Rimbaud
« Lettre de Rimbaud à Georges Izambard - 13 mai 1871 », Œuvres, texte établi par Paul Harmann, Paris, éd. Mercure de France
Puisque le sujet n'est pas maître de ses pensées, il faudrait, au lieu de dire « je pense », dire « ça pense ». Le sujet n'est jamais véritablement ce qu'il pense être.
En dépit du fait que le sujet a conscience de lui-même et de son existence, trop d'éléments participant à l'élaboration de sa pensée lui échappent pour le déclarer souverain.
La négation de l'existence du sujet
Les risques de la dépossession de soi
Penser que le sujet est entièrement transparent à lui-même, c'est-à-dire qu'il aurait conscience de tout ce qui se passe en lui et de toutes les causes qui le font agir, revient à concevoir un individu totalement maître de lui-même.
Or, cette toute-puissance d'un sujet faisant usage de sa raison est largement contredite. En effet, comme on l'a vu, les passions, la folie ou tout simplement la vie en société sont autant de situations dans lesquelles le sujet peut faire l'expérience d'une dépossession de soi ou de son identité.
Le sujet, une illusion produite par la subjectivité du discours
Il n'est pas possible de parler d'un sujet souverain, c'est-à-dire entièrement maître de lui-même, au niveau psychologique.
Mais certains penseurs vont plus loin : ils font entièrement dépendre l'existence du sujet de son expression dans le discours. Ainsi, pour certains linguistes, le sujet existe uniquement parce qu'il y a une « subjectivité du discours » : dire « je » est complètement différent de dire « il ». Le linguiste Émile Benveniste souligne d'ailleurs le fait que le sujet ne peut se construire qu'à travers le langage.
C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet.
Émile Benveniste
Problèmes de linguistique générale, Paris, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines »
1966
C'est par l'usage du langage, qui distingue les personnes (je, tu, il/elle), que l'individu se construit comme sujet, c'est-à-dire comme individu. C'est uniquement l'usage de la première personne qui donne à chacun une conscience de son individualité.
De ce point de vue, le sujet serait donc d'abord un produit du fonctionnement du langage. Si le sujet se construit d'abord grâce au fonctionnement de la langue, il n'y a qu'un pas qui conduit à affirmer qu'il n'est « que » le produit du langage. En un sens, c'est ce que tente de montrer Friedrich Nietzsche. Pour lui, la souveraineté du sujet n'est qu'une illusion.
Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit justement l'antique et fameux « je », voilà, pour nous exprimer avec modération, une simple hypothèse, une assertion, et en tout cas pas une certitude immédiate.
Friedrich Nietzsche
Par-delà le bien et le mal. Prélude d'une philosophie de l'avenir (Jenseits von Gut und Böse - Vorspiel einer Philosophie der Zukunft), trad. Henri Albert, dans Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 10, Paris, éd. Mercure de France (1913)
1886
Nietzsche attaque ici frontalement la conception d'un sujet entièrement transparent à lui-même. Dire que « je pense » est une certitude immédiate qui ne peut être, au mieux, qu'une hypothèse. La cible visée par Friedrich Nietzsche est ici René Descartes et son cogito.
En fait, les sens et la conscience sont les jouets d'un « soi » qui est le maître des pensées et des sentiments du « moi ». Pour lui, comme pour les linguistes, la prééminence du « je » n'est qu'une affaire linguistique. Le sujet ne serait donc qu'une illusion créée par le langage. Au XXe siècle, les penseurs de la logique, Wittgenstein et Russell, ont partagé cette conviction.