Le « je » unificateur des représentations du sujet
Emmanuel Kant
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure
1781
Emmanuel Kant
Anthropologie du point de vue pragmatique
1798
La capacité de l'homme d'unifier toutes ses représentations tient au fait qu'il puisse dire « je ». Cette capacité exprime le pouvoir unificateur de la conscience.
L'homme est donc le seul être à posséder une conscience : lui seul, à partir d'un certain âge, a le pouvoir de dire « je ». L'utilisation de ce simple pronom est la concrétisation de la capacité du sujet à se représenter comme un sujet unifié.
Être sujet, pour Kant, c'est avoir la capacité d'unifier toutes ses représentations.
Avant de dire Je, l'enfant avait simplement le sentiment de lui-même ; désormais, il en a la pensée.
Emmanuel Kant
Anthropologie d'un point de vue pragmatique, (Anthropologie in pragmatischer hinsicht), trad. Alain Renaut, Paris, éd. Flammarion (1993)
1798
La distinction entre le « Moi empirique » et le « Moi transcendantal »
Emmanuel Kant
Emmanuel Kant
« Rêves d'un visionnaire expliqués par les rêves de la métaphysique »
1766
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure
1781
Le « Moi empirique » est ce qui nous apparaît de ce que nous appelons notre personnalité : ainsi, le caractère, que nous pouvons connaître par des signes (émotions, etc.). Le « Moi transcendantal » correspond, dans la philosophie de Kant, au « cogito » (« je pense ») de Descartes, avec cette différence qu'il n'est pas connaissable, n'étant objet d'expérience en aucune manière.
Le terme « noumène » est créé par Kant. Il le transcrit directement du noumênon utilisé par Platon pour parler des idées. Dans la philosophie kantienne, le « noumène » s'oppose au « phénomène » :
- Le phénomène est ce qui peut être expérimenté sensiblement.
- Le noumène est ce qui ne relève pas de l'expérience physique et concrète.
L'arbre est un phénomène, on peut en faire l'expérience physiquement, le toucher, le sentir.
La justice n'est pas un phénomène, on ne peut pas la toucher, la sentir, c'est une idée abstraite.
Kant associe le noumène à quelque chose de négatif. En effet, dans Critique de la raison pure, il précise que les noumènes ne pourraient être l'objet que d'une « intuition intellectuelle » qui n'appartient pas à l'homme, limité à ses sens, à l'espace et au temps.
Kant rejette l'idée platonicienne selon laquelle l'homme peut avoir un contact direct et intuitif avec le « monde des Idées » ou « monde intelligible ». Les noumènes sont les choses telles qu'elles sont en soi, et restent impossibles à connaître pour l'homme. La faculté de l'homme de connaître est limitée aux phénomènes, soit ce qui est donné dans l'espace et dans le temps à l'« intuition sensible » constituée par nos sensations et perceptions.
Kant affirme que le sujet est un noumène, c'est-à-dire qu'il est impossible à connaître pour lui-même, ce qui entraîne l'effondrement du « cogito » au sens de Descartes. Pour Kant, le sujet pense, mais il ne sait pas ce qu'il est.
Kant oppose le sujet en tant que noumène au sujet sensible, empirique :
- Le sujet en tant que noumène est impossible à saisir. C'est le « Moi transcendantal ».
- Le sujet empirique est changeant, multiple, lié à la perception qu'il a des phénomènes constituant le monde extérieur, ainsi qu'à la sensation de ses propres états internes. Il est donc, bien que « concret », difficile à cerner. C'est le « Moi empirique ».
Kant oppose le caractère sensible de l'homme, c'est-à-dire sa psychologie, son comportement, à son caractère nouménal, c'est-à-dire ce qui est insaisissable en lui, le caractère libre et intemporel de ce que nous appelons l'âme.
Le sujet a donc deux caractères :
- Le caractère empirique qui est susceptible d'être connu par les autres, et en ce sens est, au sens large, phénomène.
- Le caractère transcendantal qui n'est que pensée, que noumène. Par exemple, dans le domaine moral, chacun est susceptible d'une intention profonde, bonne ou mauvaise, du bien ou du mal, par ce que Kant appelle le « choix d'un caractère intelligible ». Ce choix relève du libre arbitre qui traduit en termes de valeur morale la liberté du sujet.
Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, car autrement serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation serait impossible, ou que, du moins, elle ne serait rien pour moi.
Dans le dernier cas, la représentation serait de l'inconscient, au sens contemporain, l'inconscient pouvant exister sans sujet qui le gouverne, ce qui n'est pas le cas de la conscience (où le sujet « doit » accompagner les représentations, qu'il fait ainsi siennes, ou conscientes).
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure, (Kritik der reinen Vernunft), trad. A. Tremesaygues et C. Pacaud, Paris, éd. PUF
1781
Kant définit ici le sujet transcendantal, le sujet comme pensée, comme noumène. Le « Moi empirique » est celui qui pense toutes ses représentations, c'est un Moi construit qui est perçu dans le monde.
Cette « pensée de ses propres représentations » est ce que nous appelons pensée tout court. La pensée peut être concept, perception, image, etc., et le Moi se construit à mesure qu'il construit sa représentation du monde, allant en particulier du « concret » (le phénomène de Kant) à l'abstrait (le noumène, dont Kant écrit qu'il est pensé, mais non connu).
Le « sujet transcendantal » n'est donc jamais représenté : il est celui pour lequel les représentations existent. Le « Moi empirique », au contraire, est représenté pour lui-même, comme sujet, ainsi que pour les autres, à partir de ce phénomène que constitue notre corps, et auquel les autres nous associent.
Le cogito
René Descartes
René Descartes
Méditations métaphysiques
1641
René Descartes
Discours de la méthode
1637
René Descartes
Principes de la philosophie
1644
Descartes met en évidence la capacité de l'homme à se saisir comme être pensant à travers l'expérience de pensée du cogito. Recherchant une première certitude, Descartes en vient à mettre en doute toute chose existante, jusqu'au monde extérieur lui-même. C'est au cours de ce doute généralisé que Descartes découvre la première certitude : même lorsqu'il va jusqu'à douter de sa propre existence, il sait qu'il est en train de douter. C'est donc le signe de sa pensée qui l'assure de son existence.
Après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : « Je suis, j'existe », est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.
René Descartes
Méditations métaphysiques, dans Œuvres de Descartes, texte établi par Victor Cousin, éd. Levrault (1824)
1641
C'est la conscience qui me fait découvrir que j'existe, et, plus spécifiquement, que j'existe comme chose pensante d'abord. Cette connaissance doit servir de fondement et de modèle pour toute forme de connaissance.
L'identité chez Locke
John Locke
John Locke
Essai sur l'entendement humain
1689
Locke souligne l'importance du rôle de la mémoire dans le fonctionnement de la conscience de soi : c'est elle qui permet de relier les événements passés au présent.
Ce qui fait d'un individu une personne, c'est-à-dire un individu qui peut revendiquer une subjectivité, c'est le fait qu'il ait conscience de ses actions passées, ainsi que de lui-même dans le présent. La conscience de soi est donc déterminante pour l'identité.
L'identité de telle personne s'étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée ; c'est le même soi maintenant qu'alors, et le soi qui a exécuté cette action est le même que celui qui, à présent, réfléchit sur elle.
John Locke
Essai sur l'entendement humain, (An Essay Concerning Human Understanding), trad. Pierre Coste, Amsterdam, éd. Pierre Mortier (1735)
1689
On peut dire du sujet qu'il est le même dans la mesure où il est capable de se penser comme l'auteur de toutes ses actions passées.
La détermination de la conscience par les conditions matérielles d'existence
Karl Marx
Karl Marx
Critique de l'économie politique
1859
Pour Marx, le sujet peut être considéré comme produit des circonstances de la vie sociale plutôt que comme principe ou origine de sa conscience. Ainsi, le sujet est un produit de sa « classe » sociale et de ses « conditions matérielles d'existence ».
Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.
Karl Marx
Critique de l'économie politique, (Zur Kritik der politischen Ökonomie), trad. Kostas Papaïoannou, Paris, éd. Allia (2007)
1859
Pour Marx, l'homme est déterminé par ses conditions matérielles d'existence. Cela a pour conséquence que ce sont elles qui façonnent la conscience qu'il a de lui-même.
L'illusion de l'existence du sujet
Pour Nietzsche, la souveraineté du sujet n'est qu'une illusion. En fait, les sens et la conscience sont les jouets d'un « soi », qui est le maître des pensées et des sentiments du Moi. Pour lui, comme pour les linguistes, la prééminence du « je » n'est qu'une affaire linguistique. Le sujet est donc une illusion créée par le langage.
Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit justement l'antique et fameux « je », voilà, pour nous exprimer avec modération, une simple hypothèse, une assertion, et en tous cas pas une certitude immédiate.
Friedrich Nietzsche
Par-delà le bien et le mal. Prélude d'une philosophie de l'avenir (Jenseits von Gut und Böse - Vorspiel einer Philosophie der Zukunft), trad. Henri Albert, dans Oeuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 10, Paris, éd. Mercure de France (1913)
1886
Nietzsche veut dire que si l'on peut affirmer qu'en nous quelque chose pense, il semble impossible d'affirmer qu'il s'agit d'un sujet souverain. Quelque chose pense, mais on ne peut définir ce quelque chose.