Sommaire
IDéfinir le devoirALa notion de devoirBLa diversité des sources du devoirIIRespecter le devoir moralAL'usage de la raisonBLe devoir moral comme impératif chez Kant1Agir avec bonne volonté2L'impératif hypothétique et l'impératif catégorique de Kant3Les trois formulations de l'impératif catégoriqueCLa critique de la morale kantienne1L'importance du résultat dans le respect du devoir moral2Les autres raisons de respecter le devoir moralIIILe devoir moral permet la liberté et le bonheurAAgir selon le devoir moral permet de lutter contre la banalité du malBLe devoir libère des déterminismesCLe devoir moral mène au bonheur1Le devoir doit viser le bonheur2Agir moralement est source de bonheurDéfinir le devoir
La notion de devoir
ll faut distinguer la notion, morale, de devoir, de celle, juridique, d'obligation, les deux s'opposant à la simple contrainte (contrainte physique par la maladie par exemple, ou contrainte sociale exercée par la police ou le juge). Etre contraint, c'est ne pas avoir le choix de faire une action : la contrainte s'impose à la volonté de l'extérieur. À l'inverse, dans l'obligation, l'accomplissement de l'acte est libre : il relève de la volonté de l'individu. Un sujet peut donc décider de ne pas se soumettre à une obligation.
C'est pourquoi le droit distingue des obligations « parfaites » (c'est-à-dire assorties de contraintes, de sanctions : un homme doit payer ses impôts, sinon il est puni par la loi) et « imparfaites » (non garanties par la loi, ou prescrites : une dette peut s'éteindre si elle n'est pas réclamée).
Par analogie, Kant appelle « devoir imparfait » le devoir qui est seulement moral (veiller au bonheur des autres) et « devoir parfait » le devoir qui est seulement juridique (payer ses dettes déclarées). Juridiquement, nos devoirs sont le corrélat du droit des autres. Moralement, ils nous « obligent » seuls.
Ainsi, mentir est « interdit » en morale comme en droit, mais, dans le cas du droit, « ne pas faire de fausses promesses » sera garanti par la signature d'un contrat », d'où l'expression « obligation parfaite ».
La diversité des sources du devoir
Le devoir a plusieurs sources.
- Son origine peut être divine : le devoir viendrait de commandements divins. C'est le cas des dix commandements, un ensemble d'instructions morales et religieuses donné par Dieu à Moïse selon la Bible.
- Il peut également avoir une origine naturelle : la morale serait une intuition naturelle de l'homme, un "instinct divin" comme le dit Jean-Jacques Rousseau.
- Le devoir a également une origine rationnelle : selon Kant, le devoir moral viendrait d'une réflexion consciente et rationnelle.
- Enfin, il peut avoir une origine sociale : le devoir moral ne viendrait que des impératifs sociaux que l'on suit en raison de son besoin d'appartenance ou de la peur du regard d'autrui. Cela correspond à la morale close théorisée par Henri Bergson, qui est une morale d'obligation.
En philosophie, on étudie surtout la question du devoir lorsqu'elle est liée à celle de la morale, lorsque c'est une règle que je m'impose : on parle ainsi de devoir moral.
Respecter le devoir moral
L'usage de la raison
Pour Kant, il suffit à l'homme de faire usage de sa raison pour connaître ce qu'il doit faire.
Il n'a donc pas besoin de se référer à une instance extérieure à lui : il ne reçoit pas les règles morales de quelqu'un d'autre.
Kant propose une morale qui repose entièrement sur la raison, que chaque homme possède. Le devoir moral est à chercher à l'intérieur de soi. Or, puisque chaque homme peut trouver en lui ce qu'il doit faire, le devoir n'est pas relatif : il ne varie pas selon les individus et leurs préférences. Il est universel.
On parle de morale déontologique pour désigner cette vision du devoir moral fondé sur la raison. Kant rejette les morales de l'autorité et valorise l'autonomie de l'homme, le fait de se donner sa propre loi grâce à sa raison.
Déontologie
Le mot "déontologie" vient des termes grecs déon, "le devoir", et logos, "le discours". La déontologie est donc le discours sur le devoir. Au sens courant, la déontologie désigne les règles morales qui régissent une profession déterminée.
Les médecins, lorsqu'ils commencent à exercer, prêtent le serment d'Hippocrate, c'est-à-dire qu'ils s'engagent à respecter un certain nombre de règles dans l'exercice de leur profession.
Les morales d'autorité que Kant rejette dans sa définition du devoir moral correspondent aux morales dans lesquelles l'individu trouve la règle de son action à l'extérieur de lui-même : dans les commandements divins, les règles sociales, ou bien encore dans la nature. Pour Kant, c'est bien la raison et uniquement elle qui permet de respecter le devoir moral.
Morales d'autorité
Les morales d'autorité correspondent aux morales dans lesquelles l'individu trouve la règle de son action à l'extérieur de lui-même : dans les commandements divins ou les règles sociales.
Elles s'adressent toutefois, comme la morale du devoir, à l'individu rationnel et ne tirent pas leur principe de la nature (corps ou sentiment). Par contre, l'individu n'y est pas, au sens de Kant, autonome, puisqu'il ne décide pas par lui-même avec sa seule raison, mais qu'une autorité extérieure décide pour lui
Le devoir moral comme impératif chez Kant
Agir avec bonne volonté
Puisque l'individu doit trouver en lui la règle de son action, le caractère moral d'une action dépend entièrement de la volonté de l'individu d'agir moralement. Pour Kant, ce n'est donc pas l'action qui est morale, mais l'intention : c'est elle qu'il faut évaluer pour savoir si une personne a agi moralement.
Kant souligne néanmoins que l'intention qui définit l'action accomplie réellement par devoir doit s'accompagner, pour être morale, de tous les moyens dont nous disposons pour l'accomplir
Par exemple, si deux personnes accomplissent la même action, seule l'intention qui a présidé à la réalisation de l'action permet de déterminer s'il s'agit d'une action bonne. Ainsi, si deux personnes font un don, l'une par charité, l'autre pour soigner sa réputation, alors seule la première a réalisé une action morale.
Ce ne sont donc ni les conséquences ni les effets de l'action qui comptent. Kant souligne qu'il faut interroger la volonté pour savoir si une action est morale.
Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce n'est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c'est seulement le vouloir.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Kant souligne ici qu'il faut interroger la volonté pour savoir si une action est morale.
Ainsi, pour être moralement bonne, l'action doit être réalisée par devoir. Elle s'oppose alors à l'action réalisée conformément au devoir, c'est-à-dire qui n'aurait que l'apparence du devoir.
Aussi, pour qu'une action soit bonne moralement, c'est-à-dire pour qu'elle soit faite par devoir, il faut que la raison nous dicte cette action et non la sensibilité ou les désirs. C'est en cherchant en lui-même, à l'aide de sa raison, que l'homme parvient à formuler ce que Kant appelle des impératifs.
L'impératif hypothétique et l'impératif catégorique de Kant
Tous les impératifs produits par la raison ne sont pas moraux : la raison guide aussi l'action dans un but intéressé. C'est notamment le cas de ce que Kant appelle les impératifs hypothétiques.
Impératif hypothétique
Un impératif hypothétique est un impératif qui ne vaut que sous la condition d'une certaine hypothèse, et prend la forme suivante : "si l'on veut telle [hypothèse], alors il faut tel [impératif]".
Par exemple, "si on veut couper du bois, il faut utiliser une scie" est un impératif hypothétique.
Les impératifs hypothétiques sont fondés sur la raison : ils commandent de choisir le moyen le plus rationnel, le plus adapté, pour parvenir à ses fins. Le critère d'évaluation est un critère pragmatique de réussite et d'efficacité : on évalue les moyens, et non la fin visée.
Kant souligne que ces impératifs ne peuvent constituer le fondement du devoir moral :
- Soit ces impératifs n'ont absolument rien à voir avec la morale. Ainsi, "si l'on veut couper du bois, il faut utiliser une scie".
- Soit ils peuvent viser la réalisation d'une finalité immorale.
- Soit ils réduisent l'action apparemment morale à une action faite par pur intérêt ou par crainte. Par exemple, "si je veux avoir des clients qui reviennent, il faut que je sois honnête" ou "si je ne veux pas me faire punir, il faut que je respecte la loi".
Pour Kant, la morale ne réside pas dans les impératifs hypothétiques, mais dans les impératifs catégoriques.
L'analyse de Kant permet de distinguer entre les impératifs purement techniques (exemple de la scie) qui sont indifférents à la moralité (un empoisonneur obéit également à des règles techniques : choix et dosage du poison, etc..) et ceux qu'il appelle à proprement parler pragmatiques. Dans l'impératif pragmatique, la fin visée est le bonheur, non la moralité. Cependant, comme nous ne savons pas définir les moyens pour obtenir le bonheur, la quête du bonheur n'est pas une quête "technique".
Impératif catégorique
Un impératif catégorique est un impératif qui commande sans aucune condition : il faut faire quelque chose, non pas pour telle ou telle raison, mais parce que c'est un devoir.
Ces impératifs sont universels : ils valent pour tout homme et doivent être plus forts que les désirs des individus.
Mais comment savoir si l'intention qui préside l'action est morale ? À cette question, Kant répond que toute action prétendant à la moralité doit épouser la forme de la loi morale. Autrement dit, l'action est morale lorsqu'elle s'accorde à la loi morale. C'est de cet accord qu'elle tient son caractère universel.
Pour penser la loi morale, Kant procède par analogie avec la nature. Dans la nature, une loi physique, comme celle de la chute des corps, doit valoir pour tous les phénomènes identiques. De la même façon, les raisons qui motivent une action morale doivent pouvoir être généralisées et exprimées sous la forme d'une loi universelle. Le critère nécessaire et suffisant pour juger la moralité d'une action est la possibilité d'universaliser la maxime qui la commande.
Les trois formulations de l'impératif catégorique
Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Cette première formulation de l'impératif catégorique indique comment la raison peut découvrir par elle-même les normes morales qu'elle doit suivre.
Pour savoir si une action est morale, il faut se demander si l'on peut vouloir que chaque homme fasse cette même action. Il s'agit donc d'un test d'universalisation d'une action.
Kant prend l'exemple du mensonge. Est-il possible d'imaginer un monde où chacun ment et où chacun sait que tout le monde ment ? Non, car le mensonge n'est possible que si les autres croient que ce qui est raconté est vrai. Dans un monde où le mensonge est devenu la règle, une telle confiance en la parole d'autrui ne peut plus exister, ce qui rend impossible le mensonge lui-même.
Kant insiste donc sur l'universalité du devoir, qui prend la forme d'une loi. Celle-ci ne peut être qu'universelle car toute exception détruit la loi.
Kant propose une deuxième formulation de la loi morale.
Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
On ne peut pas utiliser les personnes humaines comme de simples moyens en vue d'une fin à atteindre : les êtres humains sont des sujets. Kant nomme cela la dignité de chaque personne : on ne peut réduire la personne au statut d'une chose disponible et échangeable. La dignité de la personne repose sur son autonomie, c'est-à-dire sur sa capacité à poser par elle-même ses propres fins : c'est ce qui fait que l'individu est considéré comme une "fin en soi". En effet, l'être capable de définir des fins (des buts) est lui-même le seul digne d'être aussi une fin par lui-même, aussi bien pour soi que pour les autres. Il faut respecter l'autonomie de chaque individu, qui est fondée sur la raison que possède toute personne. La morale se fonde ainsi sur la raison, non pas parce qu'elle repose sur une raison pragmatique qui procéderait à un calcul, mais parce que la morale est fondée sur le respect de la raison elle-même en chaque individu.
Enfin, Kant propose une troisième formulation de la loi morale.
Agis comme si la volonté de tout être raisonnable était d'établir une législation morale universelle.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Explication : quand un sujet se soumet à la loi morale, il se soumet aux lois qu'il trouve en lui-même (1° formulation) il est autonome et se perçoit comme fin en soi, au même titre que les autres (2° formulation). Il attribue donc nécessairement une volonté semblable à la sienne, orientée par l'autonomie, la dignité morale et le respect réciproque des personnes. C'est ce que Kant appelle le « règne des fins ». Je ne peux imaginer l'autre que comme un être qui est lui-même moral, me respecte à ce titre et concourt avec moi à une même fin. (3° formulation)
Ici, Kant insiste sur le fait que la loi morale est intérieure à l'individu.
L'individu se sent généralement contraint de l'extérieur à une législation morale. Or, Kant montre ici qu'en réalité, l'individu est le législateur : se soumettre à la loi morale, c'est se soumettre à une loi dont l'individu est l'auteur.
Quand un sujet se soumet à la loi morale, il se soumet aux lois qu'il trouve en lui-même et qu'il pourrait exiger de tous les individus - de là le caractère universel de la loi morale.
Les impératifs de Kant
La critique de la morale kantienne
L'importance du résultat dans le respect du devoir moral
Certains penseurs estiment que le raisonnement de Kant est trop abstrait et que le résultat doit primer sur la pensée lorsque l'homme agit.
En effet, la nécessité d'universaliser la maxime de l'action comme Kant l'analyse tend à placer la question éthique au niveau de la généralité, voire de l'abstraction. Il est possible de se demander de quelle façon des principes généraux peuvent permettre de trancher des dilemmes moraux bien concrets : n'a-t-on pas davantage besoin d'une éthique concrète, attentive aux particularités des situations singulières dans lesquelles l'homme doit agir ?
C'est en raison de cette attention portée uniquement sur la forme de l'action morale, et non sur ses résultats, que Hegel critique fortement la morale kantienne. En effet, en soutenant que le devoir doit être accompli pour lui-même, il semblerait que l'on néglige l'importance du résultat.
Ainsi, pour Hegel, la moralité d'une action ne doit pas seulement reposer sur l'intention qui l'a commandée, mais exige une évaluation de ses résultats objectifs. Il s'agit donc pour Hegel de pointer l'inefficacité de ce qu'il nomme "la belle âme" : la bonne conscience qui, refusant de s'engager dans le monde, se renferme sur son intériorité.
Les autres raisons de respecter le devoir moral
D'autres penseurs soulignent que la raison ne suffit pas pour respecter le devoir moral.
Kant énonce que l'action morale ne doit avoir comme origine que l'impulsion du devoir. Or, est-il possible de penser un être humain qui se déterminerait à agir par ce seul motif ? À cela, il est possible d'opposer le rôle du sentiment ou du désir dans le passage à l'action.
Le philosophe anglais John Stuart Mill souligne ainsi qu'il existe une multitude de facteurs qui peuvent nous pousser à agir moralement. Cependant, pour lui, ce n'est pas l'intention qui détermine la moralité de l'action, mais ses conséquences.
Aucun système éthique ne demande que le seul motif de tout ce que nous faisons soit un sentiment de devoir ; bien au contraire, 90 % de toutes nos actions ont leur source dans d'autres motifs et, à juste titre, à condition que la règle du devoir ne les condamne pas. […] Celui qui sauve son semblable de la noyade fait ce qui est moralement juste, que son motif soit le devoir ou l'espoir d'être rétribué pour son geste ; celui qui trahit l'ami qui lui fait confiance est coupable d'un crime, même si son objet était de servir un autre ami vis-à-vis duquel il avait une obligation plus grande.
John Stuart Mill
L'Utilitarisme, (Utilitarianism), trad. Georges Tanesse, Paris, éd. Flammarion, coll. "Champs Classiques" (2008)
1871
Mill souligne que ce qui pousse l'individu à agir, ce n'est pas le sentiment pur du devoir, mais une foule de facteurs, que les utilitaristes se proposent de rassembler sous le terme d'intérêt.
Il est donc possible de dire que si la raison nous permet de savoir quelle est l'action à accomplir, ce qui nous pousse à agir relève davantage de la sphère du désir et des sentiments.
Le devoir moral permet la liberté et le bonheur
Agir selon le devoir moral permet de lutter contre la banalité du mal
Tout d'abord, il est possible de dire que le devoir moral permet de lutter contre la banalité du mal
La "banalité du mal" est une expression utilisée pour la première fois par la philosophe Hannah Arendt, après sa participation au procès d'Adolf Eichmann, un responsable nazi jugé en avril 1961 à Jérusalem. Arendt présente une nouvelle approche du mal, qui choque à l'époque et continue encore de faire polémique.
La "banalité du mal" est un concept philosophique qui pose la possibilité de l'inhumain en chaque homme. Arendt remet donc en cause l'idée du bien et du mal. Surtout, elle stipule que le système totalitaire est nocif et pousse certains hommes à commettre des actes horribles. Mais ces actes ne sont pas perçus comme criminels par les coupables, qui ne savent pas ou ne peuvent pas sentir qu'ils font le mal. Ainsi, Arendt explique que le système totalitaire a réussi à tuer "l'animal politique" en l'homme. Le sujet n'est pas la source même du mal, il est le lieu où se manifeste le mal.
Primo Levi souligne bien que les nazis ne sont pas des monstres, mais des hommes, dans Si c'est un homme, publié en 1947 : "Ils étaient faits de la même étoffe que nous, c'étaient des êtres humains moyens, moyennement intelligents, d'une méchanceté moyenne : sauf exception, ce n'étaient pas des monstres, ils avaient notre visage."
Arendt ne dit pas que la banalité du mal dédouane le criminel, contrairement à ce que certains de ses détracteurs ont dit. De même, elle ne dit pas que tous les hommes sont capables de faire le mal, elle souligne plutôt qu'il y a en chaque homme la possibilité du mal. Respecter le devoir moral, c'est lutter contre cette banalité du mal qui est en chacun, et donc éviter des horreurs. Cela permet donc de vivre dans un monde plus juste.
Le devoir libère des déterminismes
Si le devoir doit s'imposer à l'individu sous la forme d'un impératif catégorique, la morale ne constitue cependant pas une contrainte qui priverait l'individu de sa liberté. Il faut considérer le devoir moral comme une obligation intérieure et non comme une contrainte extérieure : l'individu reste autonome lorsqu'il accomplit son devoir moral car il ne fait que suivre ce que sa propre raison lui indique. La source du devoir moral est en l'individu lui-même et non dans une autorité supérieure.
Ainsi, Kant oppose l'hétéronomie à l'autonomie :
- Lorsqu'il recherche hors de lui la norme de son action, on dit de l'individu qu'il est hétéronome : il se soumet alors à une législation qui lui est extérieure.
- À l'inverse, l'autonomie consiste à se donner à soi-même sa propre loi.
Pour Kant, l'autonomie ne signifie pas que chaque individu possède une morale qu'il choisit en fonction de ses désirs et de ses préférences. L'homme est un être de raison : il doit donc aller à l'encontre de sa sensibilité, se libérer de ses pulsions et désirs premiers, pour agir moralement, c'est-à-dire en conformité avec ce que sa raison lui enseigne. La volonté est donc autonome lorsqu'elle refuse de se laisser entraîner par les désirs ou les lois naturelles.
C'est ce qui fait que le devoir moral est libérateur : il permet au sujet d'échapper aux déterminismes auxquels il est généralement soumis. Le devoir permet à l'activité volontaire de se soustraire à l'emprise de la sensibilité et de se soumettre à une loi qui ne lui est plus étrangère, et qui n'est donc pas acceptée passivement. Agir moralement est donc bien exercer une forme de liberté.
Le devoir moral mène au bonheur
Le devoir doit viser le bonheur
Généralement, bonheur et devoir semblent s'opposer, le devoir devant être réalisé en dépit de toute considération du bonheur de celui qui l'accomplit. Mais n'est-il pas possible de faire du bonheur le but de la morale ?
C'est ce que propose la philosophie utilitariste : selon elle, il faut évaluer la moralité d'une action en fonction de ses conséquences sur le bien-être général. En effet, l'utilitarisme prescrit de toujours accomplir l'acte le plus utile pour le plus grand nombre : c'est le principe d'utilité. L'acte utile est donc celui qui produit le plus de satisfaction possible, pour le plus grand nombre de personnes possible.
La philosophie utilitariste, notamment incarnée par le philosophe anglais Jeremy Bentham, refuse donc de concevoir qu'il existe un bien en soi. Le critère pour évaluer la moralité d'une action est alors clair : si un acte produit de la satisfaction sans causer de tort à personne, alors il est moralement bon.
Cette morale, qui met l'accent sur les conséquences des actes dans la perspective du bonheur le plus grand possible, permet d'introduire une réelle prise en compte des circonstances particulières dans lesquelles l'homme doit agir. Elle permet, d'autre part, de proposer un critère clair et efficace pour trancher certains problèmes moraux.
Agir moralement est source de bonheur
Dans la mesure où le bonheur semble être une aspiration universelle parmi les hommes, la morale ne doit-elle pas rendre l'homme heureux ?
Pour Aristote, le bonheur constitue le "Souverain Bien", c'est-à-dire la fin dernière de toutes les actions humaines. En effet, selon lui, chaque activité poursuit un but : la santé pour la médecine, la victoire pour la stratégie, etc. Aristote se demande donc s'il n'existe pas une chose qui soit la fin dernière de tous nos actes, qui ne soit pas "désirable en vue d'une autre chose" mais uniquement en elle-même. La seule fin de ce genre est le bonheur : même l'honneur, le plaisir ou l'intelligence sont des fins en vue du bonheur. Le bonheur est donc la fin suprême de toutes nos actions.
Le bonheur est quelque chose de parfait et qui se suffit à soi-même, et il est la fin de nos actions.
Aristote
Éthique à Nicomaque, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1990) (1re éd. 1959)
IVe siècle av. J.-C.
Puisque la spécificité de l'homme, son essence, est d'être rationnel, c'est-à-dire doué de raison, alors pour réaliser l'excellence qui lui est propre, il doit tâcher de vivre une vie selon la raison. La sagesse, c'est-à-dire être vertueux, est ce qui peut rendre l'homme heureux.
Pour Aristote, la morale ne doit pas seulement viser le bonheur : c'est vivre selon la raison, c'est-à-dire être vertueux, qui conduit l'homme au bonheur.