Sommaire
ILa liberté humaine et ses limitesADéfinition de la liberté humaineBLes obstacles à l'idée de liberté1Le déterminisme2Le fatalisme3Prendre conscience des déterminismesIILes moyens par lesquels l'homme exerce sa liberté individuelleAL'acte gratuitBLe libre arbitreCL'acte libreIIILes moyens par lesquels l'homme exerce sa liberté en sociétéALa liberté politiqueBLa responsabilitéCL'indépendance et l'autonomie1L'indépendance : la liberté stoïcienne2L'autonomieOn peut d'abord souligner une évidence de la liberté : chacun fait l'expérience de sa propre liberté. Pourtant, il est difficile de définir précisément cette liberté. S'agit-il d'un pur exercice du choix, ou bien de choix réalisés en connaissance de cause ? Par ailleurs, dans de nombreux cas, l'homme se croit libre alors qu'il est déterminé par des causes qu'il ignore : la liberté peut-elle être illusoire ? Enfin, l'homme vivant en collectivité, il est possible de se demander si la liberté n'est pas de fait toujours restreinte par l'existence des lois.
La liberté humaine et ses limites
Définition de la liberté humaine
Étymologiquement, l'homme libre s'oppose au serf, à l'esclave. L'homme libre, c'est celui qui dispose librement de sa personne et de ses biens.
Il faut distinguer différents niveaux pour penser la liberté :
- Le niveau physique : c'est la liberté comprise comme absence de contrainte physique.
- Le niveau moral : c'est la liberté comprise dans un contexte politique et social.
- Le niveau métaphysique : c'est la liberté comme exercice de la volonté et capacité d'être auteur de ses choix.
Souvent, on assimile la liberté à la possibilité de faire tout ce que l'on veut sans limite naturelle ou conventionnelle. Ainsi, être libre signifie ne pas être soumis à une volonté autre, ni à une contrainte extérieure.
L'esclave n'est pas libre, car tout ce qu'il peut faire dépend de la volonté de son maître.
La liberté reposerait alors sur l'idée de ne pas être empêché de faire quelque chose, de ne pas être entravé dans sa liberté de mouvement, dans la réalisation d'une action. C'est ainsi que la définit Thomas Hobbes dans le Léviathan.
D'après le sens propre (et généralement admis) du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, s'agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent de faire, n'est pas empêché de faire celles qu'il a la volonté de faire.
Thomas Hobbes
Léviathan, Paris, éd. Gallimard, Gérard Mairet (2000)
1651
Pour Hobbes, la liberté est donc l'absence d'obstacle à la réalisation de ce que la force et l'intelligence d'un individu peuvent réaliser. Autrement dit, la liberté correspond au fait de ne pas être empêché de faire une chose que l'on a le pouvoir de faire. Pour Hobbes, la liberté n'est que la liberté de mouvement.
Les obstacles à l'idée de liberté
Le déterminisme
Déterminisme
Le déterminisme au sens ordinaire est une conception selon laquelle tout arrive en vertu d'une chaîne de causes et d'effets. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Le plus souvent, le déterminisme désigne ainsi la causalité naturelle, bien résumée par l'adage « les chiens ne font pas des chats ». La reproduction du vivant est en effet la principale manifestation de la nature causale de ce dernier.
Pour la science, le déterminisme repose sur l'affirmation que tous les phénomènes naturels sont régis par des lois "nécessaires", au sens où elles traduisent l'ensemble des contraintes naturelles.
Si l'eau est chauffée à 99,98 °C, elle entre en ébullition. Cette loi est nécessaire : chaque fois que de l'eau est chauffée à 99,98 °C, elle bout.
En toute rigueur, ainsi que le souligne Auguste Comte, l'eau bout du fait que cette loi est "nécessaire" (ou du moins constante dans la nature). La cause proprement dite de l'ébullition de l'eau n'est pas la loi physique, mais le chauffage.
Il faut ainsi distinguer entre cause et loi. Le déterminisme scientifique est ainsi lié à la présence des lois. Il n'a pas nécessairement un caractère causal.
Mais le déterminisme peut aussi être social ou psychologique. Dans ce cas, il s'oppose à la liberté. En effet, si l'homme est soumis au déterminisme, cela veut dire que ses actions ne sont que les effets de causes dont il est le plus souvent inconscient.
- Pour le philosophe Karl Marx, la pensée de chacun est déterminée par les "conditions matérielles d'existence", c'est-à-dire la société dans laquelle il vit.
- Pour Sigmund Freud, la pensée est déterminée par l'inconscient qui résulte par exemple, sous l'effet du refoulement, de troubles connus durant l'enfance.
Si l'on envisage ce type de déterminisme, l'homme n'est donc plus maître de ses pensées et de ses actions : il est moins libre.
Cependant, il ne faut pas en rester au constat de l'existence de ces déterminismes. Au contraire, l'homme doit les connaître afin de les prendre en compte dans son action.
La cure psychanalytique consiste à prendre conscience des déterminismes liés aux pulsions de l'individu, c'est-à-dire à ses instincts, transformés par le refoulement. Ce travail permet une meilleure connaissance de soi, ce qui a pour conséquence une meilleure maîtrise de soi et donc une plus grande liberté.
Ainsi, le déterminisme, s'il restreint la liberté, ne s'y oppose donc pas nécessairement : il lui donne un cadre, par exemple les lois de la nature, et des limites.
Le fatalisme
Un autre courant de pensée qui peut s'opposer à la liberté est le fatalisme.
Fatalisme
Le fatalisme est la croyance selon laquelle tous les événements sont déterminés à l'avance : c'est ce qu'on appelle le "destin".
Croire au destin, c'est croire au fait que tous les événements sont "écrits" à l'avance. On parle ainsi du "grand livre" du destin. C'est une croyance que l'on retrouve en particulier dans l'Antiquité grecque : l'homme ne peut échapper à son destin, malgré tous ses efforts pour changer sa destinée. La liberté n'est alors qu'une illusion, car l'homme est en fait le jouet des dieux.
L'histoire d'Œdipe, dans la tragédie de Sophocle, illustre bien le fatalisme. Alors que l'oracle a prédit à Œdipe qu'il tuerait son père et épouserait sa mère, celui-ci met tout en œuvre pour échapper à son destin. Mais toutes ces tentatives pour changer sa destinée ne font que précipiter la réalisation de la prophétie de l'oracle.
Dans cette perspective, l'existence humaine est tragique. La question que pose cette idée de destin est de savoir si l'homme doit se résigner à tout accepter, et n'avoir aucun pouvoir sur sa vie. Croire au destin, c'est croire au fait que tous les événements sont "écrits" à l'avance. C'est le risque de "l'argument paresseux" attribué à tort aux stoïciens : puisque tout est écrit, il ne sert à rien d'agir.
Prendre conscience des déterminismes
On peut alors penser une autre forme de liberté, consciente des déterminismes et caractérisée par une recherche d'adhésion avec soi-même.
En effet, une fois l'existence des déterminismes mise en évidence, il n'est plus possible pour l'homme de penser que la liberté consiste à faire ce que l'on veut.
C'est ce que souligne le philosophe Baruch Spinoza dans l'Éthique. Il explique que cette idée de la liberté est une illusion : l'homme se croit libre car il ignore les causes qui le déterminent dans ses actions et ses désirs.
Par contre l'homme peut s'efforcer, en fonction de son désir, d'être toujours plus indépendant, de manière à moins subir les causes extérieures.
Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés.
Baruch Spinoza
Éthique, (Ethica), trad. Bernard Pautrat, Paris, éd. Seuil, coll. "Points" (2010)
1677
La conception commune de la liberté selon laquelle l'homme est libre de faire ce qu'il veut est erronée. C'est une conception illusoire de la liberté : elle marque l'ignorance des causes qui déterminent un sujet à agir.
Spinoza illustre cette idée par l'image de la pierre : si une pierre qui tombe avait une conscience, elle se croirait libre de faire cette action. L'homme est comme une pierre qui tombe : il se croit libre uniquement parce qu'il a conscience de son mouvement, sans avoir conscience des causes qui le poussent à suivre un tel mouvement.
C'est pourquoi Spinoza énonce que "l'homme n'est pas un empire dans un empire" : l'homme appartient à la nature et il ne peut pas s'extraire de cet ordre. Néanmoins, pour acquérir une liberté effective, l'homme doit comprendre ce qui détermine un sujet à agir.
Il faut donc connaître à la fois les lois de la nature, qui conditionnent l'action, et les lois de la nature de l'homme, qui conditionnent les raisons qui le poussent à agir de telle ou telle façon.
Les moyens par lesquels l'homme exerce sa liberté individuelle
Même si l'action humaine s'inscrit dans le cadre des lois de la nature, il est possible de distinguer un aspect de l'action humaine qui sort l'homme de cette condition : l'usage de sa raison. Contrairement aux animaux, l'homme possède la capacité de choisir. Il faut donc interroger ce pouvoir de choix comme liberté.
L'acte gratuit
Une première façon de définir la liberté positivement pourrait être de montrer que l'homme a la possibilité d'agir juste parce qu'il le décide.
Contrairement aux animaux dont le comportement semble entièrement dicté par l'instinct, l'homme pourrait agir sans que rien ne l'y pousse. Pouvoir agir sans motivation extérieure serait une preuve de la liberté humaine.
André Gide appelle ce type d'acte un "acte gratuit", c'est-à-dire désintéressé, non pas au sens moral du mot, mais parce que cet acte n'est dicté par aucun intérêt défini et n'a pas de motivation . Alors que l'animal est purement narcissique (il agit selon ses intérêts ou au mieux selon ceux de sa famille, qu'il protège instinctivement), l'homme est capable d'avoir des activités "désintéressées" en tous les sens du mot..
J'ai longtemps pensé que c'est là ce qui distingue l'homme des animaux, une action gratuite. Et comprenez qu'il ne faut pas entendre par là une action qui ne rapporte rien, car sans cela... Non mais gratuit, un acte qui n'est motivé par rien. Comprenez-vous ? Intérêt, passion, rien... L'acte désintéressé ; né de soi ; l'acte aussi sans but ; donc sans maître ; l'acte libre, l'acte autochtone.
André Gide
Le Prométhée mal enchaîné, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche" (1925)
1899
L'acte gratuit serait donc cet acte réalisé dans le seul but de prouver notre liberté.
Dans Les Caves du Vatican de Gide, le personnage principal, Lafcadio, décide pour prouver sa liberté de tuer sans motif un vieillard qu'il rencontre dans un train. En effet, tuer ce parfait inconnu sans raison, allant ainsi à l'encontre du principe moral qui interdit le meurtre, prouverait sa capacité à s'affranchir de toutes les règles qui pèsent sur lui.
Si l'on peut ainsi prouver notre liberté, on peut néanmoins s'interroger sur la valeur d'une telle forme de liberté. Définir la liberté comme possibilité de réaliser un acte gratuit pose d'abord un problème moral : quelle valeur accorder à une liberté qui, pour s'éprouver, transgresse toute forme de règle ?
Mais surtout, une telle définition de la liberté n'est peut-être pas juste. Ce n'est pas parce que l'on ignore les motifs qui poussent un individu à agir que son action est pour autant dénuée de tout motif.
Pour reprendre l'exemple du personnage de Lafcadio dans Les Caves du Vatican (Lafcadio commet un meurtre sans motivation connue de lui, pour se prouver qu'il en est capable) on peut montrer qu'il ignore le motif qui le pousse à agir : la volonté d'agir sans motif.
Le libre arbitre
Pour comprendre la liberté, il faut comprendre que nos choix sont réalisés en fonction de motifs. On parle alors de libre arbitre.
Libre arbitre
Le libre arbitre est la capacité pour un individu de choisir ses actes sans y être contraint par aucune force extérieure.
René Descartes introduit l'idée de degrés de liberté. Il affirme que si la liberté s'éprouve comme choix, plus les motifs qui conduisent à prendre une décision sont grands, plus la liberté elle-même le sera. Autrement dit, plus la volonté sera déterminée à décider une chose plutôt qu'une autre, plus elle exprimera un haut degré de liberté.
Pour Descartes, la liberté d'indifférence est le plus bas degré de la liberté car le choix n'est motivé par aucune raison réfléchie.
Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent.
René Descartes
Méditations métaphysiques, dans Œuvres de Descartes, texte établi par Victor Cousin, éd. Levrault (1824)
1641
Dans ce type de situation, l'usage qu'un individu fait de sa liberté est réduit, car exercer pleinement sa liberté, c'est au contraire faire un choix justifié.
Pour Descartes, le pouvoir de la volonté est un pouvoir infini. En ce sens, il est en théorie possible de choisir de faire l'exact contraire de ce que la raison nous prescrit. Toutefois, si la liberté s'éprouve comme choix, plus les motifs qui conduisent à prendre une décision seront grands, plus la liberté elle-même le sera. Autrement dit, plus la volonté sera déterminée à décider une chose, plus elle exprimera un haut degré de liberté.
Un individu fait un plus grand usage de sa liberté lorsqu'il choisit de faire une action bonne, comme aider une personne âgée à traverser la rue, que lorsqu'il choisit de faire quelque chose au hasard, comme tourner à droite plutôt qu'à gauche au cours d'une promenade.
C'est donc lorsque ses choix sont accompagnés de la connaissance du bien ou de la vérité que l'homme fait un plus grand usage de la liberté.
Ainsi, pour Descartes, grâce au libre arbitre, l'homme est cause première de ses actions.
L'acte libre
Il est possible de dire, avec Henri Bergson, que la liberté comme acte libre est l'adhésion à soi-même. L'homme libre est en accord avec lui-même et sait ce qu'il veut, par opposition à l'homme aliéné qui ne sait pas ce qu'il veut et ne se reconnaît pas dans ses actes.
Pour Bergson, l'acte libre n'est pas nécessairement celui qui est le plus réfléchi, ou dont les motifs sont les plus rationnels. Pour lui, l'acte libre exprime quelque chose de plus profond : la personnalité entière de celui qui agit.
Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'œuvre et l'artiste.
Henri Bergson
Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, éd. Félix Alcan
1889
Ainsi comprise, la liberté est donc cette capacité à exprimer dans un acte toute notre personnalité, c'est-à-dire ce que nous sommes le plus profondément.
La liberté serait donc l'expression du libre arbitre, s'incarnant dans des choix dont le plus emblématique serait l'acte libre, c'est-à-dire l'expression de notre personnalité.
Les moyens par lesquels l'homme exerce sa liberté en société
La liberté politique
Dans la mesure où l'homme vit en société, il importe de se poser la question de l'exercice de sa liberté au milieu de ses semblables.
En effet, si la liberté est la capacité de se déterminer entièrement à agir, cette capacité ne rencontre-t-elle pas comme obstacle la liberté des autres individus ? À première vue, il semble que la loi, qui impose des droits et des devoirs, soit une entrave à la liberté individuelle.
Le proverbe "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres" illustre bien ce problème : pour vivre en société, il faut poser un certain nombre de limites à l'exercice de la liberté. En effet, ce sont les lois qui encadrent et rendent possible la coexistence d'une pluralité de libertés individuelles.
Si l'on considère que la liberté est la possibilité d'agir selon la loi, c'est parce que les lois sont en fait la condition de la liberté collective. Il existe plusieurs explications à ce constat :
Il est logiquement impossible de considérer que la liberté individuelle doit être illimitée : dans le cas où un homme agirait uniquement selon ses désirs, alors il détruirait la liberté individuelle d'autrui. Une liberté infinie annihilerait la liberté.
De plus, la loi assure la sécurité aux hommes car elle limite la liberté de tous : c'est le but du contrat social. La sécurité est la condition de la liberté : comment être libre si l'on ne peut pas sortir de chez soi sans risquer sa vie ?
Hobbes défend cette idée que les lois rendent possible l'exercice de la liberté.
Hors de l'état civil, chacun jouit sans doute d'une liberté entière, mais stérile ; car, s'il a la liberté de faire tout ce qu'il lui plaît, il est en revanche, puisque les autres ont la même liberté, exposé à subir tout ce qu'il leur plaît. Mais, une fois la société civile constituée, chaque citoyen ne conserve qu'autant de liberté qu'il lui en faut pour vivre bien et vivre en paix, de même les autres perdent de leur liberté juste ce qu'il faut pour qu'ils ne soient plus à redouter. Hors de la société civile, chacun a droit sur toutes choses, si bien qu'il ne peut néanmoins jouir d'aucune. Dans une société civile par contre, chacun jouit en toute sécurité d'un droit limité. Hors de la société civile, tout homme peut être dépouillé et tué par n'importe quel autre. Dans une société civile, il ne peut plus l'être que par un seul. Hors de la société civile, nous n'avons pour nous protéger que nos propres forces ; dans une société civile, nous avons celles de tous. Hors de la société civile, personne n'est assuré de jouir des fruits de son industrie ; dans une société civile, tous le sont. On ne trouve enfin hors de la société civile que l'empire des passions, la guerre, la crainte, la pauvreté, la laideur, la solitude, la barbarie, l'ignorance et la férocité ; dans une société civile, on voit, sous l'empire de la raison, régner la paix, la sécurité, l'abondance, la beauté, la sociabilité, la politesse, le savoir et la bienveillance.
Thomas Hobbes
Du citoyen, (De Cive), trad. Philippe Crignon, Paris, éd. GF Flammarion (2010)
1642
En résumé, ce n'est que dans l'état civil que la liberté peut s'exercer, car son usage est réglé, contrairement à l'état de nature, c'est-à-dire l'état pré-social, où chacun, étant libre de faire ce qu'il veut, est en même temps en perpétuel danger de mort violente.
En outre, Hobbes souligne que si les lois définissent un ensemble de choses que nous ne devons pas faire, elles laissent une grande liberté d'action relativement à tout ce sur quoi elles ne statuent pas. D'une part, les lois ne s'intéressent qu'aux actions, les citoyens sont donc libres de penser ce qu'ils veulent. C'est la liberté de conscience. D'autre part, la liberté réside aussi dans le silence de la loi, c'est-à-dire dans les actes auxquels les lois ne s'intéressent pas, non pas absolument parlant, mais dans la mesure où elles font confiance au libre-arbitre et à la responsabilité des individus pour régler des difficultés d'ordre mineur, ou encore les usages relevant de la morale. Ainsi, les conventions non règlementées, ou encore les signes de respect ou de politesse ne relèvent pas de la loi.
Finalement, les lois sont la condition nécessaire à la vie en société, et la liberté de l'homme se trouve renforcée par le cadre fixé par les lois.
La responsabilité
Un autre élément est déterminant pour penser l'exercice de la liberté en communauté : c'est la question de la responsabilité.
En effet, dire que l'homme est libre, même si cette liberté s'exerce dans le cadre d'un État régi par des lois, signifie qu'il est tenu pour responsable de ses actes.
La liberté est donc essentielle pour fonder la responsabilité morale et pénale.
L'existentialisme de Jean-Paul Sartre est probablement la philosophie qui défend la conception de la responsabilité la plus radicale. Pour comprendre cette conception, il faut en premier lieu insister sur le fait que Sartre pense que l'homme est un être indéterminé. Ce qui définit l'homme, c'est d'abord le fait d'exister. Il n'y a donc pas d'autre nature humaine que le fait d'exister et de pouvoir librement choisir sa vie. C'est pourquoi l'existence est première par rapport à l'essence, c'est-à-dire à la nature de l'homme, qui n'est que le résultat de ce qu'il fait de sa vie.
L'existence précède l'essence.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, coll. "Pensées"
1946
Ce qui définit l'homme, c'est d'abord le fait d'exister. Il n'y a donc pas d'autre nature humaine que le fait d'exister et de pouvoir librement choisir sa vie. C'est pourquoi l'existence est première par rapport à l'essence, c'est-à-dire à la nature de l'homme, qui n'est que le résultat de ce qu'il fait de sa vie.
La liberté humaine est totale et inaliénable, mais elle comprend des conséquences inévitables, à commencer par la responsabilité. Cette idée de la responsabilité, Sartre l'exprime en disant que l'homme est "condamné à être libre". En effet, c'est parce que sa liberté est entière que l'homme ne peut justifier ses manquements à la morale.
L'homme ne se définit pas par son essence, ni par un inconscient ni par des déterminismes ni par un destin ou une volonté divine, mais uniquement par son existence. Il est donc entièrement libre, puisqu'il est déterminé par ce qu'il fait et non ce qu'il est. C'est pourquoi l'homme est responsable de chacun de ses actes.
Ainsi nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, coll. "Pensées"
1946
L'homme ne se définit pas par son essence, ni par un inconscient ni par des déterminismes ni par un destin ou une volonté divine, mais uniquement par son existence. Il est donc entièrement libre, puisqu'il est déterminé par ce qu'il fait et non ce qu'il est. C'est pourquoi l'homme est responsable de chacun de ses actes.
L'indépendance et l'autonomie
L'indépendance : la liberté stoïcienne
En résumé, la liberté peut s'exercer dans le cadre de la collectivité. On peut toutefois se demander comment un homme qui n'est pas libre dans la société peut exercer sa liberté.
C'est le cas par exemple de l'esclavage. Dans ce type de situation, on peut invoquer la liberté intérieure, ou indépendance.
L'indépendance, que défendent les stoïciens, est l'idée selon laquelle l'homme est libre car ses volontés et représentations ne dépendent que de lui-même. Pour eux, même si le monde est régi par une stricte nécessité, l'homme est libre des représentations qu'il se fait du monde et des jugements qu'il porte sur lui. Pour être heureux, ils préconisent d'ailleurs de modifier ses désirs plutôt que le monde extérieur. L'homme aurait ainsi une entière liberté de penser et de vouloir.
Ainsi, dans Le Manuel, Épictète entend apprendre aux hommes à discerner ce qui dépend d'eux de ce sur quoi ils ne peuvent pas agir. C'est en apprenant à faire cette distinction qu'ils apprendront à être libres, indépendamment des circonstances extérieures.
Si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d'autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d'un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l'âme inquiète, tu t'en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d'autrui ce qui réellement dépend d'autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir.
Épictète
Manuel, trad. Emmanuel Cattin, Paris, GF Flammarion (2015)
Vers 125 ap. J.-C.
Épictète, par ces conseils, entend apprendre aux hommes à discerner ce qui dépend d'eux de ce sur quoi ils ne peuvent pas agir. C'est en apprenant à faire cette distinction qu'ils apprendront à être libres, indépendamment des circonstances extérieures.
Être libre, selon les stoïciens, reviendrait en fait à distinguer ce qui dépend de nous ou non. Se retrouver entravé à cause de quelque chose que l'on reconnaît comme indépendant de notre volonté n'entache en rien notre liberté. La liberté serait donc l'indépendance de l'esprit face au monde extérieur.
La faiblesse de cette conception est qu'elle tend à accentuer la "liberté de penser" au détriment de la "liberté d'agir".
L'autonomie
La solution stoïcienne permet de penser une liberté intérieure indépendante du monde extérieur. Mais cette solution n'est pas entièrement satisfaisante, car elle ne permet pas de penser une coïncidence entre la vie en collectivité et la liberté individuelle.
En effet, les lois ne font-elles pas plus que donner un cadre à la liberté ?
Il faudrait voir que sans loi, il est impossible de parler de liberté, sinon avec le risque de confondre la liberté et la licence, c'est-à-dire la capacité de faire tout ce que l'on veut sans rencontrer de limites. Mais ce terme est péjoratif : il comporte l'idée d'une décadence du point de vue moral.
À l'inverse, si l'on veut comprendre la liberté comme ce qui détermine l'homme et le rend responsable de ce qu'il est et de ce qu'il fait, il faut alors penser la liberté comme respect de la loi que l'on s'est donnée. Cette liberté comme respect de la loi que l'on s'est donnée s'appelle l'autonomie.
Autonomie
L'autonomie, c'est le fait de se donner à soi-même sa propre loi, ou de trouver en soi-même sa propre loi, à l'aide de la raison.
L'autonomie peut se comprendre à deux niveaux :
- Au niveau moral, l'autonomie consiste à respecter la loi morale.
- Au niveau politique, l'autonomie s'exprime dans le fait que chacun participe à l'élaboration des lois. La liberté consiste alors à respecter ces lois décidées ensemble.
Au niveau moral, l'autonomie signifie que l'homme peut par lui-même saisir ce qu'il doit faire : il lui suffit de faire usage de sa raison pour comprendre ce qu'il doit faire. Il n'a pas besoin de se référer à une instance extérieure à lui, il ne reçoit pas les règles de quelqu'un d'autre. Pour Emmanuel Kant, l'homme trouve en lui une idée immédiate de la loi morale grâce à un certain usage de sa raison.
La raison pure est pratique par elle seule et donne à l'homme une loi universelle que nous nommons la loi morale.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Chaque homme peut donc trouver en lui l'énoncé de la loi morale, en faisant usage de sa raison.
Quelle est la loi morale qui doit alors guider l'action ? Kant énonce l'impératif catégorique, un commandement absolu qui doit gouverner chacun de nous. Cet impératif repose sur une logique simple : le sujet doit se demander s'il souhaite que le principe de son action (ou la maxime de son action) devienne une loi universelle. Si et seulement si la réponse est oui, il s'agit d'un acte moral.
Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
Emmanuel Kant
Fondements de la métaphysique des mœurs, (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten), trad. Victor Delbos, Paris, éd. Le Livre de Poche (1993)
1785
Ainsi, la première formulation de la loi morale que propose Kant est donc de toujours se demander si ce qui motive une action pourrait être érigé en règle universelle, valable pour tous les hommes.
L'impératif catégorique indique à l'homme ce qui doit être fait inconditionnellement et sans autre justification. Seules les actions qui suivent ce principe sont morales.
On le voit, c'est en trouvant en lui le principe de son action que l'homme peut être libre : en agissant selon la loi morale que lui dicte sa raison, il s'arrache ainsi à ses penchants naturels et affirme sa liberté.
Mais l'autonomie peut aussi se penser au niveau politique. Elle s'incarne alors dans la démocratie, par le fait que chacun participe à l'élaboration des lois. La liberté consiste alors à respecter ces lois décidées ensemble. Jean-Jacques Rousseau a pensé les termes de cette liberté rendue possible par les lois, grâce au concept de volonté générale.
"Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'avant ?" Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. […] Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.
Jean-Jacques Rousseau
Du contrat social, Paris, éd. GF Flammarion (2011)
La seule forme légitime de l'obéissance à la loi est donc que chaque citoyen en soit en partie l'auteur. Ainsi, se soumettre à la loi d'un pays est en même temps se soumettre à la loi que l'on s'est donnée.
C'est le cœur de la liberté politique : en obéissant à la volonté générale, chaque citoyen n'obéit qu'à lui-même. Cette forme de liberté est supérieure à la liberté naturelle, c'est-à-dire la possibilité de faire tout ce que l'on veut, car elle trouve son origine dans la raison et renforce l'autonomie morale, la responsabilité de l'individu, plutôt que son désir.