Le nécessaire et le contingent
Leibniz
Leibniz
Théodicée
1710
La contingence et la nécessité sont deux notions opposées :
- Est contingent ce qui repose sur des circonstances particulières.
- Est nécessaire un événement qui est déterminé par une série de causes et d'effets scientifiques.
Pour Leibniz, le monde n'aurait pas pu être autrement qu'il est. Cela suppose que tout ce qui est arrivé devait arriver. Croyant, Leibniz assure que Dieu n'a pu choisir que le meilleur des mondes possibles (et non le meilleur des mondes).
Mais Dieu devait également suivre certaines vérités nécessaires, comme les vérités logiques. Il ne pouvait pas faire autrement que 1+1 = 2.
Ainsi, pour Leibniz, le monde suit des lois à la fois contingentes et nécessaires.
Tout, dans son principe, est décidé par Dieu à l'avance, mais cette nécessité affecte différemment les créatures, en sorte qu'il existe une part de contingence, et même de liberté.
Ainsi, que le soleil se lève demain matin est un événement nécessaire. Il repose sur des lois naturelles et scientifiques, cela est et sera toujours vrai.
Par contre, qu'un élève termine son devoir de philosophie en deux heures est un événement contingent. Il repose sur des circonstances particulières : la rapidité d'écriture de l'élève, sa motivation, son inspiration, avoir du papier et un stylo, etc.
Degrés de liberté
Descartes
Descartes
Méditations métaphysiques
1641
Descartes
Principes de philosophie
1644
Pour Descartes, le libre arbitre correspond au pouvoir de la volonté. Ce pouvoir, qui est la capacité d'affirmer ou de nier quelque chose et de poursuivre ou de fuir quelque chose, est un pouvoir infini. En ce sens, il est possible en théorie de faire une chose contraire à ce que nous savons que nous devrions faire.
Mais Descartes distingue des niveaux de liberté : la liberté d'indifférence est pour lui le plus bas degré de liberté. En effet, si la liberté s'éprouve comme choix, plus les motifs qui conduisent à prendre une décision sont grands, plus la liberté elle-même le sera. Donc, plus la volonté sera déterminée à décider une chose, plus elle exprimera un haut degré de liberté.
Par exemple, on fait un plus grand usage de la liberté lorsqu'on choisit de faire une action bonne, comme aider une personne âgée à traverser la rue, plutôt que lorsque l'on choisit de faire quelque chose au hasard, comme tourner à droite plutôt qu'à gauche au cours d'une promenade.
Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent.
René Descartes
Méditations métaphysiques, dans Œuvres de Descartes, texte établi par Victor Cousin, éd. Levrault (1824)
1641
Dans ce type de situation, l'usage que l'on fait de notre liberté est réduit. Car exercer pleinement notre liberté, c'est au contraire faire un choix justifié.
La critique du libre arbitre
Spinoza
Spinoza
Éthique
1677
Spinoza critique la conception de la liberté selon laquelle le pouvoir de choisir de l'homme constitue la liberté. En effet, selon lui, ce n'est pas parce que nous croyons que nous choisissons que nous sommes réellement la cause de nos actions. Cette critique vise donc la notion de libre arbitre, et plus particulièrement la liberté d'indifférence que pense Descartes. Ainsi, ce n'est pas parce que les hommes sont ignorants des causes qui les déterminent à agir qu'ils sont libres.
Spinoza oppose à cette liberté illusoire la vraie liberté, qui est connaissance de la nécessité. Ainsi, être libre passe par une connaissance des causes qui déterminent les hommes à agir.
Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés.
Baruch Spinoza
Éthique, (Ethica), trad. Bernard Pautrat, Paris, éd. Seuil, coll. "Points" (2010)
1677
La conception commune de la liberté selon laquelle l'homme est libre de faire ce qu'il désire est erronée. C'est une conception illusoire de la liberté : elle marque l'ignorance des causes qui déterminent un sujet à agir.
L'acte libre
Bergson
Bergson
Essais sur les données immédiates de la conscience
1889
Pour Bergson, la liberté s'incarne dans l'acte libre. L'acte libre, c'est l'adhésion à soi-même : l'homme libre est celui qui est en accord avec lui-même et sait ce qu'il veut, par opposition à l'homme aliéné qui ne sait pas ce qu'il veut et ne se reconnaît pas dans ses actes.
Mais l'acte libre n'est pas nécessairement celui qui est le plus réfléchi, ou dont les motifs sont les plus rationnels, il exprime quelque chose de plus profond : la personnalité entière de celui qui agit.
Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'œuvre et l'artiste.
Henri Bergson
Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, éd. Félix Alcan
1889
Ainsi comprise, la liberté est donc cette capacité d'exprimer dans un acte toute notre personnalité, c'est-à-dire ce que nous sommes le plus profondément.
La liberté dans le silence de la loi
Hobbes
Hobbes
Léviathan
1651
Pour Hobbes, la liberté ne peut exister que grâce aux lois :
- D'une part, parce que la liberté individuelle ne doit pas être illimitée : dans le cas où un homme agirait uniquement selon ses désirs, alors il détruirait la liberté individuelle d'autrui.
- D'autre part, la loi assure la sécurité, qui est la condition de la liberté : elle supprime le risque de mort violente.
Pourtant, Hobbes souligne que si les lois définissent un ensemble de choses que nous ne devons pas faire, elles laissent une grande liberté d'action relativement à tout ce sur quoi elles ne statuent pas. D'une part, les lois ne s'intéressent qu'aux actions : les citoyens sont donc libres de penser ce qu'ils veulent. C'est la liberté de conscience. D'autre part, la liberté réside aussi dans le silence de la loi, c'est-à-dire dans les actes auxquels les lois ne s'intéressent pas.
Dans le Léviathan, Hobbes prend les exemples suivants : les hommes ont la liberté d'acheter, de vendre et de conclure des contrats entre eux. Ils ont aussi la possibilité de choisir leur lieu de vie ainsi que le métier qu'ils veulent exercer. Enfin, Hobbes souligne qu'ils peuvent librement décider de leur alimentation ou du type d'éducation qu'ils souhaitent donner à leurs enfants.
Étant donné qu'il n'existe pas au monde de république où l'on ait suffisamment établi de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes, il s'ensuit que dans tous les domaines d'activité que les lois ont passé sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant profitable.
Thomas Hobbes
Léviathan, Paris, éd. Gallimard, Gérard Mairet (2000)
1651
Dans un État, toutes les choses sur lesquelles la loi ne statue pas sont laissées à la discrétion des hommes. En ce sens, le silence de la loi laisse un espace de liberté aux citoyens, qui varie selon l'étendue des domaines que prennent en charge les lois.
Liberté et responsabilité
Sartre
Sartre
L'Être et le Néant
1943
Sartre
L'existentialisme est un humanisme
1946
L'existentialisme de Sartre est probablement la philosophie qui défend la conception de la responsabilité la plus radicale. Pour Sartre, l'homme est un être indéterminé : ce qu'il est n'est que le résultat des différents choix qu'il fait tout au long de sa vie. Ainsi, la liberté humaine est totale et inaliénable.
Mais cette liberté totale a une conséquence : l'homme est entièrement responsable de ce qu'il est. Il ne peut donc pas invoquer des causes extérieures qui justifieraient ses actions.
Cette idée de responsabilité, Sartre l'exprime en disant que l'homme est "condamné à être libre". En effet, c'est parce que sa liberté est entière que l'homme ne peut justifier ses manquements à la morale.
Ainsi nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre.
Jean-Paul Sartre
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Éditions Nagel, coll. "Pensées"
1946
L'homme ne se définit pas par son essence, ni par un inconscient, ni par des déterminismes, ni par un destin ou une volonté divine, mais uniquement par son existence. Il est donc entièrement libre, puisqu'il est déterminé par ce qu'il fait et non ce qu'il est. C'est pourquoi l'homme est responsable de chacun de ses actes.
La liberté comme indépendance
Stoïciens
Épictète
Manuel
Vers 125 ap. J.-C.
Sénèque
Lettres à Lucilius
Pour les stoïciens, la liberté doit être comprise comme indépendance. En effet, même si le monde est régi par une stricte nécessité, l'homme est libre des jugements et des représentations qu'il fait sur le monde. Puisque ses volontés et représentations ne dépendent que de lui-même, l'homme a une entière liberté de penser et de vouloir.
Être libre revient donc à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui est hors de notre portée. La liberté est donc l'indépendance de l'esprit face au monde extérieur.
Si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d'autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d'un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l'âme inquiète, tu t'en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d'autrui ce qui réellement dépend d'autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir.
Épictète
Manuel, trad. Emmanuel Cattin, Paris, GF Flammarion (2015)
Vers 125 ap. J.-C.
Épictète, par ces conseils, entend apprendre aux hommes à discerner ce qui dépend d'eux de ce sur quoi ils ne peuvent pas agir. C'est en apprenant à faire cette distinction qu'ils apprendront à être libres, indépendamment des circonstances extérieures.