Sommaire
ILes populations face au conflitAEn 1914, le consentement des populationsBLa mobilisation des espritsCUn contrôle politique accruIIUne mobilisation industrielle, financière et scientifique inéditeAUne mobilisation industrielleBUne mobilisation économiqueCLa science en guerreDUne mutation des sociétés1Des sociétés fracturées2L'évolution de la place des femmesIIILes civils victimes de la guerreALes souffrances de l'arrière1De nombreuses privations2Des populations déplacées3Les souffrances psychologiquesBLes victimes civiles du frontCLe génocide des ArméniensAlors qu'en 1914 les belligérants parient sur une guerre courte, les États se retrouvent à gérer une guerre de 4 ans. Les populations des pays en guerre sont mobilisées, tant à l'arrière qu'au front. Les efforts économiques et industriels sont mis au service du conflit. C'est la première fois que des populations civiles sont ainsi engagées dans une guerre totale, c'est-à-dire une guerre qui touche toutes les ressources disponibles de l'État.
Comment la Première Guerre mondiale implique-t-elle et bouleverse-t-elle la société civile ?
Les populations face au conflit
En 1914, le consentement des populations
Lorsque la guerre est déclarée en 1914, l'idée de défendre la patrie est acceptée par la majorité des populations européennes : il y a donc un consentement de la population qui explique la forte mobilisation.
74 millions de soldats sont mobilisés dans les pays qui entrent en guerre.
L'idée d'une guerre défensive et patriotique domine dans les opinions publiques. Dans les différents pays européens, des partis politiques antagonistes se rassemblent dans ce qui est appelé « l'Union sacrée ».
En France, après l'assassinat de Jean Jaurès, les socialistes se rallient à la guerre aux côtés des partis de droite.
Les élans pacifistes sont vite étouffés, l'opinion publique est favorable à la guerre, et même si les manifestations d'enthousiasme restent rares, on note tout de même des scènes de joie en Allemagne comme en France au moment de la mobilisation.
La mobilisation des esprits
Tout le monde pense que la guerre sera terminée à la fin de l'année 1914. Comme elle se prolonge, les États mettent en place une propagande et une censure efficaces pour maintenir l'élan patriotique.
Les méthodes de propagande et de censure sont :
- fausses nouvelles (notamment au cinéma où des scènes de batailles reconstituées sont proposées) ;
- contrôle du courrier des soldats et de leurs familles pour éviter les « mauvaises nouvelles » ;
- embrigadement des enfants par l'école.
Une carte postale patriotique
© Wikimedia Commons
Cette mobilisation des esprits a pour but d'emporter l'adhésion des populations pour qu'elles continuent de soutenir la guerre. Dans la propagande, on n'hésite pas à souligner la barbarie des armées ennemies, à glorifier les exploits militaires de l'armée du pays et à pousser à la militarisation de la société. Cette culture de guerre renforce la cohésion des sociétés.
Toutefois, dès 1915, lorsque les soldats rentrent du front en permission, leurs récits de la guerre ne sont pas conformes à l'image qu'en donne cette propagande : ils sont épuisés, déprimés et commencent à exprimer leur désaccord avec le prolongement du conflit.
La propagande critique vivement les soldats « embusqués », c'est-à-dire des hommes qui échappent à la mobilisation ou ont des positions qui les protègent. Les soldats, pour éviter de passer pour des lâches, hésitent ainsi longtemps à raconter ce qu'ils vivent réellement.
Un contrôle politique accru
Avant la guerre, des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou la France sont démocratiques. Mais lorsque la guerre commence, les pratiques démocratiques sont bafouées. Un contrôle politique accru des populations est mis en place.
Dans la plupart des pays, les gouvernements se dotent de pouvoirs plus importants pour mener la guerre :
- En Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie, on procède à des modifications du fonctionnement des institutions pour la durée du conflit.
- Le parlement français, ajourné en août 1914, se réunit en session extraordinaire en décembre 1914 pour ratifier les décrets pris en son absence.
Le cabinet de Clemenceau, en 1917 et 1918, gouverne de façon autoritaire et justifie ses actes par l'impératif de gagner la guerre.
« [...]
La seconde [chose], dans les circonstances actuelles, c'est que nous sommes en guerre, c'est qu'il faut faire la guerre, ne penser qu'à la guerre, c'est qu'il faut avoir notre pensée tournée vers la guerre et tout sacrifier aux règles qui nous mettraient d'accord dans l'avenir si nous pouvons réussir à assurer le triomphe de la France.
[...]
Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c'est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. »
Discours de Georges Clemenceau, ministre de la Guerre et président du Conseil, le 8 mars 1918
Le pouvoir militaire va peu à peu prendre le pas sur le pouvoir civil. Chargé théoriquement de la conduite de la guerre, les gouvernements laissent en réalité le contrôle aux états-majors.
Entre août et décembre 1914, le général Joffre est le commandant des forces armées du Nord de la France. Il a une totale autonomie dans la conduite de la guerre, le gouvernement s'étant déplacé à Bordeaux avec son accord.
Toutefois, à partir de 1915, des voix discordantes s'élèvent. Les pacifistes et les antimilitaristes, d'abord engagés dans « l'Union sacrée », se remettent à militer à partir de 1915-1916. Ils publient des journaux pacifistes depuis la Suisse. Les auteurs de ces feuillets pacifistes sont pourchassés et l'influence de ces publications reste minime durant tout le conflit.
L'écrivain français Romain Roland, trop âgé pour être mobilisable, publie le livre Au-dessus de la mêlée en 1915. C'est un grand manifeste pacifiste.
Une mobilisation industrielle, financière et scientifique inédite
Une mobilisation industrielle
La guerre se prolonge, il faut donc produire de nombreuses armes et du matériel pour les armées. Cela demande un énorme effort de production, et donc des ouvriers. Seulement, la plupart des hommes sont à la guerre. Il faut donc trouver une nouvelle main-d'œuvre.
En France, les ouvriers qualifiés mobilisés en 1914 sont rapidement réaffectés dans les usines en 1915. Les autres, qui représentent 23 % de la population active en France, sont remplacés par les femmes, la main-d'œuvre coloniale ou étrangère (les Chinois en France) ou encore les prisonniers de guerre.
Les Allemands vont même jusqu'à faire travailler de force les civils des zones occupées en Belgique et dans le Nord de la France. On parle de « front de l'arrière » pour qualifier cet enrôlement massif dans l'effort de guerre.
Production annuelle des usines Renault | En 1914 | En 1918 |
Voitures | 1 484 | 553 |
Camions | 174 | 1 793 |
Chars d'assaut | 0 | 750 |
Obus de 75 et 155 mm | 0 | 2 000 000 |
Effectifs des usines (dont femmes) | 6 300 (3,8 %) | 22 500 (31,6 %) |
Bénéfices réalisés (indice) | 100 | 366 |
L'effort de guerre chez Renault
D'après R. Fridenson, Histoires des usines Renault, éd. Le Seuil, 1972
Une mobilisation économique
Pour financer la guerre, les gouvernements doivent trouver de l'argent et mobilisent la population et les industries.
Ils procèdent à des hausses d'impôts, multiplient les emprunts et ont recours au crédit bancaire international. De même, ils réorientent les productions et organisent le rationnement. Ils réquisitionnent également la main-d'œuvre.
L'or combat pour la victoire, Faivre, 1915
© Wikimedia Commons
Les États s'entendent avec les grands industriels pour assurer une production régulière. Ces industriels réalisent des profits importants de plus en plus mal perçus par les populations au fur et à mesure que le conflit perdure.
Les patrons des usines Renault réalisent d'énormes profits durant la guerre.
La science en guerre
La Première Guerre mondiale est la première à être considérée comme « scientifique ». La science évolue dans la recherche d'armes plus performantes et en médecine.
« La guerre, à mesure qu'elle se prolonge, prend de plus en plus le caractère d'une lutte de science et de machine. »
Déclaration du ministre de l'Instruction publique français, Paul Painlevé, en 1915
La science est en effet tournée vers la guerre :
- Elle développe de nouvelles armes (chars, avions, gaz de combat, etc.).
- Elle progresse dans le domaine médical.
En 1918, les progrès techniques sont considérables par rapport à la situation en 1914. Il y a eu une accélération de l'innovation et un élargissement de la circulation des informations scientifiques.
Ainsi, Marie Curie, qui a inventé le procédé de radiographie, milite pour son utilisation sur le champ de bataille afin de soigner les blessures des soldats. Elle participe à l'élaboration de la voiture radiographique et va jusqu'à en conduire personnellement.
Appareil radiographique « portatif », La Radiologie et la guerre, Marie Curie, 1921
© Wikimedia Commons
Une mutation des sociétés
Des sociétés fracturées
Au fur et à mesure que la guerre se prolonge, elle provoque des mutations dans la société. On constate d'abord des fractures très importantes entre les différentes strates de la société.
En France, le travail accru et les privations provoquent des grèves en 1917. Elles sont lancées par les ouvrières du textile parisien, appelées les midinettes. Elles cessent le travail et manifestent pour demander :
- une revalorisation de leurs salaires ;
- la semaine anglaise (on ne travaille pas le samedi après-midi mais on est payé tout de même) ;
- le retour des soldats.
Le gouvernement est poussé à faire des réformes. Une loi instaure ainsi la journée de 8 heures de travail en 1919. En Europe, de nombreux États sont ainsi poussés à réformer leurs institutions.
De plus, la population s'insurge contre la classe de profiteurs de guerre issue des mondes industriel et politique. La société se divise nettement entre ceux du front et ceux de l'arrière.
L'évolution de la place des femmes
Durant la guerre, 50 % de la population masculine en âge de combattre (de 15 à 49 ans) est mobilisée. Cela explique que la place des femmes évolue : elles occupent des emplois traditionnellement masculins.
On recense 430 000 munitionnettes en France et des femmes agrégées enseignent dans les lycées de garçons.
Munitionnettes en mai 1917 dans une usine Vickers
© Wikimedia Commons
Les femmes gagnent en visibilité et en autonomie.
En France, les femmes constituent 40 % de la main-d'œuvre ouvrière en 1918 contre 32 % en 1913.
Dans certains pays, l'effort fourni par les femmes aboutit à l'obtention du droit de vote : c'est le cas au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne et en Autriche.
Toutefois, cette évolution est à tempérer : les femmes sont généralement renvoyées dans leur foyer à la fin de la guerre sous la pression des hommes et des syndicats qui y voient un danger. De plus, la guerre a aussi renforcé les représentations traditionnelles de l'homme viril et combattant opposé à la femme consolante et qui soigne.
« Quelle que soit l'issue de la guerre, l'emploi des femmes constitue un grave danger pour la classe ouvrière. Lorsque les hommes reviendront du front, il leur faudra lutter contre ces dernières qui auront acquis une certaine habileté et toucheront des salaires différents. »
Déclaration d'Alphonse Merrheim, secrétaire des métaux CGT, en décembre 1916
Les civils victimes de la guerre
Les souffrances de l'arrière
De nombreuses privations
Les souffrances des civils qui vivent à l'arrière sont nombreuses. Ils souffrent de l'augmentation du travail pour compenser les départs au front, mais surtout des privations.
La situation économique des pays en guerre est mauvaise : les prix augmentent considérablement, ce qui entraîne une baisse du pouvoir d'achat. On parle d'inflation.
Les prix sont multipliés par 2 ou 3 entre 1914 et 1918.
En Allemagne, les réquisitions et les rationnements sont considérablement touchés par le blocus de ses ports par les Alliés dès le début de la guerre. Dans certains pays, les famines sont même de retour.
En Allemagne, « l'hiver des navets » de 1916-1917 a tué entre 450 000 et 700 000 personnes.
« C'est toujours la même misère pour la farine. Demain nous ne ferons peut-être qu'une seule fournée tu vois quel métier. Nous avons reçu un mot du contrôleur des contributions directes demandant nos bénéfices alors j'ai répondu que notre travail avait été de beaucoup réduit et que la boulangerie était obligée de payer une taxe fixée par la préfecture, taxe qui permet à peine de couvrir les frais généraux qui ont considérablement augmenté. Enfin avec tout cela ils jugeront et nous verrons combien nous paierons. »
Extrait d'une lettre écrite en octobre 1918 par Marie, fille de boulanger, à son mari Jules Vougnon, soldat
En France et au Royaume-Uni, le rationnement des populations civiles est rapidement mis en place mais s'atténue avec l'entrée en guerre des États-Unis qui nourrissent une partie de la population par leurs exportations.
Affiche de propagande américaine de 1917
© Wikimedia Commons
Des populations déplacées
De nombreuses populations sont déplacées à cause des combats sur le front : ce sont des réfugiés dont le nombre est croissant tout au long du conflit.
En France, ces réfugiés apparaissent dès le début de la guerre et leur nombre s'élève à environ 3 millions. Ils ont fui le Nord et l'Est à cause de l'avancée des Allemands. Près de 500 000 personnes se retrouvent à Paris, les autres sont disséminées sur tout le territoire. Elles reçoivent de la part de l'État une allocation de 1,25 franc.
Des réfugiés belges sur les routes en 1914
© Wikimedia Commons
Le montant de cette allocation est le même que le montant de l'allocation perçue par les familles de mobilisés.
Ces déplacés, soupçonnés de profiter du système ou d'être des déserteurs, sont rapidement discriminés par les populations d'accueil.
Les souffrances psychologiques
Enfin, les souffrances des populations sont aussi psychologiques.
Elles vivent dans l'angoisse des bombardements. L'absence de nouvelles du front, malgré les 4 millions de lettres échangées par jour en France, est particulièrement difficile. Les populations restées à l'arrière craignent les visites du maire qui vient voir les familles dont un proche a été tué au combat.
« Mon cher petit,
Hier je comptais t'écrire mais ma journée s'est passée sans un instant de répit. Je suis allée hier après-midi à l'enterrement d'un pauvre soldat et aujourd'hui on en enterre encore un. Cela fera le 11e. Je t'assure que cela me fait de la peine mais chaque fois que je peux j'y vais on doit bien cela à ces pauvres malheureux. »
Extrait d'une lettre de Marie Vougnon à son mari en octobre 1918
Les victimes civiles du front
Les civils sont également victimes du front, tués, bombardés, déportés ou internés.
Plus de 6 000 civils sont tués par les soldats allemands en Belgique et dans les territoires français envahis. 15 000 sont déportés et internés dans des camps en Allemagne.
Les villes et villages situés près du front sont bombardés et, au printemps 1918, les Allemands tirent sur Paris avec des canons à très longue portée, faisant plus de 250 morts.
Les raids de bombardiers allemands sur Londres font 1 400 morts entre 1917 et 1918.
Carte postale du bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands
© Wikimedia Commons
Le génocide des Arméniens
Entre avril 1915 et décembre 1916, le gouvernement des Jeunes Turcs au pouvoir dans l'Empire ottoman organise le massacre de la minorité arménienne chrétienne, accusée de soutenir les Russes contre les troupes ottomanes.
En Turquie, les Arméniens sont perçus comme un ennemi intérieur.
« R. Lepsius : Plus de 100 000 hommes ont déjà pris le chemin de l'exil. On ne parle officiellement que d'un changement de domicile. […]
E. Pacha : L'Allemagne a la chance de ne posséder aucun ennemi intérieur ou du moins presque pas d'ennemi de cette sorte. Mais supposons le cas où, en d'autres conditions, elle renfermerait de véritables ennemis intérieurs […] n'approuveriez-vous pas tous les moyens, quels qu'ils soient, auxquels il faudrait avoir recours pour délivrer du danger interne votre nation engagée dans un terrible combat ? […]
R. Lepsius : Vous voulez fonder un nouvel empire, Excellence. Mais le cadavre du peuple arménien reposera sous ses fondations. […] Ne saurait-on trouver un moyen pacifique, même aujourd'hui encore ?
E. Pacha : La paix ne peut exister entre l'homme et le microbe de la peste. »
Extraits de l'entretien entre Enver Pacha, ministre ottoman de la Guerre, et le pasteur allemand Johannes Lepsius, en 1915
Cité par Franz Werfel dans Les Quarante Jours de Musa Dagh, © Albin Michel
1936
Entre avril 1915 et décembre 1916, la mort des \dfrac{2}{3} de la population arménienne est planifiée. Cela commence par l'exécution des élites et des hommes dans les différentes villes du pays, puis se poursuit par la déportation massive des femmes, enfants et vieillards dans des camps situés dans le désert syrien.
Ce massacre est qualifié de « crime contre l'humanité et la civilisation » par les Alliés dès mai 1915. Il a causé entre 1,2 et 1,5 million de victimes.